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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 juin 2009

Pourquoi je suis un gars plate

J'ai toujours aimé les sensations fortes. Plus jeune, je faisais toujours des cascades audacieuses, puis peu à peu, je me suis pété la gueule, et une fois j'ai passé très près de la paralysie générale. J'ai commencé à chercher des sensations fortes ailleurs. Moi et mes amis on cherchait par tous les moyens à se geler, et on était heureux de pouvoir se défoncer, autant que les hommes de la Première Guerre étaient contents d'aller se battre. Puis, je voulais tout essayer; j'étais jeune, j'étais très curieux et je n'avais peur de rien.

J'étais très conscient, je dirais même trop conscient, que je n'avais qu'une vie. Je voulais tout expérimenter. Je voulais constamment repousser mes limites. À 15 ans, j'ai quitté l'école, sous recommandation du directeur (j'étais en secondaire 4), parce que mes notes étaient trop faibles, je fumais du hasch à tous les jours avec un ami et je me foutais de tout. Puis, à l'été, je suis tombé très amoureux d'une femme :) Nous faisions l'amour toute la journée, on vivait littéralement d'amour et d'eau fraîche. Je l'ai laissé au début de l'automne, pour me concentrer sur mes résultats scolaires. J'ai été très froid avec elle, elle a beaucoup pleuré. Plus tard, j'ai regretté mon choix, car je l'aimais énormément; je voulais qu'elle revienne, mais j'ai perdu sa trace. Je suis devenu très bon à l'école, mais je la détestais, puis peu à peu, je me suis vidé de ma substance, je n'étais plus qu'une âme errante. Je suis arrivé désorienté au cégep, j'étudiais en sciences pures mais je commençais à découvrir Heidegger et la philosophie. Je ne voulais qu'une chose : aimer et être aimé, et trouver un sens à ma vie.

Finalement, je suis arrivé à Montréal, et j'ai décidé de me laisser dépérir. Cerné par la merde de ce monde froid, je voulais toucher le fond, aller jusqu'au bout, crever de n'importe quoi. Je sais aujourd'hui qu'à ce moment je faisais une dépression importante. Le médecin voulait me faire prendre des pilules, mais ça m'a fait peur et j'ai refusé. J'ai donc fait le choix de vivre pleinement cette période creuse et difficile.

J'étais un gars romantique, très idéaliste, passionné et anarchiste. Puis, je suis devenu fou; il me manquait probablement une corde à mon arc. Je suis entré de plein gré dans le monde des extra-terrestres. J'ai commencé à frayer avec de très mauvaises influences, des gens dangereux et qui me tiraient inexorablement vers le bas, et toujours plus creux, dans la merde. J'ai passé trois années complètement déconnecté de ce monde. Ce monde ne m'apportant aucun stimulant, aucun plaisir, j'étais occupé à jouer avec mes récepteurs de la dopamine. Cette période a été marquée par l'instabilité la plus complète. J'étais pratiquement errant à travers Montréal. Je ne voulais pas me fixer nulle part, ni dans rien. Chaque journée était la dernière. Aussi je vivais mes relations sexuelles à fond, mon amour à fond, mes défonces à fond, tout à fond. J'étais extrême et sans limites. Je vivais un certain bonheur dans l'évanescence.

Puis, les gens ont commencé à mourir autour de moi : suicides, surdoses, meurtres, sida. Je m'en foutais un peu, car je ne tenais pas à la vie. Un jour, je me suis rendu compte que j'avais perdu la tête. J'avais réellement perdu le contrôle de ma vie, ça c'était évident, mais là j'étais en train de perdre le contrôle de mon esprit, et c'était trop. Je n'ai jamais été capable de perdre le contrôle de mon esprit, sauf une fois sur l'acide, mais je n'ai plus jamais recommencé. J'avais trop peur de finir comme Syd Barrett. J'ai donc pris les choses en main, et j'ai fait le choix conscient de mener une vie stable et normale. Finalement, je me suis rappelé que j'avais fait banalement un voeu vers 14 ans en discutant avec un ami, d'avoir deux vies : une de débauche complète, et une d'étude complète. Cet ami est aujourd'hui itinérant au centre-ville de Montréal.

Alors, après toutes ces mésaventures, il est normal, vous pouvez le comprendre, d'être un peu rassis. Je n'ai plus envie que le bateau tangue trop fort. J'ai une situation, des études, un métier, une vie amoureuse stable (ça me fait penser au gars du film Trainspotting à la fin), je suis en contrôle total de ma vie. Dans mon parcours ascendant, certaines choses m'ont aidé : les animaux domestiques, pour restructurer mon côté affectif, et le jeu d'échecs, pour restructurer mon esprit. Dans ces situations, l'important c'est d'abord de donner à l'individu des objectifs à court terme; lui réapprendre tranquillement à se fixer des objectifs, petits pour commencer, puis ensuite de plus en plus grands, jusqu'à englober un projet de vie, ou même pourquoi pas, un projet de société.

Non, je ne suis pas conservateur, ni anti-drogue ou anti-débauche. Je vois aujourd'hui cette étape comme une expérience initiatique. La lecture de Castaneda m'a fait réaliser cela : la perception que nous avons des drogues est fausse. La clé qui nous permet de régler tous ces problèmes d'un seul coup, c'est la modération. Pour être capable de se modérer, il faut que l'individu soit structuré au départ. S'il est structuré et fortement centré en lui-même (et non sur lui-même), la drogue ou l'alcool ne peuvent détruire sa vie, puisque ces substances n'auront aucune prise sur lui.

En ce qui me concerne, je suis aujourd'hui en orbite autour de la philosophie. J'ai ouvert mon livre de bébé, dans laquelle ma mère prenait soigneusement des notes, et j'ai découvert que je parlais longtemps au téléphone à 23 mois, que j'ai offert à ma mère à 3 ans un bouquet de marguerites, que je m'intéressais à 5 ans au «futur» après la mort, que j'ai une tendance naturaliste, que je suis un peu agressif et a de la difficulté à m'adapter à la maternelle, et qu'à 6 ans je suis très renfermé et que ma mère demeure très près de moi pour garder «contact». À 7 ans, j'ai beaucoup de 100%, mais je suis souvent dans la lune. - Qu'est-ce qui se passe? Je ne sais pas, mais ça devait déjà commencer à brasser dans ma tête.

Peu importe. Beaucoup de gens m'aiment et m'apprécient aujourd'hui, et je suis en constante progression vers d'autres horizons, d'autres réalisations. Je tiens toujours à me dépasser, à me réaliser, à réaliser mes rêves. Je suis heureux dans ma vie en général, mais je reste un homme perpétuellement insatisfait, car je veux réaliser toujours plus de choses et ce n'est jamais assez; je ne regarde jamais en arrière mais en avant. Au fond, c'est peut-être ça le «sens de la vie». Pas un «sens» en fin de compte, statique et figé, mais un mouvement perpétuel, une perpétuelle «inquiétude»... Quoi qu'il en soit, la vie est une aventure de laquelle personne ne sortira vivant, alors vaut aussi bien essayer de faire bouger les choses, de trouver pourquoi ce monde marche de travers pendant que nous sommes là, et se donner à 100 % dans ce que nous faisons, d'être passionnés, au nom de la vie, de l'avenir, de l'amour, de la justice et de la connaissance.

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