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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

dimanche 28 février 2016

Réflexions sur le génie

J'ai passé ma soirée hier à réfléchir à la question du génie. Le «génie» est une personne avec un QI de 130 et plus (le célèbre physicien Richard Feynman avait un QI de 125, mais était considéré néanmoins comme un «génie»). En 2009, le plus haut QI était de 195 (ou plus) et était détenu par Chris Langan, ancien portier et auteur du CTMU, une «théorie de tout». Aujourd'hui le record a été établi à 230 par Terence Tao, un jeune mathématicien chinois. Mais le QI le plus élevé de l'histoire aurait été détenu pas William James Sidis au début du 20e siècle, qui avait un QI entre 250 et 300, et qui a occupé de petits emplois mécaniques mal payés après l'université et est mort à 46 ans. Il est l'auteur d'une série d'écrits sous pseudonyme. Autre particularité: il abandonna complètement les mathématiques au milieu de sa vie et disait «ne plus vouloir penser».

Comme comparatif de ces QI avec quelqu'un connu de tous, Einstein avait un QI entre 160 et 190. Si la fourchette est si large dans les estimations, c'est que lorsqu’un individu s'écarte trop de la moyenne (100), il est besoin d'un test de tranche supérieure, impliquant un groupe plus restreint d'individus, et donc, une moins bonne estimation. Quand les QI sont très élevés, il est besoin de tests spécifiques pour les nouvelles tranches supérieures, et l'estimation devient toujours plus difficile, puisque le groupe se restreint toujours. À la limite, l'individu le plus «intelligent» du monde n'a donc plus de comparatif et demeure comme un «hapax» dont la signification demeure obscure.

Un QI élevé n'est pas une garantie de succès dans la vie. Les facteurs environnementaux, la culture, les traits de personnalité, l'intelligence sociale ou émotionnelle sont pour une grande part dans la réussite globale d'un individu. Par contraste, un individu au QI moyen mais dont les habiletés sociales sont grandes sera plus enclin à réussir dans la vie qu'un individu au QI élevé mais qui est médiocre ou exécrable au niveau social.

Bien sûr, il s'agit ici aussi de savoir qu'est-ce que signifie «réussir sa vie». La définition d'une «vie réussie» doit varier autant qu'il y a d'individus dans le monde, mais l'on peut s'entendre sur une définition, disons, largement acceptée: faire ce que l'on aime dans la vie, en être bien payé, et être reconnu socialement pour ce que l'on fait. Si nous oublions ce dernier point, un proxénète peut bien avoir une «vie réussie», car il fait ce qu'il aime et il est bien payé, mais ce n'est pas ce que l'on entend normalement par cette expression si ce n'est approuvé socialement. La personne aura donc une vie réussie à ses yeux, mais pas aux yeux des autres. Et qu'est-ce donc une «vie réussie» si tout le monde pense le contraire de votre vie? Cela est difficile à tenir, quand on pense au niveau social. Il faut donc pour avoir une «vie réussie», obligatoirement, que ce que l'on fait soit socialement accepté ou valable.

On voit donc ici, qu'à la limite, les très grandes intelligences qui s'intéressent à des choses que très peu de personnes comprennent ou qui ne suscitent pas chez ces dernières un grand intérêt, ne seront pas celles à qui s'appliquera le plus fortement la définition d'une «vie réussie», car la dimension sociale manque, à moins d'inventer une théorie qui viendra changer la façon dont tout un chacun perçoit le monde, pensons à Einstein.

Toutes les très grandes intelligences ne peuvent être aussi inventives qu'Einstein, mais on ne peut dire non plus qu'ils n'auront jamais une «vie réussie». Il semble ici que le plus important, après tout, soit la perception que l'individu a de sa propre vie: s'il fait ce qu'il aime, il peut s'estimer heureux, ou ni heureux ni malheureux. Einstein disait que l'imagination était plus importante que le savoir. À quoi servent les grandes têtes pleines de savoir, si elles ne peuvent inventer du nouveau? Ainsi, il y a plein d'individus extrêmement brillants qui s'enfoncent dans des tâches routinières et ne créent jamais rien de nouveau de leur vie. Quelle aurait été la force de Louis Cyr s'il était resté les bras croisés toute sa vie sans jamais lever aucun poids? Et s'il avait levé des poids comme tous les autres le faisaient, sans imaginer de nouveaux tours de force, qu'elle aurait été son mérite? Personne ne l'aurait remarqué...

Il m'arrive de penser que les très grands QI sont une aberration de la nature, et que les individus porteurs de ces grandes capacités devraient pouvoir donner un peu des leurs à ceux qui en ont beaucoup moins. Bien entendu, cela est impossible, bien que l'intelligence soit «communicative». C'est-à-dire que les meilleures solutions à des problèmes peuvent être retransmises à des individus au QI inférieur, mais les moyens pour y parvenir par eux-mêmes font défaut. Cela veut dire que ces derniers auront toujours besoin des capacités brutes du QI supérieur dans de nouvelles situations, mais pas dans les anciennes. C'est ainsi que le progrès est possible, même aux échelons inférieurs, mais l'esprit peut venir à faire défaut en place de la lettre.

Les capacités brutes du QI supérieur le différencient donc vraiment du QI inférieur, il n'y a pas d'échappatoire. C'est comme la force musculaire de Louis Cyr, qui provient d'une largeur de colonne inhabituelle: personne ne peut contester sa colonne: c'est un fait, et ça le rend capable de lever des poids extrêmement lourds, s'il décide d'exploiter son talent. Le QI supérieur ne réussit pas nécessairement sa vie et ses qualités sociales sont peut-être exécrables, mais, pouvons-nous nous demander alors: à quoi sert-il d'avoir une voiture qui roule à 1000km/h dans les rues du centre-ville, ou même, sur l'autoroute?

Je ne fais que répéter ici, en d'autres termes, ce que Schopenhauer disait du génie: le génie est aussi utile dans la vie courante qu'un télescope au théâtre.

Le QI supérieur abat plus d'ouvrage, et plus complexe, qu'un QI inférieur. Mais plusieurs QI inférieurs ensemble peuvent dépasser le QI supérieur seul: c'est l'oeuvre du travail, et plus particulièrement du travail de groupe. Un QI supérieur seul ne peut tout lire et tout savoir, mais des groupes réunis peuvent tout lire et tout savoir; aussi, le QI supérieur seul profite la plupart du temps de ces groupes, sans qu'on le mentionne. Ce qui fait donc la véritable différence entre les deux entités (le génie solitaire et le groupe), c'est le twist qui permet de voir les choses sous un nouvel angle, et donc, d'inventer. Il faut par contre spécifier aussi qu'une grande part des découvertes est due au hasard, à force de jouer avec la matière, au fil du travail. C'est pourquoi l'éducation est si importante: elle est la condition de possibilité d'un dépassement novateur, tout simplement par le contact répété avec la matière. Edison disait: «Je n'ai jamais échoué. J'ai seulement découvert 10 000 façons dont ça ne marche pas.» Si on n'essaie pas, et qu'on ne se trompe pas, on ne peut pas réussir: c'est ça l'éducation et c'est ça le travail, et c'est la façon cachée dont se font les plus grandes découvertes.

C'est ce en quoi je crois: le travail et la créativité. Et c'est ce que nous faisons aujourd'hui: nous divisons le travail entre un grand nombre de gens (mais pas toujours très créatifs), ce qui rend impossible pour un homme seul de rivaliser. Bien entendu, cent idiots ne feront jamais un génie. Il est toujours possible aussi à un seul homme de battre une armée de brillants analystes, pensons à Bobby Fischer contre les équipes d'analystes russes derrière les grands champions soviétiques. Ce qui fait la particularité de l'intelligence, c'est qu'elle échappe à la mécanicité: il y aura toujours une «anomalie» qui viendra nous prouver le contraire de ce qu'on croyait impossible jusqu'alors.

Je crois au travail sans relâche pour devenir meilleur et plus créatif dans ce que l'on fait, dans ce que l'on aime, peu importe sa mesure de QI, qui selon moi, est fortement biaisée vers le raisonnement abstrait et mathématique. Il n'est qu'à considérer les jugements éthiques des «fortes têtes» pour bien souvent se rendre compte qu'elles sont loin d'avoir tous les talents qui font un homme complet.

C'est pourquoi je trouve amusant ces foules d'académiciens trop enclines au «culte du génie»: elles ont besoin d'un héros, d'un nouveau dieu... Alors qu'elles devraient plutôt se tourner vers elles-mêmes, car elles seront toujours capables de faire davantage, ensemble, et en travaillant un peu plus sur leurs singularités. Après tout, un changement de perspective dans la vision des choses ne demande aucune grande capacité «computationnelle»...

Cela demande une «vision» et de l'«originalité»... c'est loin du calcul.

C'est loin des tests de QI.

N'importe quel génie est dépassé aujourd'hui par l'infobésité...

Les musiciens qui font de la musique trop avec leur tête

EST PLATE.

4 commentaires:

  1. Mon prof de français au secondaire avait averti sa classe que le lendemain il nous ferait subir un test pour évaluer notre quotient intellectuel. J'avais remarqué qu'il y avait sur sa table un livre intitulé "Comment mesurer votre quotient intellectuel". J'avais noté le titre et l'auteur puis je m'étais rendu le soir même à la bibliothèque pour emprunter le livre. Le lendemain, le prof fût ébahi devant mon génie... J'avais toutes les réponses.

    -Il y a quelque chose que je ne m'explique pas Gaétan... Tu as un Q.I. de 220!!! Tu es trop brillant pour être ici, à la polyvalente...

    -J'sais bien, lui avais-je répondu. Mais dis-le à personne!

    ***

    Quelques années plus tard, un premier juillet, j'étais en train de déménager.

    Mes voisins avaient l'air d'une bande de Bougon, cigarette au bec, craque de fesse à l'air, bière dans la main.

    J'avais l'impression qu'ils n'étaient pas brillants...

    Puis je les ai vus se patenter une corde montée sur une poulie pour favoriser leur déménagement au 3e étage...

    Moi, le soi-disant intellectuel, je montais mes choses marche après marche jusqu'au 3e pendant qu'ils se la coulaient douce en me regardant m'essouffler...

    C'était qui le cave?

    Comme quoi, le quotient intellectuel est une mesure inappropriée du génie.

    Tu peux connaître les tenants et aboutissants du boson de Higgs et être incapable de lacer tes souliers.

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  2. C'est toujours un plaisir de te lire. Ne lâche surtout pas!

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  3. Merci Gaétan! Je ne pense pas arrêter d'écrire de sitôt, et si c'est le cas, c'est que je suis mort.

    Notre prof de psychologie au cégep avait décidé de nous faire passer un test de QI pour qu'on voie c'est quoi. Comme j'étais toujours dans mes rêveries dans mes cours, j'ai manqué les instructions juste avant le test, puis quand on a commencé, je ne savais pas quoi faire, et à vrai dire, je m'en foutais pas mal. Je ne voyais que des figures et des chiffres, mais je ne savais pas quoi faire avec. J'ai eu je crois 30 de QI. Un lézard m'aurait battu au test.

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  4. On dit " avoir le Q.I. d ' une huître " !
    Certains animaux n ' ont en effet pas de cerveau - Ils ne s ' en portent pas + mal . Ils , vivent , respirent , s ' aiment et se reproduisent , bref s ' épanouissent aussi bien que les autre -
    On parle aussi du génie de certains artistes - pourtant les musées sont souvent des greniers à merdes -
    Et que dire de l ' intelligence du cœur , expression tombée ( boum! ) en désuétude ?

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