Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 23 juin 2009

Mutation

Parler des morts, de ceux qui sont tombés sur mon chemin, je le dois, pensai-je assis à ma table habituelle du Café des Ouvriers. Il y a un moment cette table m'a semblé bouger vers l'avant pendant que je lisais : j'ai eu la même impression hier après avoir arrêté le tapis roulant : le tapis semblait continuer à avancer et mon esprit me disait de marcher, mais en regardant le tapis j'ai constaté qu'il n'avançait pas, et pourtant, je sentais qu'il avançait. J'ai pensé alors, pensai-je : l'homme doit s'habituer à la machine, ce rapport non-naturel, le cerveau doit s'y habituer : courir vers l'avant et cependant faire du sur-place. L'acte de jongler active une nouvelle zone dans le cerveau, mais cette activation est temporaire car elle dépend de l'exécution de cet acte spécialisé : dès que cesse de façon prolongée l'acte de jongler, la zone se désactive et revient à son état antérieur. Notre rapport quotidien aux machines fait peut-être de nous un nouveau type d'être humain, relativement au fonctionnement du cerveau qui doit toujours établir de nouveaux rapports, et relativement à nos gènes qui connaissent peut-être des changements permettant une meilleure adaptabilité de l'homme aux machines.

Sur la « pensée tenue secrète » de Extinction (Thomas Bernhard) je pense Cendrillon : la plus négligée et cependant, une merveille de beauté. Le rapport entre l'amour, la beauté, le secret et la mort.

Heidegger se contredit : il dit qu'on ne peut espérer comprendre sa philosophie immédiatement et que cela, de façon sous-entendue, réclame donc beaucoup d'étude, autant qu'il en faut par exemple pour comprendre les équations d'Heisenberg, alors qu'il se réclame d'une certaine simplicité, d'un rapport direct aux choses, d'un dépouillement du regard...

J'ai pensé : je ne suis pas l'homme d'une seule passion, je ne suis pas monomaniaque, comme Alekhine par exemple, ou Tal, ou Fischer, qui ne vivaient que pour les échecs. On raconte que Tal a parlé d'échecs jusqu'à ce que l'anesthésiant fasse son effet sur la table d'opération, et qu'à son réveil, il s'est enfui de l'hôpital en jaquette pour aller jouer au club du quartier. C'est d'ailleurs là que les employés de l'hôpital l'ont retrouvé : ils savaient chercher. Je n'ai de constance en rien, mais j'ai des variantes qui reviennent toujours. Je dois trouver par contre ce qui tend à former un absolu dans ma vie, ce qui veut se trouver au centre de ma vie... Ce qui veut que je m'y consacre en tout temps... Je ne sais pas ce que c'est encore, c'est peut-être les mots, l'art, la pensée, le jeu d'échecs, l'entraînement physique, la philosophie, la musique, l'écriture... Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a plusieurs passions en surface. S'entraîner peut avoir un certain rapport avec l'écriture : s'entraîner c'est sculpter son corps, c'est écrire son corps. Écrire peut ainsi prendre un sens beaucoup plus profond, et ne pas seulement concerner les mots.

Je veux créer un monde, par l'écriture. Arriver à fixer par l'écriture les impressions fugaces, évanescentes, de la vie de tous les jours. Voilà peut-être une de mes grandes passions à venir, sinon la plus grande. Je veux tout fixer dans le souvenir, dans l'histoire, dans l'écriture. Je ne veux rien perdre et tout garder de ce monde. Il y a toujours interpénétration des mondes de tous les individus, et jamais un seul monde.

Ma philosophie : une philosophie entièrement vécue et éprouvée de l'intérieur.

J'insuffle un esprit aux livres : ce livre c'est le mien, et pas un livre remplaçable. C'est toujours le livre d'une première fois qui possède l'esprit le plus propre.

Le but principal de la religion est d'établir la discipline.

La tentation de se laisser charmer par la belle écriture, comme par la belle voix, oubliant le contenu... À l'hypnose du texte, il y a de même l'hypnose du réel.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire