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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 juin 2009

C'est «ton» histoire...

Hier, c'était la fête des Patriotes. À la télé, dans la reconstitution d'une scène de l'époque, quelqu'un lit le discours qu'un patriote a prononcé avant de se faire pendre : Chevalier de Lorimier. Ma réaction fut : «pas encore cette foutue histoire de nos ancêtres...» On me lance, «ouais, mais c'est important de connaître ces choses, c'est «ton» histoire...». - Ben non justement, c'est pas «mon» histoire. C'est l'histoire du peuple québécois, d'un troupeau; c'est l'histoire d'un emplacement géographique; c'est l'histoire de gens et d'une époque qui n'ont plus rien à voir avec moi. «Mon» histoire, c'est mon histoire personnelle. Je n'ai pas besoin de me gargariser avec les faits d'une époque antérieure et ensuite de me dire, avec mes «compatriotes» : «Ils nous ont fait ça les salauds! Je déteste les Anglais, je déteste les Français aussi, parce qu'ils nous ont laissé tomber, puis, par extension, je déteste les Américains, etc.», et d'alimenter ainsi ma petite xénophobie.

Je ne vois pas à quoi tout ça peut servir à part fomenter des haines. Est-ce qu'on peut faire autre chose que seulement penser à se taper sur la gueule? Comme disait Hegel, «les pages de l'Histoire ont été écrites avec du sang». Si vous cherchez des motifs pour haïr quelqu'un, un peuple, n'importe quoi, fouillez dans l'Histoire, creusez, et vous pourrez puiser à pleine main des motifs à l'infini pour créer de nouveaux bains de sang frais.

Ben oui, on nous a fait des coups de cochon. Est-ce que je dois prendre ça personnellement? Personnellement, j'en ai plein le cul de tout le monde, et je crois que les Québécois ne sont pas mieux que les autres. On essaie de me greffer une identité générique, mais je préfère dire que je «viens» du Québec plutôt que de dire que je suis Québecois, et je pourrais me retrouver n'importe où ailleurs. Je ne suis pas un «citoyen du monde», je n'ai «aucune» appartenance, c'est pas pareil.

Ceux qui vous exploitent, c'est ceux qui veulent vous faire croire que votre identité repose dans le «peuple» ou encore, dans la «race». Non, mon identité, je ne la retrouve pas avec les autres, ni avec un beau paysage québécois, ni avec une culture, pas même avec une langue, et encore moins dans une chansonnette. J'ai beau chercher mon identité, c'est comme un savon mouillé qu'on presse, plus j'essaie de la saisir, plus elle m'échappe. Pourquoi voudrais-je m'identifier à ma langue et dire ça c'est «moi», ça c'est «nous»? Ici c'est «chez moi», et pas «chez toi»? Ce n'est qu'une question d'habitude et nous faisons toujours le jeu des politiciens «diviseurs» avec nos habitudes.

Je parle très bien anglais; je trouve que c'est une belle langue, et objectivement, je trouve qu'elle est mieux construite que le français ou l'allemand. On va me dire : «Tu plies, t'es vendu aux Anglais...» Si j'étais un Chinois en Chine, je parlerais aussi anglais, car c'est la réalité du monde d'aujourd'hui : cette langue rayonne sur le monde entier. Si demain c'est le chinois, j'apprendrai le chinois aussi, d'ailleurs j'ai déjà commencé parce que je trouve que c'est une très belle langue.

Ces gens qui fouillent dans le passé et le retournent en tout sens sont pour moi des opportunistes qui cherchent des motifs pour que les gens veuillent se casser la gueule indéfiniment; et s'ils prônent si fort notre «identité» chimérique, c'est parce qu'ils n'en ont pas eux-mêmes. Leur but est de créer des partis, des divisions, pour qu'ils puissent nous faire de beaux discours sur les estrades et qu'ils soient couverts de gloire. Ensuite nous inscrirons leurs noms dans les livres d'histoire et ils pourront dormir en paix en croyant qu'ils ont été «quelqu'un», et pas «n'importe qui». Pour moi tout ça respire le vide immense, la vanité à plein nez, la gloire personnelle à tout prix. La vanité serait-elle le moteur de l'Histoire?

J'ai connu un Égyptien et un Grec. Les deux tiraient vanité de leur histoire en tant que peuple qui a connu un grand rayonnement et se pavanaient en se croyant supérieurs, mais ce n'étaient que deux idiots qui cherchaient une plus-value à leur médiocrité. Sommes-nous différents lorsque nous cherchons à nous identifier à notre «peuple»?

Cependant, la réalité est bien différente de ce que je pense, et les gens s'accrochent, s'entêtent, s'identifient à tout ce qui les entoure, en bons substantialistes qu'ils sont. On leur apprend que le sens est «dans» les mots, et après tout est réglé, on peut continuer à vaquer à nos occupations.

Qu'arriverait-il si demain on m'apprenait qu'en réalité je suis né en Allemagne, de parents allemands, et que j'ai ensuite été adopté pour m'en venir ici au Québec? Est-ce que maintenant j'ai une nouvelle «identité», moi qui croyais que mes ancêtres étaient Québécois? Dois-je me tourner vers l'histoire de mes ancêtres allemands, vers l'histoire de l'Allemagne et reprendre tout ça à mon compte comme les gens essaient de le faire ici, dans une quête désespérée de leur identité chimérique? Vais-je me mettre à manger des Bratwurst (saucisses allemandes) et de la Sauerkraut (choucroute) et à trouver ça meilleur parce que «c'est bien de chez nous»?

Tout ça me fait penser à autre chose, entre autres, au hockey : notre religion nationale. Lorsque l'équipe locale perd rapidement dans les finales, les partisans ne sont pas satisfaits, alors ils se mettent à écouter les matchs des autres équipes. Peu à peu, ils viennent à avoir des équipes «préférées», et ils les jugent plus ou moins «objectivement» d'après leur performance, la qualité de leur jeu. Ils ne regardent plus les «chandails», et cherchent la «meilleure» équipe, en se disant qu'ils regardent du «bon» hockey. Mais c'est ici que gît le problème : pourquoi préféreraient-ils une équipe en particulier, par conséquent l'équipe locale, puisque s'ils sont de vrais amoureux du hockey, ils ne devraient aimer que l'équipe qui joue le mieux?

Pouvons-nous porter un regard semblable sur nous-mêmes? Et au lieu de regarder le passé, ce qui a été accompli ou ce qui a été échoué et s'identifier à tout cela, au «chandail» comme au «drapeau», nous dépasser nous-mêmes, chercher à êtres les meilleurs, à être créatifs, en rompant avec tout ce qui est «lourd» et en regardant avec des ailes l'avenir? Pouvons-nous être jeunes à nouveau? Pouvons-nous nous créer une autre histoire, moins triste, moins tragique, et qui ne fait que perpétuer le malheur et la violence?

Si nous le voulons, c'est aujourd'hui que «notre» histoire commence...

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