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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 juin 2009

La dictature des jambons

Les jambons, ce sont ceux qui ne veulent jamais faire de mal à personne, mais qui finalement, en font toujours à tout le monde. Ils pensent qu'il suffit de vouloir le bien pour le faire.

Henri Charrière, qui avait été emprisonné sur l'Île du Diable en Guyane Française disait en revisitant les lieux de la prison maintenant fermée, qu'il était impossible que cette prison ait définitivement disparu, car sa conception, ses objectifs, son horreur, sortaient de l'esprit des hommes, et que les véritables barreaux étaient dans l'esprit, prêt à se reconcrétiser ailleurs à tout moment. Cette prison était administrée par les gens «honnêtes» et elle était pétrie de «bonnes intentions» par cette société là-bas, au loin, qui ne veut jamais rien voir des conséquences réelles et finales de ses choix et de ses actions.

Des gens «honnêtes», des jambons, j'en ai rencontré en masse quand j'ai commencé à faire la rue à 22 ans, un peu contre mon gré. J'étais sur la rue Champlain et ils me rôdaient autour comme des vautours, on les appelait des «circle jerks». Ils tournoyaient toute la soirée sans acheter la plupart du temps; je finissais par leur faire un finger lorsqu'ils repassaient, et là ils comprenaient qu'ils devaient foutre le camp et laisser la place aux vrais clients. Je les voyais dans leur auto, bague de marié, type papa vieillissant qui ne veut plus baiser avec sa femme et préfère désormais une queue, peut-être après s'être découvert, ou entretenant un long mensonge avec sa femme et ses enfants. Ce sont les jambons, et ces salauds tiennent à leur réputation. Tout se fait en catimini et en secret, en louvoyant, de façon hypocrite; ce sont les mêmes qu'on célèbre sur la tribune publique comme étant les gens «honnêtes».

En surface, ils affichent constamment le masque des «bonnes intentions», mais derrière, sous la surface, au fond d'eux-mêmes, il y a la bête, et prennent bien soin de la cacher. Ceux-là ne paient pas pour leurs désirs «inavouables», car ils jouent bien leur jeu, ce sont des menteurs et des comédiens professionnels; mais ceux qui ne jouent pas de jeu, ou le jouent mal parce qu'ils s'en foutent plus ou moins, paient, et souvent ce sont ces mêmes pervers «honnêtes» qui les font payer. Au fond, ils ne leur font payer que leur honnêteté, car la leur est bien réelle contrairement à eux. Ce sont les forts, mais ils subissent le joug des faibles qui sont plus nombreux.

Je parle de tout ça car j'ai vécu les pires injustices de la part de gens qui voulaient «sauver le monde», mais ne voyaient pas devant eux la personne à qui elles causaient un tort irréparable, puisque les «idées», bien sûr, sont toujours plus réelles dans la tête des gens «honnêtes» que les personnes auxquelles elles sont censées s'appliquer. Finalement, ces belles idées utopiques ressemblent plus à une excuse pratique et universelle pour causer un tort réel à des individus en particulier, et laisser cours à la cruauté innée de l'homme. L'histoire est écrite à l'envers. Les bonnes intentions sont vraiment diaboliques et l'homme n'est jamais aussi bon qu'il aimerait le croire.

Ce sont les mêmes qui vont se gaver de nouvelles sur les misères des autres. Si au moins ça pouvait satisfaire la cruauté et la méchanceté des êtres humains, mais loin de là, ça ne fait que donner un peu de sang à la bête, la rendant ainsi encore plus féroce. Il faut «voir» souffrir, en être témoin, mettre l'épaule à la roue pour écraser son voisin tout en affichant son «optimisme», son sourire assassin, etc. Il faut qu'il y ait des marges, et qu'on puisse pousser certaines personnes dedans pour se sentir «heureux». La pauvreté, la prison, les mauvaises conditions sociales, les palais de justice : le même jeu d'exclusion. Hannah Arendt en avait fait la constatation en réfléchissant sur la banalité du mal : les «jambons» sont capables des pires atrocités, et ce ne sont jamais eux qui sont dans les prisons, car on ne les «détecte» jamais tellement ils paraissent «normaux» et «bons». En fait, il ne font seulement qu'appliquer ce qu'on leur a montré comme des automates, sans aucun sentiment réel, et il suffit de leur montrer autre chose en leur faisant comprendre que c'est «bon» pour qu'ils le fassent.

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