Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 juin 2009

Expérimenter

Je parlais plus tôt de la liberté... Sais-je ce qu'elle est? puis-je la définir? Une chose est certaine, j'ai la liberté de mouvement, me dis-je. Et encore, suis-je vraiment libre d'aller où je veux? Ne sommes-nous pas prisonniers de la Terre, du système solaire, de la galaxie, et si un jour nous arrivons à sortir de celle-ci au moyen d'appareils techniques très avancés et que nous nous dirigions toujours vers de plus grandes formations stellaires, ne serons-nous pas en dernier lieu, prisonniers de l'infini? On me rétorquera que nous sommes plutôt prisonniers du fini. Mais de quoi ne sommes-nous pas prisonniers? On me répondra peut-être que nous ne nous sentons prisonniers de rien, mais le sentiment de liberté est relatif, pensai-je. Pour celui qui subit la torture, aller au trou est une libération; pour celui qui est au trou, aller en cellule est une libération. Pour celui qui recouvre sa liberté, celle-ci n'a pas le même sens ni la même intensité que celui qui ne l'a jamais perdue. Pour ce dernier, la liberté n'existe pas à proprement parler, pensai-je, puisqu'il en a l'habitude, il ne la sent plus, ou peut-être ne l'a-t-il jamais vraiment senti. Doit-on perdre quelque chose pour se rendre compte de ce qu'on avait auparavant? Ce n'est pas nécessaire, mais c'est souvent ce qui se produit, me dis-je. Les gens se rendent compte qu'ils étaient auparavant en santé seulement une fois malades et qu'ils ont usé celle-ci jusqu'au point de non-retour, mais il est trop tard... Nous parlons de liberté, de bonheur, mais nous ne savons jamais de quoi nous parlons vraiment. On me répondra que la vie est tragique d'une certaine façon, mais je réponds que la vie est seulement tragique pour ceux qui n'expérimentent pas. En général, la peur gouverne la vie des hommes, alors nous avons beaucoup de tragédies inutiles. Que veux dire expérimenter? Sortir du rang et mettre à l'épreuve les choses et soi-même, pensai-je. Remettre absolument tout en question. Pour pouvoir faire cela, il faut laisser ses peurs de côté. Le conformisme empêche-t-il les individus de vivre leur vie? Je ne sais pas si l'on peut parler de conformisme ici, au sens où je l'entends. L'attitude des gens est paradoxale d'une certaine façon : lorsqu'ils sont libres de faire quelque chose, ils ne le font pas, ils préfèrent en caresser le rêve; et lorsqu'on les empêche concrètement de faire une chose, ils veulent la faire à tout prix, et s'il le faut, au risque même de leur vie. Les gens tombent involontairement dans le conformisme, même ceux qui s'y opposent; il faut faire un choix qui brise la routine, mais encore, briser la routine peut devenir un autre genre de routine... Il m'arrive moi-même d'agir de cette façon. Mais pourquoi sommes-nous ainsi? Parce que les projets de l'être humain s'inscrivent dans un temps élastique : nous vivons tous comme si nous étions immortels. Nous passons notre vie à attendre : à attendre de pouvoir vivre sa vie, à attendre de mourir, à attendre l'amour, à attendre la personne idéale, à attendre sa retraite, à attendre le bon moment pour avoir des enfants, à attendre après l'argent, etc. Nous avons la tête pleine de projets qui ne se réaliseront probablement jamais à cause de notre insouciance. La vie moderne est une file d'attente, et nous sommes tous en ligne, sans vraiment le savoir, car nous dormons sur nos possibilités. Mais, me répondra-ton, nous ne pouvons pas toujours avoir la mort à l'esprit. L'important n'est pas de l'avoir constamment à l'esprit, mais de comprendre que c'est un événement-horizon, duquel il n'est pas possible de revenir. Personne ne connaît la vérité sur ce qu'il y a après la mort. Toutes les religions ne peuvent que prétendre connaître la vérité à ce sujet. Que fait-on de ce que certaines personnes ont vu lors d'une expérience de mort imminente? Nous ne pouvons savoir si ce qu'ils ont vu appartient réellement à un autre monde, ou si ce n'est qu'un phénomène produit par le cerveau. Ce n'est pas parce que plusieurs personnes ont vu la même chose que celle-ci est nécessairement réelle. Personnellement, la perspective de quitter mon corps pour n'être éternellement qu'un esprit m'angoisse totalement... Dans ce cas, vivant ou mort, je ne peux échapper à l'angoisse. Mais existe-il un moyen d'y échapper? Cela dépend de la liberté pour laquelle je suis libre. Je dois me libérer pour une liberté, pensai-je. Je dois me rendre réceptif à une certaine liberté, celle que je ne peux uniquement trouver qu'en moi-même. Elle est ma véritable patrie, mon unique refuge dans cet univers hostile.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire