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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 23 juin 2009

Viande

Si c'est bon pour toi, c'est bon pour moi, ai-je pensé, à l'époque où je sortais avec une prostituée.

Je n'ai jamais pu baiser une femme sans désir, même quand j'étais une queue sur appel. Je n'ai jamais eu de problème avec les hommes, car je voyais ça comme un contrat, un trou à fourrer ou une bouche qui me suce (en m'imaginant avec une femme, une forme féminine, car le corps de l'homme me répugne), du travail tout simplement, alors qu'avec les femmes il y avait autre chose, un désir, des sentiments peut-être, une certaine sensibilité qui faisait que je n'arrivais pas à les voir comme de la viande, comme un contrat d'une heure. La relation avec des hommes s'accordait très bien avec la notion de travail, tandis qu'avec la femme, le corps de la femme, tant désiré, le plaisir venait (peut-être?) directement en contradiction avec cette notion. Je n'arrivais jamais à avoir d'érection, et ça n'avait rien à voir avec la beauté ou l'envie de baiser de l'autre, assez évidente (peut-être trop évidente?).

Je décidai alors absurdement de m'imaginer avec une femme, alors que j'étais déjà avec une femme (!), mais encore là, rien à faire, l'imagination ne pouvait pas expliquer à elle seule le fait que je bandais dans d'autres situations. Lorsque j'essayais de faire cette pirouette de l'imagination, je tombais dans un état réflexif étrange, où je devenais spectateur de moi-même et du corps que j'avais devant moi, spectateur de mon excitation, qui se séparait alors totalement de moi, et spectateur de mon imagination, ce qui fait que tout s'annulait, et que je me retrouvais vide malgré moi, de tout désir, de toute possibilité d'excitation. « La conscience est le raidissement de l'esprit », avais-je lu dans un livre de Castaneda : c'est ça, c'est mon esprit qui était bandé, pas ma queue. Ça m'a fait penser à une autre situation assez familière : à chaque fois que je découvrais des nouveaux move secrets dans un jeu de combats à l'arcade, et que j'essayais de les montrer aux autres, j'en prenais alors conscience, et je n'arrivais plus à les refaire, alors que je les faisais naturellement à chaque fois que je jouais. La conscience était de trop, aurait pu-t-on dire.

Un jour, j'ai rencontré une belle jeune femme, nouvelle dans le métier, à la buanderie au coin de chez moi, dans Hochelaga. J'ai tout de suite reconnu la nouvelle pute, qui vient de découvrir la coke et l'argent facile; elle avait des yeux cochons, et s'installait en amatrice aux arrêts de bus pour trouver des clients. L'idée d'avoir une non-professionnelle où il y aurait encore quelques traces de spontanéité et peut-être même de jouissance non permise, m'excitait. Elle habitait en face de la buanderie avec sa mère et sa fille. Elle m'a reconnu du haut de son balcon, elle est descendue et ayant décidé d'essayer la chose pour la première fois et d'enrichir ainsi mon bagage d'expériences, je lui ai offert de l'argent. Une fois chez moi, il fait chaud, c'est le mois de juin, elle se déshabille rapidement, trop rapidement, sans me laisser le temps de me mettre dans le mood de la fourrer comme une pute. Elle me suce un peu, essaie de faire monter la chose, je me frotte la queue contre sa toison brune : rien à faire, ma queue ne veut rien savoir; elle est comme séparée de moi, en spectacle, en tant que saucisse absurde. Frustration totale : je rencontre des filles dans les bars et ce sont elles que je fourre comme des putes le moment venu.

J'ai pensé que le problème venait du besoin, probablement essentiel chez moi, de séduire, de chasser ma viande. Mais comment ma queue arrive-t-elle alors à bander avec les hommes, puisqu'il n'y entre aucune séduction, aucun désir? Je suis un chaos sexuel : je ne suis ni gai, ni bisexuel, ni complètement straight. Ça me fait penser aux putes lesbiennes qui travaillent avec la plus grande facilité au coin des rues St-Laurent et Ste-Catherine. Je me suis toujours demandé comment elles faisaient pour se faire baiser par des hommes. Eh bien, elles doivent s'imaginer qu'elles sont en train de le faire avec une femme. On se dit, c'est facile, elle n'a pas une queue à faire lever, mais au fond c'est peut-être la même chose : ça lève tout seul, on ne sait comment, sans désir, sans séduction, sans beauté...et sans pourquoi.

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