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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 29 juin 2009

Dix ans plus tard

On cogne à ma porte, je suis saoul mort et j'écoute ma dernière chanson, le volume dans le tapis, avant de me trancher la veine jugulaire avec un couteau à steak mal aiguisé. Je fais mes adieux à la vie, à mon moi-même, à ce que j'ai été, à ce que je suis, à ce que j'aurais pu être, mais on insiste à la porte : on ne me laissera pas crever en paix.

J'ouvre la porte : six boeufs les dents serrées avec gants de cuir et goggles me font face : on est prêts pour moi. Ils ont pitonné mon dossier et ils ont vu que j'étais un fou : ils savaient à quoi s'en tenir et ils n'ont pris aucune chance. En bas, c'est la panique : on pense qu'on vient arrêter un gros criminel. J'ai décidé de coopérer, à la grande surprise des flics qui m'en étaient très reconnaissants d'ailleurs, tout en gardant cependant un oeil ouvert. Je reste poli, civilisé, je ne fais aucun mouvement brusque, je ne provoque pas, je ne résiste pas : on se demande si c'est bien moi, et tellement, qu'on ne me met même pas les menottes, «gentillesse» qui aurait été fatale à une autre époque. J'ai décidé que je m'en foutais, j'étais déjà mort de toute façon, on ne pouvait plus rien me faire.

C'est là que le grand voyage commence : on me trimballe un peu partout dans Montréal comme du bétail, premièrement à l'hôpital, où je pense à un moyen de m'enfuir, puis, finalement, dans une cellule de poste. La cellule : des barreaux en acier, une plaque de métal surélevée glaciale en guise de lit, une bol sans papier de toilette, des robinets qui marchent pas, des néons allumés en permanence, pas de couverture ni oreiller et une caméra braquée droit sur la cellule de sorte que tout le monde peut me voir chier.

Je réussis à fermer l'oeil quelques minutes avec un soulier en guise d'oreiller et en position foetale pour bien me réchauffer. Je vois défiler ma vie, puis, le pire le voilà, je suis revenu me dis-je, dans ce maudit foutoir à cons. Soudainement, on apporte un hystérique, avec sa blonde tout aussi hystérique; les deux crient comme des malades sans arrêt parce qu'on les a mis dans deux cellules séparées. Les autres détenus sont en crisse comme moi de se faire réveiller par ces hurlements et crient à leurs tours des bêtises à cet emmerdeur. Quand ce n'était pas des hurlements, ils se parlaient en amoureux, se disaient des petits mots d'amour, mais sans arrêt comme des mantras répétés à l'infini. Les détenus tapaient dans les murs, essayaient de tout casser. Finalement, ils ont emmené le gars dans une cellule en rubber, l'ont attaché au sol, et puis ça été fini, on a eu la paix. Il essayait de faire son raffut, mais on entendait que des cris étouffés. Puis, ce fut le tour de sa blonde qui était maintenant rendue dix fois plus folle que son chum, elle se pétait la tête dans les murs; ils l'ont attaché au sol dans une autre cellule isolée, puis, le silence complet.

Au matin, le corps en lambeaux par toute cette dureté de béton et d'acier, on prend ma photo du Far West : c'est inévitable : on a tous l'air d'un vrai criminel après avoir passé une nuit d'enfer pareille. Je regarde ma photo et je fais la remarque au photographe, il me répond que le résultat est incroyable, et qu'on dirait que c'est sorti tout droit de Photo Police. En tout cas, j'ai endossé mon «habit» de criminel; on est comme forcé après la photo de constater qu'on a une vraie gueule de criminel, alors faut s'habituer.

Fourgon cellulaire, direction Bonsecours. Là tout le monde le sait, ça va être long en sacrament; faut prendre son souffle et patienter pour une secousse. On se fait barouetter dans tous les sens, le fourgon est trop petit, nous sommes trop nombreux, entassés les uns sur les autres dans le noir comme des poulets. Des poulets sales en plus : tout le monde pue énormément, et pour ce qui est de pouvoir se laver ou se brosser les dents, faut pas y penser avant plusieurs jours. Inévitablement, on devient claustrophobique : menottés, compactés dans le noir, presque sans air, on pense tout de suite à ce qui arriverait s'il y avait un accident. Ça crie en dedans de soi-même pour sortir, mais faut étouffer les cris, ignorer la puanteur, rester immobile, ne pas voir, bloquer son esprit.

On se fait trimballer dans toute la ville et on ne sait jamais où on est rendus. Un gars s'efforce de repérer les lieux par ce qu'il peut à peine voir dans le hublot arrière recouvert d'une bonne couche de saleté. On fait un stop ici, un stop là, on attend, attend, attend, pour rien; finalement, on croit qu'on est rendu, mais non, on ne fait qu'embarquer les filles qui sont dans une autre partie du fourgon, et là on sait qu'on en a encore pour des heures d'attente, à cause des sacrées «procédures». C'est carrément interminable. On parcourt toute la ville, sans but, puis on tourne en rond et on revient stupidement au point de départ. Alors, les prisonniers se mettent à parler un peu d'eux-mêmes, à conter leur «histoire». À un certain moment même, on a eu droit à un show de boules de la part des jeunes putes de l'autre compartiment : une vitre très épaisse nous séparait d'elles, mais on pouvait se voir, et certaines filles se trémoussaient en me voyant dans la série de têtes qui apparaissaient de leur côté. L'une d'elles, très belle, avait un oeil sur moi, et je me disais que dès qu'on sortirait dans la file une fois à Bonsecours je lui parlerais, mais je puais tellement «à l'unisson» avec les autres, filles incluses, que je n'ai pas osé ouvrir la bouche, ni elle non plus.

On s'est retrouvés dans la fameuse salle commune. Les filles, elles, sont enfermées ailleurs. Pour une première fois, je pouvais commencer à respirer depuis des heures. Les gars se regroupent en petites gangs et on se conte nos mésaventures, c'est assez drôle parfois. Je me souviens d'un en particulier : Mohamed Tremblay, un fumeur de crack invétéré et un abonné régulier de la prison. On n'arrêtait pas de rire de lui parce qu'il venait d'être libéré, disait-il, il est ensuite bêtement retourné dans le quadrilatère qu'on lui avait interdit pour quêter de l'argent et acheter du crack, les boeufs sont passés, l'ont reconnu et l'ont tout de suite embarqué! On était tordus de rire! En tout, il avait eu dix minutes de liberté! Même les gardiens se moquaient de lui.

L'heure du lunch : une sandwich au baloney, un gros biscuit à l'avoine et une canette de liqueur. Certains troquent leur biscuit pour du tabac qu'un gars a réussi à cacher dans sa doublure de jeans. Il se ramasse un bon paquet de biscuits. On passe toute la journée là à attendre, attendre interminablement, à puer, à essayer de dormir sur les bancs en bois bien durs fixés aux murs, avec des morceaux de linge comme coussin et une chaussure pour oreiller. On me lance des insultes, parce que mon nez bloqué par toute la saleté et la fumée me fait ronfler légèrement. Je décide alors d'écouter et d'observer les autres détenus. Je trouve que je suis pris avec une méchante gang d'imbéciles et prie pour ne pas avoir à faire du temps, et que je puisse sortir au plus vite de ce cauchemar kafkaïen. J'essaie de penser le moins possible; je me mets en mode reptile : aucune pensée, aucune émotion, le moins de mouvements possible, aucune parole, manger ce qu'on me donne, c'est tout.

Je constate à chaque instant que je ne corresponds plus du tout à ces gens que j'avais croisés dix années plus tôt. Abrutis, violents, impulsifs, sans éducation, problème de drogue, etc. Je me sentais désormais tellement loin de toute cette racaille et, tristement, je me retrouvais de nouveau collé de force à eux. J'étais évidemment le seul à avoir été à l'université, mais je ne devais pas en parler et jouer plutôt au taré.

Plus tard dans l'après-midi, on m'a annoncé que j'allais être libéré après être passé en cour. Je pouvais désormais regarder les choses avec un peu plus d'optimisme, mais c'était loin d'être terminé : il y avait les «procédures». Là les autres gars m'ont dit que même si on était libérés, qu'on allait nous emmener quand même all the way à Rivière-des-Prairies, et qu'on nous libérerait là-bas.

Deuxième repas : sandwich au baloney, gros biscuit à l'avoine et canette de liqueur. De retour dans le fourgon cellulaire, avec encore plus de puanteur. Les détenus savent que les sandwichs sont faits par les femmes détenues à Tanguay, alors on mange avec un certain plaisir, en pensant aux mains des femmes, même si c'est toujours les mêmes crisses de sandwichs au baloney dégueulasse depuis des années.

On arrive à RDP : surpopulation. On ne trouve aucun endroit où nous mettre; il n'y a même pas de place dans les salles d'attente habituelles. On étire en longueur les «procédures», à dessein, puis finalement on nous entasse dans un minuscule bull-pen. Les gars parlent de leurs blondes la plupart du temps, parce que selon mes statistiques ponctuelles, 80 % des détenus sont là pour «violence conjugale», un bien grand mot, le reste c'est pour la drogue. Un gars nous racontait que quand sa Cubaine avec qui il avait trois enfants était écoeurée de le voir et voulait avoir la paix pour pouvoir fourrer avec son amant, elle appelait la police et l'accusait de toutes sortes de choses. La police l'embarque sans hésiter et il se retrouve alors pris dans les «procédures» pour plusieurs jours. Puis, sa blonde retire les accusations : mais le mal a déjà été fait : il a passé trois ou quatre jours à dormir sur des plaques de métal et à pas pouvoir se laver, tout en se faisant gaver de sandwichs écoeurantes au baloney midi et soir.

On nous a conduits dans une petite salle qui faisait penser à un débarras, et là, on nous a dit qu'on allait devoir dormir par terre. J'en revenais pas : il n'y avait aucune cellule de libre! Les gardiens nous ont distribué de minces couvertures d'armée, puis on s'est cordé comme des sardines le mieux qu'on pouvait, et on a essayé de dormir avec les néons en pleine face toute la nuit. J'avais les pieds de mes voisins qui arrivaient près de ma tête, mais eux aussi ils avaient les miens, bref, tout se compensait en puanteur.

Le lendemain, on nous réveille avec du café à l'eau de vaisselle et une boite de Rice Krispies. Les gars font du chain smoking, comme depuis le début, et c'est pour ça que j'avais tant de difficulté à respirer. Mais un gars en particulier fume terriblement : un camionneur grec, cinquantaine, l'air d'un bon papa, mais fêlé un peu lorsqu'il boit, impulsif avec un grand coeur, très émotif. Complètement paf, il avait défoncé la vitrine d'un fleuriste pour offrir des roses à sa femme. Ensuite, quand on l'avait arrêté, il avait défoncé les vitres arrière du véhicule avec des coups de pieds : erreur de trop qu'il n'aurait pas dû faire. Sans cela, il aurait pu s'en sortir sans faire de temps, mais là, il allait devoir jouer aux cartes en dedans pour un petit bout.

On nous annonce que c'est bientôt le temps de rejoindre une cellule : on me donne des draps de lit avec des trous de mégots : ça regarde pas bien, me dis-je. La porte s'ouvre et on entre dans le bloc cellulaire : de la saleté, beaucoup de monde, des gangs, de sales regards, des graffitis faits au lighter. L'air est lourd et tendu : il semble y avoir des clans : d'un côté les noirs, de l'autre les latinos et les blancs. Je me dépêche de rejoindre ma cellule, en me disant que je ne survivrais pas longtemps parmi cette racaille, à moins de devenir très violent. Ma cellule est dans le désordre le plus complet, avec de la vaisselle sale, des résidus et des détritus partout, et les murs sont couverts de graffitis noirs faits avec des briquets. En dix ans, RDP est passée de prison à sécurité maximum neuve, belle et propre, à prison finie. Les prisonniers ont pris le contrôle de l'endroit, et c'est désormais très dangereux.

Mon compagnon de cellule est un peu déçu, parce qu'il sait qu'il va devoir rester dans cette merde et essayer de survivre. Il sait que je vais quitter bientôt et ça lui donne envie de partir lui aussi. On commençait à être amis, depuis les quelques jours où on a été trimballés ensemble. Puis l'impossible se produit, on m'appelle : je suis libéré. Je lui souhaite bonne chance et puis je retourne dans les «procédures». Fourgon cellulaire, attente, étouffement; on nous donne des tickets de bus. Le fourgon fait un bout de chemin puis nous largue sur le bord d'une route déserte, dans le froid glacial. Personne ne sait comment sortir de cet endroit. On nous a donné vaguement des instructions, mais le bus est tellement loin et il y a tellement de façon de se perdre, qu'on risque bêtement de mourir là, «libres», mais gelés.

On marche sans savoir où on s'en va, dans la sloche, puis à un certain moment je cours, parce que mes mains et mes pieds sont gelés. Je cherche une personne, un signe de vie, quelque chose qui pourrait nous indiquer où se trouve l'autobus, mais il n'y a rien : que des routes, de la sloche et des conifères. Nous sommes totalement perdus. À une bifurcation je me dis que si je choisis le mauvais chemin, je suis mort. La situation est cruelle : ce que je désirais tant, ma «liberté», va possiblement me coûter la vie ou au minimum, quelques membres estropiés à cause du froid.

En comptant mes dernières minutes à vivre, puisque personne ne trouvait de solution, un gars est arrivé de nulle part, probablement de loin en arrière, et nous a indiqué le chemin qu'il avait déjà fait une fois. Je sais aujourd'hui que sans lui, on n'aurait pas pu nous rendre à l'autobus : le chemin était beaucoup trop compliqué et il était impossible de voir l'arrêt avant d'y être arrivé. De plus, une fois là, le bus a mis un bon bout de temps avant de passer, tellement qu'on se demandait si c'était vraiment un arrêt encore en service. J'espérais, on espérait, on hallucinait des autobus, parce qu'on était gelés dur en sacrament.

Au bout d'une heure de désespoir, un bus fini est apparu : on pensait que le moteur allait lâcher. La carcasse a tenu bon, puis on a dévalé dans le métro comme des fous heureux, des rescapés d'Auschwitz et on s'est dispersé. J'ai pu enfin rentrer chez moi et me laver en profondeur. Mes vêtements étaient tellement sales que j'ai pensé à les jeter à la poubelle. Dix ans plus tard, pensai-je, je me suis retrouvé encore une fois dans ce merdier. C'est incroyable, me dis-je, comment cela a-t-il pu m'arriver? Je n'y comprends rien, me dis-je, c'est incroyable, et je n'arrêtais pas de me répéter c'est incroyable, c'est incroyable, en sortant de la douche devant le miroir, alors que je rasais la barbe de ma mésaventure.

Une autre journée de marde

J'ai fini ma Coup de Grisou hier soir, me suis endormi un coup en regardant un documentaire sur Rome, puis me suis réveillé en plein milieu et suis parti acheter la crème glacée que je voulais plus tôt au IGA. En m'habillant, encore tout endormi, je fais un speech sur la politique à ma blonde qui veut juste lire son roman d'horreur en vogue, Millénium. Elle me presse de sacrer le camp, mais j'en rajoute, me parlant en quelque sorte à moi-même en bafouillant, la bouche empâtée.

Je marche vers l'épicerie, quelques gouttes tombent, il va pleuvoir bientôt. Je ne sais pas trop quoi acheter comme crème glacée : je veux de la Haagen machin, mais ils ont éliminé leurs meilleures sortes et en ont mis des pas bonnes. Y a toujours celle au café que j'aime bien, mais je bois tellement de café et de bière que mes reins vont probablement exploser si j'en mange. Alors je prends des nouvelles sortes cachées dans le fond du fridge et pleines de givre. Un pot à la menthe et un au biscuit, en spécial. Ensuite, je veux autre chose, mais pas des chips, j'en mange trop, alors je me dirige vers le rayon à cochonneries. Là je vois des jujubes, je prends le sac; j'aime ceux au citron et ceux à la réglisse. Je prends aussi une grosse canne de raviolis Boyardee.

Ensuite je pense à des saucisses, je vais chercher les grosses Schneider, mais à cause du spécial il ne reste que les épicées, j'en prends en me disant que je vais les essayer. Finalement, j'aurai dépensé vingt piasses de cochonneries, je suis pas trop fier de moi. Je sais que ma blonde va être en crisse parce qu'elle se force pour faire une diète et je sais qu'elle aime les jujubes. En arrivant, elle me réprimande, et je lui explique que je n'ai pu résister.

Ce matin, je me réveille trop tard. Vraiment décâlissé par la pluie et la noirceur. J'ai bouffé hier soir avant de me coucher ma canne de raviolis que je n'ai pas aimés. Puis, les jujubes que je n'aime pas non plus, ma blonde les a pris ce matin pour les amener chez mes beaux-parents. La crème glacée est encore dans le fridge, j'en ai pris trois cuillères de chaque : je ne les aime pas. Il me reste les saucisses, mais j'en ai tellement mangé ces dernières semaines que je n'aurai probablement pas de plaisir à les manger. Bref, il me reste rien pour jouir un peu. J'ai des lectures à faire, mais j'ai tellement emprunté de livres que je me sens écrasé et je ne commence jamais rien. Je vais aller prendre une bonne douche, me mettre un peu d'after shave pour me donner un peu d'aplomb, tout seul ici, dans mon apparte, puis je vais m'asseoir à mon bureau, tout propre et sur le piton pour rien, en regardant la pluie tomber, avec mes livres on the side, en espérant que quelque chose en sorte et que mon cerveau décolle.

Penny la manipulatrice

Ce matin je dormais bien confortablement, en me remettant de ma petite virée d'hier soir, je tardais donc un peu. Soudainement, j'entends des cris inhabituels provenant de la cuisine, des cris de détresse, comme si mon chat avait une patte coincée quelque part, et ils étaient continus et très forts. Alors j'ai essayé de la calmer comme d'habitude en lui parlant à partir de mon lit (puisque je connais ses manigances), mais ça ne marchait pas. J'ai vite réalisé qu'il y avait un problème, j'ai sauté hors du lit en panique, l'oreiller étampé dans la face, pour voler à la rescousse de Penny, et qu'est-ce que je vois dans la cuisine? - un petit minet qui se pourlèche les babines en trottinant...

Elle a sauté sur le divan pour continuer de faire sa toilette, et puis moi, en maudit, le coeur qui bat la chamade, j'ouvre tous les stores, puisque c'est ce qu'elle voulait : elle voulait avoir du soleil, Madame. Je lui ai lancé : té contente là, t'as eu ce que tu voulais. Puis j'ai appelé ma blonde pour lui raconter l'histoire, elle était crampée. Elle trouve sa chatte ben intelligente.

samedi 27 juin 2009

Vanilla Love

Je me fais souvent accuser d'être «vanille». C'est vrai en partie. J'aime les choses pratiques, basiques, simples, pures, «dépouillées» pourrais-je dire. J'ai un idéal de «pureté», mais surtout de simplicité et de naturel, et ici, je pense aux femmes, à l'architecture, aux idées, à la philosophie, à la musique peut-être. Autrement dit, mon idéal en est un d'efficacité dans la simplicité.

En revanche, je n'aime pas les gens qui n'apprécient pas les finesses et la subtilité des choses et qui ne pensent qu'au pratique, ce dont on m'accuse souvent à tort à cause de mon côté «vanille». J'ai aussi un côté très extravagant et loin d'être conventionnel, mais je n'aborderai pas le sujet. Ce qui me fait aller souvent droit aux choses c'est, je crois, le fait que je pogne facilement les nerfs. Peu importe.

Exemple : après avoir fait toutes les positions du kama-sutra et s'être cassé le dos et la queue cinquante fois, on apprécie avec un réel bon sens naturel et rempli de simplicité intelligente la bonne vieille position du missionnaire. C'est après avoir fait le tour qu'on revient à ce qui était le meilleur au départ. Mais, vanité oblige, on préférait faire de la gymnastique : ce qui est le propre des jeunes, toujours flamboyants pour rien. C'est «beau» la jeunesse... Vos prochaines positions vous devrez probablement les faire chez le chiro.

Sex Friday

J'ai fait des rêves cochons une bonne partie de la nuit, et je me souviens que dans mon rêve je baisais une fille, et je recommençais et recommençais, une dizaine de fois. C'est la chaleur extrême je crois qui me tombe sur la tête. En me levant j'ai pensé au fait que mon corps reconnaît peut-être cette chaleur et l'associe au sexe, car j'ai beaucoup baisé durant les étés de ma tendre jeunesse. À seize ans je fourrais déjà une belle femme de dix ans mon aînée, une nouvelle dans le métier de danseuse, nympho à ses heures; elle venait de France et partait travailler à Toronto en faisant un stop chez moi à Montréal. Par contre, je la soupçonnais de faire là-bas un peu plus que danser : elle faisait pas mal de fric. J'ai beaucoup aimé cette femme qui sentait si bon, elle sentait le rêve.

Peu importe. Le sex friday, c'est ce vendredi où je suis parti à la chasse aux femmes dans les bars. Je me suis retrouvé dans le Mile-End, j'ai rencontré une juive un peu grassette présentée par une «amie» (ancienne maîtresse), tout s'est déroulé très vite. Je l'ai kidnappé du bar, on s'embrassait à qui mieux mieux dans la rue, nous sommes allés chez elle. Après une petite séance de réchauffement sur le divan, on est passé aux choses sérieuses. Je me souviens de la scène : son lit courbé, moi sur elle et je me regarde la queue aller dans sa chatte par un miroir placé sur le côté du lit, fait spécialement pour ça. Ensuite, il était encore tôt dans la nuit, je suis reparti et ayant encore une envie de baiser, je me suis dirigé tout droit vers un bar du Plateau et j'ai eu le temps de me trouver une autre femme. Je voulais m'en taper trois dans une soirée dans trois bars différents, question de record personnel, mais j'allais devoir me limiter à deux parce que la drague a été plus longue avec la deuxième. C'est pour ça que les amis sont pratiques pour les rencontres, ils permettent d'accélérer le processus et instaurent un climat de confiance.

En ce qui concerne l'ancienne maîtresse, j'ai reçu un coup de fil le lendemain à ma grande surprise (car c'est toujours moi qui l'appelais auparavant) : elle m'invitait à souper. Elle était curieuse de ce qui s'était passé le soir d'avant, et je crois que ça la dérangeait un peu le fait que je l'ai sacré là pour partir en fourrer une autre : que veux-tu? Té pas branché? Tu sais pas ce que tu veux? Moi je veux fourrer, fourrer, fourrer, capiche? Cette queue elle va en fourrer des chattes, parce qu'elle est passée trop proche de crever plusieurs fois, en partie à cause de ce maudit amour romantique, et si tu veux pas fourrer là, ce soir, right now, et bien bye bye je pars avec une autre et je me fous que ce soit ton amie, je la saute quand même. Elle est peut-être moins belle que toi, et beaucoup moins sophistiquée, mais elle au moins, elle fait «la job».

Le sport ne m'intéresse pas

Les nouvelles du sport me passent tellement au-dessus de la tête, que je ne trouve rien de plus ennuyant que cette mention des gagnants et des perdants, du pointage, du repêchage, des blessures, etc. Je n'écoute aucun sport. Pourtant, j'ai été longtemps un sportif : j'ai été un joueur de water-polo et de soccer pendant plusieurs années, ensuite je me suis tourné vers la boxe, par après un peu d'arts martiaux comme le kung-fu, le karaté et surtout l'aïkido, art magnifique que je repratiquerais n'importe quand (au temps où il y avait encore des cours abordables, mais aujourd'hui, sort ton portefeuille). J'ai fait de vrais combats de boxe. J'étais assez bon à l'époque pour me mesurer contre le champion du Québec dans ma catégorie. Peu importe, un beau jour j'ai tout sacré ça là, j'ai été jouer un peu au football, que j'ai détesté à cause de tout l'attirail stupide, puis ensuite, plus rien. J'aurais joué au rugby, mais on est tellement américanisé au Québec qu'on ne connaît même pas ça.

Il faut dire que très jeune déjà, je courais des 20 km et je m'entraînais intensivement avec des poids. J'avais beaucoup d'énergie à revendre et une libido assez élevée. Les rêveries érotiques ont toujours été une grande source de perturbation chez moi, et je voulais tellement m'en débarrasser que je me suis mis à courir et à m'entraîner à l'excès (parce que l'astiquage de moine ne suffisait pas). Finalement, c'était inévitable, je me suis blessé plusieurs fois, et j'ai commencé à remettre toute cette frénésie du sport en question. Selon moi, ce qui manque le plus à un jeune homme, ce n'est pas de faire du sport, mais que des chattes s'ouvrent pour faire l'amour : c'est là qu'est le vrai sport pour l'homme, le reste n'est qu'un succédané.

vendredi 26 juin 2009

Sex Friday

J'ai fait des rêves cochons une bonne partie de la nuit, et je me souviens que dans mon rêve je baisais une fille, et je recommençais et recommençais, une dizaine de fois. C'est la chaleur extrême je crois qui me tombe sur la tête. En me levant j'ai pensé au fait que mon corps reconnaît peut-être cette chaleur et l'associe au sexe, car j'ai beaucoup baisé durant les étés de ma tendre jeunesse. À seize ans je fourrais déjà une belle femme de dix ans mon aînée, une nouvelle dans le métier de danseuse, nympho à ses heures; elle venait de France et partait travailler à Toronto en faisant un stop chez moi à Montréal. Par contre, je la soupçonnais de faire là-bas un peu plus que danser : elle faisait pas mal de fric. J'ai beaucoup aimé cette femme qui sentait si bon, elle sentait le rêve.

Peu importe. Le sex friday, c'est ce vendredi où je suis parti à la chasse aux femmes dans les bars. Je me suis retrouvé dans le Mile-End, j'ai rencontré une juive un peu grassette présentée par une «amie» (ancienne maîtresse), tout s'est déroulé très vite. Je l'ai kidnappé du bar, on s'embrassait à qui mieux mieux dans la rue, nous sommes allés chez elle. Après une petite séance de réchauffement sur le divan, on est passé aux choses sérieuses. Je me souviens de la scène : son lit courbé, moi sur elle et je me regarde la queue aller dans sa chatte par un miroir placé sur le côté du lit, fait spécialement pour ça. Ensuite, il était encore tôt dans la nuit, je suis reparti et ayant encore une envie de baiser, je me suis dirigé tout droit vers un bar du Plateau et j'ai eu le temps de me trouver une autre femme. Je voulais m'en taper trois dans une soirée dans trois bars différents, question de record personnel, mais j'allais devoir me limiter à deux parce que la drague a été plus longue avec la deuxième. C'est pour ça que les amis sont pratiques pour les rencontres, ils permettent d'accélérer le processus et instaurent un climat de confiance.

En ce qui concerne l'ancienne maîtresse, j'ai reçu un coup de fil le lendemain à ma grande surprise (car c'est toujours moi qui l'appelais auparavant) : elle m'invitait à souper. Elle était curieuse de ce qui s'était passé le soir d'avant, et je crois que ça la dérangeait un peu le fait que je l'ai sacré là pour partir en fourrer une autre : que veux-tu? Té pas branché? Tu sais pas ce que tu veux? Moi je veux fourrer, fourrer, fourrer, capiche? Cette queue elle va en fourrer des chattes, et si tu veux pas fourrer là, ce soir, right now, et bien bye bye je pars avec une autre et je me fous que ce soit ton amie, je la saute quand même. Elle est peut-être moins belle que toi, et beaucoup moins sophistiquée, mais elle au moins, elle fait «la job».

jeudi 25 juin 2009

Lecture de Marx

Je me suis finalement décidé à lire Le Capital de Marx. Je sais pas combien de fois j'ai acheté ce bouquin puis l'ai revendu sans l'avoir lu. Faut dire que les éditions que j'achetais étaient imprimées en très petits caractères et que je me cassais les yeux, en plus d'avoir en bas de page des tonnes de notes encore plus petites, rien pour m'encourager. J'ai trouvé chez Folio une belle édition propre, imprimée en caractères normaux, sans acariens.

Je me suis décidé parce que je voulais lire Horkheimer, mais ne le trouvait nulle part, tous ses livres étant discontinués à ma grande désolation; même la bibliothèque de l'université ne possède presque rien. Je me suis replié sur Adorno et ses Réflexions sur la vue mutilée, que je ne trouve pas excellent jusqu'à maintenant, mais c'est vraiment Horkheimer que je voulais lire en premier.

Un peu frustré, j'ai commencé à feuilleter Marx, le livre qui séchait sur ma tablette depuis deux mois. Je connaissais certains détails de sa vie, qu'il avait souvent eu des problèmes d'argent, la maladie, etc., en plus de travailler comme un forcené pour pouvoir publier en lisant au minimum un livre par semaine sur les sujets qu'il traitait, notes comprises. Il abattait le travail.

Par la suite, en avançant dans l'introduction, qui est toujours très longue et décourageante pour ce genre de livre, je suis tombé sur la phrase «Abattre l'État». Ça m'a tout de suite décidé.

mercredi 24 juin 2009

La dictature des jambons

Les jambons, ce sont ceux qui ne veulent jamais faire de mal à personne, mais qui finalement, en font toujours à tout le monde. Ils pensent qu'il suffit de vouloir le bien pour le faire.

Henri Charrière, qui avait été emprisonné sur l'Île du Diable en Guyane Française disait en revisitant les lieux de la prison maintenant fermée, qu'il était impossible que cette prison ait définitivement disparu, car sa conception, ses objectifs, son horreur, sortaient de l'esprit des hommes, et que les véritables barreaux étaient dans l'esprit, prêt à se reconcrétiser ailleurs à tout moment. Cette prison était administrée par les gens «honnêtes» et elle était pétrie de «bonnes intentions» par cette société là-bas, au loin, qui ne veut jamais rien voir des conséquences réelles et finales de ses choix et de ses actions.

Des gens «honnêtes», des jambons, j'en ai rencontré en masse quand j'ai commencé à faire la rue à 22 ans, un peu contre mon gré. J'étais sur la rue Champlain et ils me rôdaient autour comme des vautours, on les appelait des «circle jerks». Ils tournoyaient toute la soirée sans acheter la plupart du temps; je finissais par leur faire un finger lorsqu'ils repassaient, et là ils comprenaient qu'ils devaient foutre le camp et laisser la place aux vrais clients. Je les voyais dans leur auto, bague de marié, type papa vieillissant qui ne veut plus baiser avec sa femme et préfère désormais une queue, peut-être après s'être découvert, ou entretenant un long mensonge avec sa femme et ses enfants. Ce sont les jambons, et ces salauds tiennent à leur réputation. Tout se fait en catimini et en secret, en louvoyant, de façon hypocrite; ce sont les mêmes qu'on célèbre sur la tribune publique comme étant les gens «honnêtes».

En surface, ils affichent constamment le masque des «bonnes intentions», mais derrière, sous la surface, au fond d'eux-mêmes, il y a la bête, et prennent bien soin de la cacher. Ceux-là ne paient pas pour leurs désirs «inavouables», car ils jouent bien leur jeu, ce sont des menteurs et des comédiens professionnels; mais ceux qui ne jouent pas de jeu, ou le jouent mal parce qu'ils s'en foutent plus ou moins, paient, et souvent ce sont ces mêmes pervers «honnêtes» qui les font payer. Au fond, ils ne leur font payer que leur honnêteté, car la leur est bien réelle contrairement à eux. Ce sont les forts, mais ils subissent le joug des faibles qui sont plus nombreux.

Je parle de tout ça car j'ai vécu les pires injustices de la part de gens qui voulaient «sauver le monde», mais ne voyaient pas devant eux la personne à qui elles causaient un tort irréparable, puisque les «idées», bien sûr, sont toujours plus réelles dans la tête des gens «honnêtes» que les personnes auxquelles elles sont censées s'appliquer. Finalement, ces belles idées utopiques ressemblent plus à une excuse pratique et universelle pour causer un tort réel à des individus en particulier, et laisser cours à la cruauté innée de l'homme. L'histoire est écrite à l'envers. Les bonnes intentions sont vraiment diaboliques et l'homme n'est jamais aussi bon qu'il aimerait le croire.

Ce sont les mêmes qui vont se gaver de nouvelles sur les misères des autres. Si au moins ça pouvait satisfaire la cruauté et la méchanceté des êtres humains, mais loin de là, ça ne fait que donner un peu de sang à la bête, la rendant ainsi encore plus féroce. Il faut «voir» souffrir, en être témoin, mettre l'épaule à la roue pour écraser son voisin tout en affichant son «optimisme», son sourire assassin, etc. Il faut qu'il y ait des marges, et qu'on puisse pousser certaines personnes dedans pour se sentir «heureux». La pauvreté, la prison, les mauvaises conditions sociales, les palais de justice : le même jeu d'exclusion. Hannah Arendt en avait fait la constatation en réfléchissant sur la banalité du mal : les «jambons» sont capables des pires atrocités, et ce ne sont jamais eux qui sont dans les prisons, car on ne les «détecte» jamais tellement ils paraissent «normaux» et «bons». En fait, il ne font seulement qu'appliquer ce qu'on leur a montré comme des automates, sans aucun sentiment réel, et il suffit de leur montrer autre chose en leur faisant comprendre que c'est «bon» pour qu'ils le fassent.

Coincé comme un rat

Le triple con, mais avec du guts, impulsif à souhait, ambitieux, vient cogner à ma porte de chambre d'hôtel. Il est juste en haut, et j'entends le lit brasser pendant que je fume ma coke. Il fourre la nouvelle pute du coin torontoise, élancée, maigrichonne, mais belle, de beaux cheveux longs blonds. Il l'a eu, à force de dope. Il me demande des condoms, alors que je suis gelé au max. Il en a besoin, alors qu'il n'en utilise jamais, il veut la fourrer dans le cul. L'évocation m'excite. Je lui donne les condoms, il retourne en haut. Le lit continue à taper au plafond. Il a eu sa chance, imaginons qu'il a bandé mou, ça aide à faire passer.

Je l'ai revu quelques années plus tard dans une soupe populaire, un vrai détraqué, téméraire, qui n'en avait plus pour longtemps à vivre. Il revenait du Mexique après avoir fait un gros coup, il avait fumé tout l'argent. Je trouvais ses plans trop risqués. Il narguait les poids lourds du crime organisé, et Dieu sait ce qui arrive dans ce temps-là. Aujourd'hui il est soir mort, soit en dedans pour du gros temps, soit sidatique, soit informateur, soit toutes ces réponses. De mon fauteuil près des autres débiles de la soupe, je voyais clair dans son «avenir» : il était coincé comme un rat.

Le vieux soldat

J'étais assis sur mon balcon en train de profiter du soleil d'été, un peu vedge, et je pouvais jurer que le voisin d'à-côté ne parlait pas tout seul, car je croyais qu'il était fou, mais qu'il me parlait à moi, assis tranquillement de son côté en buvant sa quille, séparés que nous étions par une division en verre. Il me proférait des insultes en prétendant parler aux oiseaux ou en prétendant commenter la circulation, les autos juste en bas de nous, ou encore des gens qui passaient; je voyais sa silhouette au travers de la paroi de verre, il ne regardait jamais en ma direction, mais toujours de côté, il continuait à me lancer des insultes indirectement en faisant de petites allusions dans lesquelles je reconnaissais quelques détails m'appartenant. Je ne savais pas quoi faire, je me disais qu'il était fou ou très probablement saoul, et je n'avais pas envie de repartir une guerre avec un voisin pour la xième fois.

Une fois, la police est venue cogner à sa porte pour lui dire d'arrêter le tintamarre. Il a tenu tête aux policiers; c'était une carcasse malingre, crâne rasé, l'oeil mauvais, tonitruant, le type dont tu t'éloignes pour éviter le trouble; il leur a déballé son histoire de soldat maboul, et j'ai tout entendu dans cet édifice de papier-mâché, où il fallait s'habituer à connaître tout de la vie sexuelle des autres, et vice-versa. Impossible d'avoir une vie intime dans un appartement où les murs sont un pouce d'épais. J'entendais même les voisins chuchoter la nuit lorsque tout est tranquille.

Je me disais, ça y est, ils vont l'embarquer et on va avoir la paix. Les policiers s'en sont retournés, ils avaient apparemment du respect pour ce pauvre disjoncté qui leur gueulait à la face toutes ses insanités. Là, j'ai compris qu'il était un peu plus coriace que je pensais. Puis, le temps a passé, l'hiver est venu, on s'est retrouvé au printemps. Un beau jour, je me suis penché pour voir ce qui se passait sur son balcon, parce qu'un de mes chats, Chucky, que je n'aimais pas beaucoup, il mangeait mes fils de télé, d'ordi, traversait toujours de l'autre côté. J'ai découvert un immense champ de mines dans la neige : mon chat détestable avait chié sur son balcon tout l'hiver. Voulant éviter une guerre totale, j'ai cogné à sa porte et lui ai demandé s'il voulait que je ramasse la marde de mon chat. Il me répondit : «Ben non, je vais la ramasser, ça ne me dérange pas du tout, j'adore ce chat.» J'étais surpris de la réponse, je m'attendais plutôt à une vraie chicane, j'ai insisté, mais il n'a pas voulu. Il était en fusion avec mon chat dysfonctionnel.

Quelques mois plus tard, je suis à l'hôpital, ma blonde est en train de mourir d'un lymphome. Je viens la visiter tous les jours complètement désespéré, saoul, gelé, je lui apporte des fruits qu'elle ne mange pas, je ne sais même pas si elle se rend vraiment compte que je suis là de toute façon. Sa nouvelle voisine de chambre est une régulière du trottoir, complètement finie, que je n'ai pas de peine à reconnaître; elle vient de fumer un joint en cachette et ça sent dans toute la chambre. Contrairement à d'habitude, il n'y a rien pour m'asseoir, alors je vais dans la chambre d'en face pour chercher une chaise. J'entre dans la chambre et je prends la chaise, en me retournant pour mieux regarder le patient qui est immobile dans son lit, je reconnais mon voisin.

Il me dit : «Comment va Chucky?» Puis, après quelques paroles d'intro il en vient directement au fait : «J'ai un cancer généralisé, il me reste quelques jours à vivre. C'est fini pour moi, vraiment fini.» Je ne savais pas comment réagir, j'étais désolé, mais je ne savais pas comment lui montrer. Puis j'ai compris que ce type ne m'avait jamais détesté, mais qu'il pestait contre sa condition qu'il devait probablement connaître depuis un certain temps : il savait qu'il allait mourir, mais il gardait ça pour lui. Mon chat détestable lui tenait compagnie alors qu'il n'avait plus personne.

Trois jours plus tard, on ouvrit la porte à côté : c'était vrai cette fois, on venait ramasser le peu de choses qu'il avait. Il était mort. J'avais eu le temps dans sa chambre de sympathiser avec lui avant qu'on l'emmène dans le pavillon des mourants, c'était un bonhomme très gentil; puis on s'est salué une dernière fois et je suis reparti avec la chaise. Encore plus dépressif parce que j'étais maintenant entouré de mourants, je suis revenu dans la chambre en racontant l'histoire à ma blonde.

Elle s'en est finalement sortie, au bout d'une longue lutte et avec mon soutien inconditionnel pour la faire sortir de là. Je l'ai souvent kidnappé de l'hôpital pour l'emmener voir les écureuils dans le parc Lafontaine en chaise roulante. Puis j'essayais de lui faire manger de la poutine, qu'elle dégueulait aussitôt; elle était tannée des solutés. La première chose qu'elle a faite quand je l'ai ramené à la maison, c'est se diriger vers le dépanneur pour acheter des cigarettes, je n'ai jamais réussi à la convaincre d'arrêter; elle était faible et je ne me suis retourné qu'un instant alors que je la supervisais et elle est tombée sur le dos comme une planche dans la ruelle. Je l'ai relevé, elle n'était pas blessée, mais elle tenait encore bien fermement sa cigarette. C'est à ce moment que je sus que la santé était revenue.

Créature usagée

Elle passe près de moi, s'éloigne de son poste Internet pour aller demander quelque chose. Je remarque l'allure élancée, le teint de la peau, surtout le bas des jambes, les pieds, puisqu'elle est en sandales. Visage blême, cheveux longs brun foncé, quelque chose de malade ou de vieux, d'écorné, m'attire aussitôt. Probablement renfermée, mon type, décadente, intelligente, perverse, ou peut-être maniaque du ménage? -ça, j'aime moins. Quarantaine, ou pas loin, ou plus; un peu de cellulite, un détail compensé par le reste. Il y a toujours l'excitation de coucher avec une vieille, une femme bien mûre, bien juteuse, bien jouissive. À fond la queue. De grands pieds racés, qui laisse supposer des fesses autrefois férocement convoitées, mais ce n'est qu'un coup d'oeil, peut-être fais-je de la projection, de mon fantasme. Mais je pense toujours contre mes tripes, sans grande valeur. Vaut mieux être gentil et courtois et me détourner. Ce n'est pas pour moi, en principe. Ainsi, je suis un chien, et je coupe les possibilités. Je préfère continuer à me jouer après la guedille en évitant les emmerdes. Mon fantasme vient de me passer dans la face, et peut-être la mort aussi. Calmons-nous avec un peu de Sénèque, cet autre salaud.

À propos d'un ancien nazi

Elle avait essayé de lui faire une pipe, mais ça lui faisait trop mal à la prostate. Elle l'avait rencontré dans le cadre de son «travail de rue». Il allait devenir par la suite un ami, au lieu d'être un simple client. Ce que je n'appréciais pas trop.

Avec le temps elle s'attacha à lui comme à un papa, lequel d'ailleurs elle n'a jamais connu, sauf des papas de fortune dans les familles d'adoption. C'était un vieillard haïssable qui collectionnait les élastiques et les pots de beurre de peanut. La finition du décor dans sa maison était restée en suspens depuis l'accident de sa femme qui l'avait paralysée et rendue aphasique. Elle était dans une chambre au fond, parallèle à la chambre du couple, clouée dans un lit depuis vingt ans, incapable de parler ni de comprendre facilement ce qu'on lui disait. Il fallait surtout utiliser des images pour savoir par exemple ce qu'elle voulait manger. J'ai trouvé ça horrible, puisque si elle préférait mourir, elle ne pouvait même pas l'exprimer. Je l'ai trouvé gentille, une grand-maman comme les autres, mais de plus en plus mécontente disait-on.

En plus de collectionner des vidanges, le vieux collectionnait aussi de belles bouteilles de vin dispendieuses. Elles étaient dans son cellier, spécialement aménagé au sous-sol; d'ailleurs, le sous-sol ne servait qu'à cela, à part d'avoir des outils ou des bricoles qui traînaient un peu partout. Cette maison n'avait qu'une visée «pratique», l'esthétique avait été oubliée, soit par manque de l'élément féminin, soit par paresse. Ma blonde faisait le ménage, préparait les repas, prenait soin du vieux, de sa femme paralysée et changeait aussi les couches et aidait pour la déplacer. Lorsque je disais plus tôt que la dame était de plus en plus mécontente, on en avait une preuve quand ma blonde venait juste de changer sa couche et qu'elle chiait à nouveau par exemple, juste au moment où elle devait quitter. Elle ne chiait pas «tout» la première fois pour pouvoir la garder plus longtemps avec elle, parce qu'elle s'ennuyait à mort, ou elle faisait cela pour la faire chier à son tour, selon l'humeur du moment. En tout cas, ce qu'on sait c'est que lorsque ma blonde partait, ça la faisait chier plus souvent qu'autrement.

Un jour, il lui a avoué qu'il avait été soldat nazi en Allemagne. Moi qui étais fasciné par la Deuxième Guerre, je lui ai demandé de lui tirer les vers du nez. Il avait été aviateur très jeune, 16 ans je crois, et il avait tiré et bombardé beaucoup de monde de son avion. En tout cas, ma blonde me disait qu'il criait dans son sommeil et qu'il faisait des cauchemars épouvantables. Il avait très mauvaise conscience des actes qu'il avait commis. C'est pour ça qu'il faisait du bénévolat quelque part, je sais pas quoi, mais je sais qu'il participait à des causes pour aider les gens. À part d'être une gratte-cenne, il avait apparemment un coeur, pour les putes surtout. Moi, quand j'appelais chez lui pour savoir qu'est-ce qui se passait avec ma blonde, il consultait l'afficheur, répondait en me traitant d'«emmerdeur» et me raccrochait au nez. Évidemment, il ne savait pas de quoi j'étais capable. Dans ce temps-là, je fumais du crack pour déjeuner, j'étais assez fêlé. J'ai décidé de passer outre et de faire comme s'il était fou, après avoir bien sûr pété une méchante coche. J'avais pas envie de me retrouver encore en dedans pour un vieux con, et en plus ma blonde ne l'aurait pas pris, elle l'aimait trop.

Les enfants du bonhomme ne venaient jamais le voir et l'avaient pratiquement abandonné depuis des années. Il détestait ses filles pour ça; il savait qu'elles revenaient le voir parce qu'il allait crever bientôt : on lui avait diagnostiqué un cancer généralisé. Elles se battaient déjà pour savoir qui allait avoir quoi. Elles avaient peur aussi qu'il lègue tout à une pute, rencontrée par hasard au coin d'une rue. L'une d'elles, F., à qui il avait fait confiance et lui avait laissé les clés de la maison, lui avait volé toutes ses bouteilles de vin en compagnie d'un «chum» de passage qui avait ouvert le coffre de son char en reculant dans le driveway. Elle s'est tellement piquée avec l'argent des bouteilles, qu'ils l'ont retrouvée morte d'une overdose dans une ruelle d'Hochelaga. Le vieux était profondément attristé, par le vol des bouteilles qu'il avait collectionné pendant des années sans jamais pouvoir les déguster, et par la mort de la fille qu'il avait essayé pendant des années de redresser et de sortir de la rue.

Il devait prendre sa chimiothérapie, mais ça lui faisait tellement mal dans tout le corps qu'il a décidé d'arrêter et de se laisser mourir. Ensuite, on lui a prescrit de la cortisone, mais ça l'affaiblissait trop, et il a arrêté de prendre ça aussi. Quand la mort t'accule au mur, y a rien à faire. La première fois qu'il m'a conduit chez lui avec ma blonde, il conduisait si vite que je devais m'accrocher en arrière pour ne pas basculer. Il voulait me montrer qu'il est un «homme», le pauvre con. C'est typique. Quand j'ai su que ma blonde était malade du sida, et que moi, miraculeusement, je ne l'avais pas, nous n'avons plus couchés ensemble, et nous nous sommes séparés graduellement. Après deux ans, j'ai commencé à regarder ailleurs, ça lui a fait beaucoup de peine, à moi aussi; j'avais mauvaise conscience en l'abandonnant, mais je ne pouvais rien y faire. Je lui ai expliqué que je ne pouvais pas rester ma vie à attendre, et que je devais poursuivre ma vie, que je devais m'en aller. Ce furent des moments très difficiles, déchirants; j'ai fini par quitter, et refaire ma vie dans le bon sens. Elle a continué à prendre soin de son vieux, qui l'avait accepté comme elle était, et lui prodiguait, certainement, un certain réconfort. En même temps, je lui disais de se préparer psychologiquement à son départ, parce que ça allait être un autre coup dans sa vie, qui n'a jamais été facile.

Un beau jour j'ai reçu le téléphone inéluctable : le vieux nazi était mort. Mon ex m'a raconté qu'un soir il avait mal aux côtes, il s'est donc rendu à l'hôpital pour savoir ce que c'était pendant que mon ex continuait à prendre soin de sa femme paralysée. Il n'est jamais revenu. Ils l'ont couché dans un lit, lui ont donné de la morphine et au matin il était mort. Elle n'a jamais pu lui faire ses adieux, et c'est ce qui la traumatisait le plus. J'ai essayé de la réconforter le plus que je pouvais, alors qu'elle sanglotait très fort au téléphone, et j'ai réussi jusqu'à un certain point, puisque j'étais son seul et réel réconfort; elle n'avait ni famille ni amis depuis longtemps, même pas sa fille qui avait été kidnappée par sa soeur qu'elle n'a plus jamais revue.

Aujourd'hui, elle continue à visiter sa femme qui est dans un centre de soins. Elle se rend en autobus lorsqu'elle le peut, car c'est très loin. Elle lui amène plein de magazines avec beaucoup d'images, pour qu'elle puisse les regarder. Ce sont la plupart du temps des magazines américains sur les célébrités.

Une bière de plus ou de moins

Complètement décâlissé, fait chaud, une bonne bière frètte. Je fête la Saint-Jean tous les jours, depuis six mois. Je sais pas quand ça va arrêter. Bien sûr, je reste à la maison ce soir et je n'irai pas fêter dans les parcs. Je vais manger des hot-dogs, cuver ma bière, peut-être lire un peu, et me coucher. Cé toute.

Haute tension

Pourquoi je suis un gars plate

J'ai toujours aimé les sensations fortes. Plus jeune, je faisais toujours des cascades audacieuses, puis peu à peu, je me suis pété la gueule, et une fois j'ai passé très près de la paralysie générale. J'ai commencé à chercher des sensations fortes ailleurs. Moi et mes amis on cherchait par tous les moyens à se geler, et on était heureux de pouvoir se défoncer, autant que les hommes de la Première Guerre étaient contents d'aller se battre. Puis, je voulais tout essayer; j'étais jeune, j'étais très curieux et je n'avais peur de rien.

J'étais très conscient, je dirais même trop conscient, que je n'avais qu'une vie. Je voulais tout expérimenter. Je voulais constamment repousser mes limites. À 15 ans, j'ai quitté l'école, sous recommandation du directeur (j'étais en secondaire 4), parce que mes notes étaient trop faibles, je fumais du hasch à tous les jours avec un ami et je me foutais de tout. Puis, à l'été, je suis tombé très amoureux d'une femme :) Nous faisions l'amour toute la journée, on vivait littéralement d'amour et d'eau fraîche. Je l'ai laissé au début de l'automne, pour me concentrer sur mes résultats scolaires. J'ai été très froid avec elle, elle a beaucoup pleuré. Plus tard, j'ai regretté mon choix, car je l'aimais énormément; je voulais qu'elle revienne, mais j'ai perdu sa trace. Je suis devenu très bon à l'école, mais je la détestais, puis peu à peu, je me suis vidé de ma substance, je n'étais plus qu'une âme errante. Je suis arrivé désorienté au cégep, j'étudiais en sciences pures mais je commençais à découvrir Heidegger et la philosophie. Je ne voulais qu'une chose : aimer et être aimé, et trouver un sens à ma vie.

Finalement, je suis arrivé à Montréal, et j'ai décidé de me laisser dépérir. Cerné par la merde de ce monde froid, je voulais toucher le fond, aller jusqu'au bout, crever de n'importe quoi. Je sais aujourd'hui qu'à ce moment je faisais une dépression importante. Le médecin voulait me faire prendre des pilules, mais ça m'a fait peur et j'ai refusé. J'ai donc fait le choix de vivre pleinement cette période creuse et difficile.

J'étais un gars romantique, très idéaliste, passionné et anarchiste. Puis, je suis devenu fou; il me manquait probablement une corde à mon arc. Je suis entré de plein gré dans le monde des extra-terrestres. J'ai commencé à frayer avec de très mauvaises influences, des gens dangereux et qui me tiraient inexorablement vers le bas, et toujours plus creux, dans la merde. J'ai passé trois années complètement déconnecté de ce monde. Ce monde ne m'apportant aucun stimulant, aucun plaisir, j'étais occupé à jouer avec mes récepteurs de la dopamine. Cette période a été marquée par l'instabilité la plus complète. J'étais pratiquement errant à travers Montréal. Je ne voulais pas me fixer nulle part, ni dans rien. Chaque journée était la dernière. Aussi je vivais mes relations sexuelles à fond, mon amour à fond, mes défonces à fond, tout à fond. J'étais extrême et sans limites. Je vivais un certain bonheur dans l'évanescence.

Puis, les gens ont commencé à mourir autour de moi : suicides, surdoses, meurtres, sida. Je m'en foutais un peu, car je ne tenais pas à la vie. Un jour, je me suis rendu compte que j'avais perdu la tête. J'avais réellement perdu le contrôle de ma vie, ça c'était évident, mais là j'étais en train de perdre le contrôle de mon esprit, et c'était trop. Je n'ai jamais été capable de perdre le contrôle de mon esprit, sauf une fois sur l'acide, mais je n'ai plus jamais recommencé. J'avais trop peur de finir comme Syd Barrett. J'ai donc pris les choses en main, et j'ai fait le choix conscient de mener une vie stable et normale. Finalement, je me suis rappelé que j'avais fait banalement un voeu vers 14 ans en discutant avec un ami, d'avoir deux vies : une de débauche complète, et une d'étude complète. Cet ami est aujourd'hui itinérant au centre-ville de Montréal.

Alors, après toutes ces mésaventures, il est normal, vous pouvez le comprendre, d'être un peu rassis. Je n'ai plus envie que le bateau tangue trop fort. J'ai une situation, des études, un métier, une vie amoureuse stable (ça me fait penser au gars du film Trainspotting à la fin), je suis en contrôle total de ma vie. Dans mon parcours ascendant, certaines choses m'ont aidé : les animaux domestiques, pour restructurer mon côté affectif, et le jeu d'échecs, pour restructurer mon esprit. Dans ces situations, l'important c'est d'abord de donner à l'individu des objectifs à court terme; lui réapprendre tranquillement à se fixer des objectifs, petits pour commencer, puis ensuite de plus en plus grands, jusqu'à englober un projet de vie, ou même pourquoi pas, un projet de société.

Non, je ne suis pas conservateur, ni anti-drogue ou anti-débauche. Je vois aujourd'hui cette étape comme une expérience initiatique. La lecture de Castaneda m'a fait réaliser cela : la perception que nous avons des drogues est fausse. La clé qui nous permet de régler tous ces problèmes d'un seul coup, c'est la modération. Pour être capable de se modérer, il faut que l'individu soit structuré au départ. S'il est structuré et fortement centré en lui-même (et non sur lui-même), la drogue ou l'alcool ne peuvent détruire sa vie, puisque ces substances n'auront aucune prise sur lui.

En ce qui me concerne, je suis aujourd'hui en orbite autour de la philosophie. J'ai ouvert mon livre de bébé, dans laquelle ma mère prenait soigneusement des notes, et j'ai découvert que je parlais longtemps au téléphone à 23 mois, que j'ai offert à ma mère à 3 ans un bouquet de marguerites, que je m'intéressais à 5 ans au «futur» après la mort, que j'ai une tendance naturaliste, que je suis un peu agressif et a de la difficulté à m'adapter à la maternelle, et qu'à 6 ans je suis très renfermé et que ma mère demeure très près de moi pour garder «contact». À 7 ans, j'ai beaucoup de 100%, mais je suis souvent dans la lune. - Qu'est-ce qui se passe? Je ne sais pas, mais ça devait déjà commencer à brasser dans ma tête.

Peu importe. Beaucoup de gens m'aiment et m'apprécient aujourd'hui, et je suis en constante progression vers d'autres horizons, d'autres réalisations. Je tiens toujours à me dépasser, à me réaliser, à réaliser mes rêves. Je suis heureux dans ma vie en général, mais je reste un homme perpétuellement insatisfait, car je veux réaliser toujours plus de choses et ce n'est jamais assez; je ne regarde jamais en arrière mais en avant. Au fond, c'est peut-être ça le «sens de la vie». Pas un «sens» en fin de compte, statique et figé, mais un mouvement perpétuel, une perpétuelle «inquiétude»... Quoi qu'il en soit, la vie est une aventure de laquelle personne ne sortira vivant, alors vaut aussi bien essayer de faire bouger les choses, de trouver pourquoi ce monde marche de travers pendant que nous sommes là, et se donner à 100 % dans ce que nous faisons, d'être passionnés, au nom de la vie, de l'avenir, de l'amour, de la justice et de la connaissance.

Le cul féminin, merveille du monde

Moi et ma blonde on va manger dans un restaurant italien, en amoureux. C'est tranquille; un homme dans la fin vingtaine est à ma gauche avec une femme, près des vitres. Je regarde de temps à autre le couple, tout en parlant avec ma blonde de nos projets de voyage. Je regarde des jeunes dehors, le gars, la fille, le reflet de l'écran géant dans la vitre, les belles boules de ma blonde; visiblement, je n'ai pas de préférence, je regarde un peu partout en mangeant (on appelle ça, la «stratégie»). Il faut dire aussi que je suis parfois dans ma tête en parlant, et que j'ai le regard vague. Bon, tout va bien jusque-là.

Le couple s'apprête à partir : le gars se lève, je le regarde discrètement, la fille se lève, je fais de même; je n'ai pas tellement le choix, je les ai dans ma face.

Voici ce qui suit :

- Ouin, tu la regardais pas mal la fille...

- Ben non, qu'est-ce tu fais-là (en fronçant les sourcils). C'est quoi là, tu m'espionnes encore?

Je me lève pour aller payer la facture.

- Tu sais, moi-même ça m'arrive : les gars me regardent sur la rue, alors qu'ils sont à côté de leur blonde, vous êtes tous pareils...

- Ben non, je ne la regardais pas; je regardais les jeunes dehors, le gars aussi, il avait une belle chemise...

- Ah non, je t'ai vu, tu la regardais en esti la blonde. En plus, elle était mal habillée... Ouache!

- Écoute, je l'avais dans la face, je n'avais pas le choix de la regarder. Et puis, si je m'étais forcé à ne pas la regarder, tu n'aurais pas trouvé ça normal, tu te serais posé des questions, t'aurais pensé que je veux cacher quelque chose... Alors tu vois, d'une façon ou d'une autre, je ne m'en sors pas : je suis toujours coupable.

- (Silence)

- (Tiens, pensai-je, je viens de trouver un argument pour continuer à regarder le cul féminin)

Addenda :

Je viens d'apprendre ce matin que ma blonde avait déjà fait son jugement sur ce couple, et ce, le dos tourné! Faut le faire! Elle est très rusée (comme la plupart des femmes), et je suis certain qu'elle sait pas mal plus de choses sur moi que j'en sais sur elle.

Ma blonde est une bête de mode, alors : le gars portait un combo assez banal chemise pantalon; il avait l'air coincé; chemise blanche, pantalon noir en polyester genre uniforme vendeur; souliers en faux cuir bruns. La fille : jeans pas griffé, manteau pied-de-poule pas beau, pas de coupe dans ses cheveux, blonde plate. Autrement dit, un couple drabe, banal, conventionnel, comme il y en a des centaines, des milliers, des millions. Et c'était soit un blind date, soit un nouveau couple.

J'ai aperçu à un certain moment une manoeuvre de séduction : le gars me semblait plus occupé à regarder le hockey sur l'écran géant, de côté; c'est alors qu'elle s'est découvert les épaules, mais ça n'a pas eu l'effet escompté, alors peu après elle s'est recouverte.

Le gars, selon moi : type salaud, froid, sexualité basse, peu d'amplitude, sécurité d'abord, menteur, manque de caractère.

La fille selon moi : à la merci de ce type de merde, alors qu'elle ne devrait pas; pour cette raison, son style est trop conventionnel, elle veut plaire à un homme «moyen»; elle aussi préoccupée de sécurité et veut correspondre à la norme; manque de personnalité; peu d'ouverture.

Mais sur le coup, je n'avais pas remarqué tout ça! J'étais trop occupé à penser au cul!

Religion, sexualité et pornographie

L'erreur commune des prêtres, c'est de prendre la sexualité trop au sérieux, d'y accorder trop d'importance (ils ne sont pas les seuls), au point que le choix d'y renoncer devient un choix majeur de leur vie... et une renonciation majeure, complètement inutile.

Ce qui me ramène à la parure, où l'on cache une partie du corps pour la révéler davantage, pour mettre l'emphase dessus, jusqu'à ce que ça devienne «pornographique», se rendant complice d'une sexualité géométrique, en totale dissociation des humains qui s'aiment, ou se désirent avec passion, que ce soit pour une nuit, ou pour la vie.

Je ne suis pas contre la pornographie, car les corps nus participent d'une certaine forme d'art et de beauté, mais je suis contre la réduction de la sexualité au seul pornographique et la dévaluation qu'elle entraîne inévitablement, jusqu'au point où il ne nous est plus possible de voir ce qu'il y a de «sacré» en toute chair, le fait que cette chair est divine et à la fois habitée par la mort.

Le corps est forme, désir; il peut n'être que forme, si la personne le désire, mais il n'est pas que forme. L'erreur c'est de faire de cette forme l'aspect essentiel de l'être humain, alors que ce n'est qu'un seul aspect du tout formé par celui-ci. Ne voir une personne que comme une baise peut être valable si c'est réciproque, mais ne correspond pas de façon générale à une vision durable des choses pour une vie heureuse en société. Disons plutôt que c'est une vision qui dure l'espace d'une éjaculation...

Mais doit-on unir idéal et sexualité? C'est l'erreur je crois, que tous font, y compris le prêtre. Je ne peux m'empêcher de penser ici à l'art «socialiste»; ou à une «théorie de l'érection» pour savoir comment bander et quand; ou encore à quelqu'un qui se cale dans son fauteuil pour fumer une pipe en réfléchissant sur le «sens de la vie» : la réalité de cette question est aussi fugitive que les nuages de fumée qu'elle suscite.

La sexualité est libre, et belle, et «sans importance». Il faut la laisser être, elle participe du jeu. Politiser l'art, politiser la sexualité, c'est ce qui se produit lorsqu'on veut les unir à un «idéal», qui fait penser à une cage de zoo dans laquelle on veut enfermer un fauve.

Persévérer dans l'existence

Je ne sais pas ce qui me pousse à persévérer dans cette existence merdique. Peut-être le fait de pouvoir me blottir contre ma blonde le soir en dormant et de lui dire que je l'aime, de déguster une bonne bière ou un bon scotch, de découvrir un écrivain ou un philosophe qui m'ouvre de nouveaux horizons, de rencontrer des gens qui me donnent envie de poursuivre mon travail... De toute façon, je me suis fait une promesse : je ne partirai pas avant d'avoir dit mon dernier mot... avant d'avoir versé ma dernière goutte de sang.

Mon ami Nozick et l'art de la pose

J'étais en train de lire «Anarchie, État et utopie» de Robert Nozick hier soir, en buvant une bière. Il parlait de la justice distributive et c'était le passage sur la théorie de l'acquisition chez Locke. J'aime beaucoup la façon d'argumenter de ce penseur, qui est très originale et brillante.

Par exemple : «Si un astronaute privé nettoie un endroit sur Mars, a-t-il mêlé son travail à (de telle sorte qu'il en vienne à posséder) la planète entière, tout cet univers inhabité, ou simplement un lopin de terre particulier? Et quelle action faut-il pour qu'un lopin de terre vienne à être possédé?» ou encore «Il sera parfaitement invraisemblable d'envisager que le fait d'améliorer un objet en donne à quelqu'un la pleine propriété, si la réserve des objets non possédés qui pourraient être améliorés est limitée. Car le fait qu'un objet vienne à être possédé par une personne change la situation de toutes les autres personnes.»

Cependant, l'aiguille sur le disque s'est mise à glisser, ssscriiiiitch! lorsque je suis arrivé au passage suivant : «Nous devrions remarquer que ce n'est pas seulement les personnes qui favorisent la propriété privée qui ont besoin d'une théorie de la façon dont les droits à la propriété sont nés légitimement. Ceux qui croient à la propriété collective, par exemple ceux qui croient qu'un groupe de personnes vivant dans une région possèdent tous ensemble le territoire, ou ses ressources minérales, doivent également fournir une théorie de la façon dont de tels droits de propriété naissent[...]» Doivent fournir une théorie? Y a-t-il un domaine où la théorie est moins utile que dans celui de la propriété? L'intellectualisme de Nozick va trop loin. Mais ceci ne fait que montrer à quel point nous sommes à cheval sur la théorie, et très loin de la pratique ou de la réalité.

En réalité, un groupe d'individus s'approprient un territoire à la taille de ce qu'ils peuvent défendre. Si un comique s'en vient et leur demande : «Excusez-moi, mais pouvez-vous me fournir une théorie sur votre droit de posséder ce territoire?» il va probablement se faire liquider, après avoir provoqué l'hilarité générale, et si ces individus ont à défendre leur territoire, ils vont prendre les armes, et n'arriveront pas au contraire gentiment avec une théorie pour justifier leur possession de ce territoire.

Le but de la théorie, c'est d'arriver à tout comprendre sans le secours des sens ou de la réalité. Je crois que cette approche peut être utile en géométrie et en mathématiques, mais pour le reste... Un général regarde la carte, mais tient compte aussi du terrain.

Je prône le savoir-faire réaliste contre l'attitude intellectualiste de la théorie, qui ne vise qu'à se faire passer pour plus intelligente parce qu'elle n'utilise pas les sens. C'est toujours le bon vieux mépris du corps. L'exemple le plus éloquent qu'il m'ait été donné de voir, c'est celui du monteur de tentes d'expérience contre l'ingénieur. C'était un concours pour savoir qui réussirait à reconstituer les toiles qui entouraient le Colisée à Rome dans l'Antiquité. L'ingénieur échafauda des plans, fit des calculs savants, et lorsqu'il eut terminé la construction de sa toile, le vent l'emporta et détruisit tout le bataclan d'un seul coup. Le monteur d'expérience regarda le tout, amusé.

Pendant ce temps-là le monteur, qui montait des tentes de cirque de puis 20 ans, se mettait à l'ouvrage lui aussi, sans aucun calcul. Il réussit à reconstituer la fameuse toile du Colisée, et le tout tenait en place même avec de grands vents : c'est ça la différence du savoir-faire par rapport à la théorie, qui s'abstrait inutilement, probablement dans l'intention détournée de faire de la pose.

26. Réflexion sur Musil

Sur le totem. C'est toujours beau ces belles théories trop intelligentes, c'est toujours bien dit et ça fait chic dans une soirée mondaine. Par contre, je ne dis pas que c'est complètement faux. Je cite: « [...] les idéaux de la "personne" et du "sujet" remplissent pour ses contemporains une fonction analogue à celle du totem pour l'homme "primitif" et font eux aussi l'objet d'un culte. [...] Le totem de la personne, en revanche, rend problématique le rapport du même et de l'autre. Enfermé dans une relation spéculaire, l'homme devient son propre objet de culte et d'amour. [...] Il n'est guère un protagoniste de L'Homme sans qualités qui ne voue un soin attentif à sa personne et ne se montre soucieux d'affirmer son identité, de se singulariser et de s'objectiver à travers les signes. » Ces gens agissent de cette façon dans l'«espoir de laisser une trace impérissable de leur présence» [...] «susceptible d'être un jour découverte» (si elle est cachée, par exemple une note insérée dans un pan de mur en construction).

Alors l'homme, avec tout ça, a évidemment un besoin de s'exprimer. Il a un besoin «d'épanchement narcissique». Le psychanalyste a la fonction de canaliser cette expression de soi, et serait donc une forme moderne de chamanisme. D'accord.

Je trouve que ma blonde tape un peu trop sur les blogs, qu'elle se regarde un peu trop dans le miroir, qu'elle est peu trop égocentrique, et qu'en plus elle tient un journal personnel ne parlant la plupart du temps que d'elle-même et de ses mésaventures, de plus, il porte un petit cadenas comme pour piquer ma curiosité et me donner envie de le lire en secret. Ma blonde m'explique la situation: «Écoute chérie, puisque l'homme a rompu ses liens avec le totem, il ne lui reste plus que lui-même. Alors je m'auto-admire, je m'aime, je veux me singulariser, j'écris plein de choses pour laisser des traces de moi, je fais des blogs, et quand il y a une caméra dans les parages, je ne suis jamais loin. J'ai un besoin d'épanchement narcissique, c'est la raison pour laquelle je parle sans cesse sur mon cellulaire, je corresponds par messagerie avec mes amies toute la journée, j'écris dans mon journal, je ne veux pas que personne ne m'oublie, c'est la raison pour laquelle je me fais belle, je me mets du parfum, etc., bref, je veux laisser une trace impérissable de moi dans le maximum de têtes possibles.»

Moi: «Est-ce que t'es sérieuse là? Tu veux dire que t'es consciente de tout ça, que t'as un besoin «d'épanchement narcissique» et que tu le fais quand même?»

On voit bien qu'il y a un problème là. Elle justifie ce qu'elle aime faire de toute façon, avec une théorie trop intelligente à la Musil sur le totem. Ainsi, la conscience de faire quelque chose, change tout. Cette théorie ne s'applique que de l'extérieur, à des gens qu'on observe, sans leur demander le motif de leurs actes: c'est ça la théorie, et ça fout souvent le camp dans la pratique. Si vous répondez que ce sont des tendances générales de l'humanité, je peux vous répondre que je ne fais jamais affaire avec l'«humanité», mais seulement avec des êtres humains particuliers.

Si les «primitifs» n'étaient pas aussi narcissiques que nous (ça reste à démontrer), cela n'empêche pas qu'ils auraient pu le devenir, si on leur en avait donné les moyens. Et ce n'est sûrement pas le totem qui va empêcher ça. Les moyens techniques modernes qui peuvent servir à nous renvoyer notre image abondent. De plus, le travail de l'acteur, qui semble en partie méprisé dans cette conception des choses, fait partie des démarches de prise de conscience de soi. L'homme moderne ne cherche pas à s'admirer (en général), mais à introduire une distance entre lui et «lui-même», il cherche à se connaître, à s'observer, et à observer ce que les autres observent de lui, un point de vue extérieur étant toujours privilégié, ainsi il forme beaucoup moins une unité que l'homme primitif, englué dans la masse indistincte de la nature.

Par opposition à cet homme, si l'homme moderne est pleinement conscient d'avoir une attitude narcissique à un certain moment, il ne l'est plus tout à fait, puisqu'il a introduit une distance entre lui et la conduite, qui lui permet de s'observer et de changer. S'il continue à être narcissique, c'est alors un narcissisme au deuxième degré, hyperréel en quelque sorte, ou de mauvaise foi. Ce n'est plus une attitude spontanée qui renvoie en ligne droite à quelque chose, à un rapport simple ou à une identité entre l'acte et l'acteur.

C'est comme pour l'amour: si je deviens pleinement conscient des raisons pour lesquelles j'aime une personne, trop conscient même pouvons-nous dire, et que je les énumère une par une, il est possible que mon amour disparaisse, ou qu'il ait déjà disparu. Car on aime pas par raison, par calcul, et les sentiments ne sont jamais complètement rationnels, c'est-à-dire soumis à un contrôle, à un calcul, à une division. Nous ne faisons toujours qu'«un» avec un sentiment. Par contre, si je continue d'«aimer» dans ces circonstances, ce n'est qu'une «comédie» de l'amour, une caricature d'amour, ce n'est plus un amour réel, spontané, naturel, mais un «amour» réfléchi, étudié, volontaire, autrement dit, un amour mort.

Ainsi le prétendu narcissisme de l'homme moderne est (en général) un faux narcissisme, un narcissisme mort, une comédie. Le «soi» manque pour pouvoir s'admirer. Le sujet est absent; il est disparu en quelque sorte au moment ou on pensait justement pouvoir le saisir. Nous ne sommes plus que les acteurs du «soi», nous jouons la comédie du soi qui joue à se regarder.

L’amour, toujours l’amour

L'amour vous dites? C'est comme rentrer dans un mur de brique à 100 km/h pas d'casque. Résultat : trois chaudières de sang.

Conseil pratique pour la vie en général : vaut mieux pas trop s'attacher, à rien, même pas à soi-même. Avec le temps, tout fout le camp, le corps, les illusions, les accès déplacés de libido. Le voile de Maya tombe. On se rend compte qu'on n'a rien fait, qu'on a passé sa vie à avoir des idées fausses, à se mutiler, à faire du mal aux autres, à rire des autres, à faire rire de soi, à mettre et à se faire mettre, par tout, par rien, pour rien. Il reste les enfants à quoi s'accrocher, mais là encore, ils se tiennent loin, ils s'en vont, ils sentent que le désastre est proche.

Personne n'a peur de la mort, mais on craint les araignées : cherchez la logique. Personne n'aime les vieilles carcasses, l'amour c'est pour les jeunes, c'est un trip de jeunes, mais on continue de penser qu'on va plaire à 50 ans comme on plaisait à 20, et on cherche en vain l'amour fou : ça fait longtemps qu'il n'existe plus; pire encore, s'il existait tu te rappellerais tous les murs de brique et tu foutrais le camp; et si tu jamais tu as la mémoire courte, ouvre ton portefeuille. La vérité c'est que la fourchette diminue à partir de 30, mais on ne voit rien, occupés que nous sommes à nous regarder dans le miroir. Et même souvent, on n'aime franchement que la première femme, le premier homme; tout est nouveau dans ces moments magiques. Par la suite, on tombe dans la routine, on prend le pli, tout devient banal. Les fantasmes deviennent plus intéressants, on se tourne vers le travail. Finalement, on se rend compte que notre vie n'a été qu'un long fantasme, et que celui-ci était au fond beaucoup plus intéressant que la réalité, assez minable et mesquine d'ailleurs.

Où est le fameux «sens de la vie» dans tout ça? Je vois vraiment pas. À part l'illusion bienfaitrice qui sert de matelas confortable, je ne vois pas ce que peut avoir de plaisant le fait de coucher directement sur un roc.

Allons joyeusement à l'abattoir

Il y a des jours comme ça (je devrai bientôt dire des semaines) où je suis prisonnier de mon corps et où je me sens comme une grosse masse brute de gélatine pourrie. Oubliez le gym, j'ai d'la misère en calvaire à me traîner à la cafetière. Tout est lourd, l'esprit, les idées, les membres, c'est un festival de légumineuses. Chaque journée est une session de matraquage par les nuages. La déprime s'installe, on se donne des coups de pied au cul, ça marche pas; un peu de bière, beaucoup de bière, l'ivresse du houblon tourne en bad trip au lieu de me rendre de bonne humeur. Les mauvaises nouvelles s'accumulent habituellement précisément dans ces moments difficiles. Tout va mal, l'ordi est défectueux, les caries se montrent le bout du nez, on me saisit de l'argent à la banque, rush d'allergies, rush de regrets, et ça continue. Les méthodes qui marchent normalement pour me remonter le moral ne marchent plus, et je peux affirmer avec certitude que lorsque je commence à regretter, c'est un signe que je suis vraiment malade et atteint.

Il y a des périodes de l'année comme ça où je suis complètement à la merci du climat merdique. Ça me tue, oui, le climat du Québec me tue carrément. Je n'ai pas le choix de me mettre à l'école des stoïciens et de devenir dur, sans pitié pour moi-même, un peu rude avec les autres pour ne pas me laisser aller à la mollesse, ne pas me faire de faveurs, mettre l'art et les sentiments mous de côté, prendre des douches froides, manger le strict nécessaire, etc., le régime militaire quoi. Mais tout ça est tellement contre mon goût! Je dois aimer la punition, me punir moi-même, punir ce crisse de corps maudit qui ne veux pas répondre, pas avancer, pas fonctionner comme les autres.

Je devrais peut-être recommencer mes grands régimes, genre manger du riz plain pendant un an. En plus d'être économique, c'est bon pour la santé; je vais m'acheter des poches de riz Basmati et ne manger que ça. Mon corps est fou, alors je n'ai pas le choix d'être fou aussi dans la tête. Je prenais plaisir l'autre jour à lire le Journal de Kafka et à voir qu'il avait les mêmes problèmes d'improductivité et d'avachissement; je me sentais moins seul dans ma lutte perpétuelle contre les éléments.

Les trous de cul se reconnaissent entre eux

Je suis toujours surpris de voir le lien indéfectible qui unit les trous de cul entre eux. Une véritable solidarité à toute épreuve. La vérité, c'est que ces gens n'ont même pas assez d'étoffe pour êtres bons. Ils ne sont pas capables de s'élever par eux-mêmes au-dessus de leur fange, alors ils veulent amener les autres à leur niveau. Ils s'organisent, se liguent, se font des clins d'oeil pour signifier qu'ils sont dans le coup, parce qu'ils t'ont repéré depuis belle lurette, puis ils te passent comme un numéro. On ne s'imagine pas qu'il soit possible de valoir aussi peu aux yeux d'une autre personne, alors on tend la main, et c'est presque inévitable, parce que normalement on fait confiance, on compte sur la bonne volonté des gens, et on se fait avoir d'aplomb.

On se dit seulement après coup que ce genre de comportement est vraiment idiot, puisqu'il révèle immédiatement sans aucune gêne toute la bassesse de la personne qui en est l'auteur, et qu'elle s'expose ainsi de façon stupide à des représailles sans merci. Mais c'est justement ça le problème : on supposait au départ, à tort, en faisant crédit, que la personne était assez «intelligente» pour saisir les implications de son geste et qu'elle n'oserait jamais aller jusque-là pour obtenir son «nananne». Ben non, la prison, c'est même pas un problème, c'est fait spécialement pour prendre des vacances... Et le container là, dans la ruelle, ça te dit?

C'est juste un cave qui voit pas plus loin que le bout de son nez, et c'est justement pour ça qu'il est en train de te jouer après le portefeuille comme un minable qui n'a pas d'autres moyens de subvenir à ses besoins. Sa bassesse est si grande qu'elle te dépasse, par le bas. Y a des gens comme ça, y a des types d'hommes, des limaces visqueuses et d'autres qui se tiennent debout et font tout le travail pour les autres. Après qu'on vienne nous dire qu'on est tous égaux, et qu'on rêve de solidarité... Solidarité pour quoi? Pour se faire trancher la tête? Solidarité des déchets de la société? C'est même pas une utopie, c'est la réalité quotidienne. Non merci les beaux discours «rassembleurs» pour une nation de mendiants. Je passe mon tour pour la gauche.

La race molle des intellos anémiques

«Le savoir n'éduque pas l'esprit.» Héraclite

Je déteste particulièrement cette race stérile d'hypocrites snobinards qui testent constamment les autres pour savoir s'ils en savent plus qu'eux, et qui dans l'éventualité d'une erreur ou de l'aveu d'ignorance se mettent à ricaner intérieurement en se croyants supérieurs. Ce sont les mêmes qui dans une situation importante se ferment la gueule pour conserver leur poste ou ne font tout simplement rien par peur des représailles. Pour eux, les livres renferment la somme du savoir et leur demander de contribuer en apportant une seule idée originale est inconcevable, puisque par lâcheté congénitale ils ne sortent jamais du rang. Ce sont d'éternels compilateurs des idées des autres et dans leurs têtes étroites l'acte de penser ne peut se résumer qu'à jongler avec ces idées en faisant voeu d'ascétisme, car la connaissance n'est jamais un moyen mais une fin. Voilà pour la compagnie des scribouillards.

La mission en Afghanistan et la réalité

J'ai écouté un reportage à CNN sur la mission de reconstruction en Afghanistan. Les gens qui s'occupaient de cette fameuse «reconstruction» (soldats, casques bleus, volontaires, etc.) se plaignaient qu'ils avaient fait des demandes répétées pour pouvoir construire des infrastructures (égouts, routes, ponts, systèmes d'aqueducs, etc.) mais que celles-ci se «perdaient» dans la paperasse, et que finalement les fonds qui devaient être alloués à ces dépenses «disparaissaient» mystérieusement.

Dans ce cas nous pouvons nous demander : le prétexte de reconstruction, qui en réalité ne se fait pas vraiment, n'est-il qu'une manoeuvre pour pouvoir occuper encore plus longtemps ce pays?

La valise éternité

Pour la première fois dans ma vie, je commence à sentir que j'en ai plus derrière moi que j'en ai en avant. Ça va pas ben, la mort approche toujours... Quand on creuse dans ses souvenirs, et qu'on creuse encore et encore et que ça ne finit plus, c'est pas bon signe. Bientôt la trentaine ne sera plus qu'un autre souvenir à ranger dans l'album photo, et tout ça va finir un jour au fil du temps et des générations, dans un sous-sol, puis sur le bord du trottoir et dans les poubelles, ou va se perdre dans une ruelle quelque part où on pourra voir une photo de moi et de ma blonde traîner dans une flaque d'eau sale. Un enfant la ramassera peut-être en se demandant : «C'est qui eux.» Nul moyen de le savoir mon ami, tout a disparu. Il ne reste que cette vieille valise dans la ruelle et dans laquelle se trouvent des choses auxquelles ces personnes autrefois tenaient, qu'elles rangeaient, regardaient en les considérant comme précieuses, puisqu'elles témoignaient de la vie passée, de souvenirs, de joies et de peines, parce qu'elles étaient une forme de lutte, de résistance contre ce temps qui passe, une sorte de promesse à la vie éternelle...

Ces photos ne te disent absolument rien, et pour toi comme pour bien d'autres si elles sont là c'est parce qu'elles sont effectivement sans valeur, mais tu peux prendre la valise kid, elle est encore bonne...

Penser par soi-même n'est pas suffisant

J'écoutais une émission sur les attaques du 11 septembre et l'animateur a souligné à un certain moment «l'importance de penser par soi-même». Ce que je pouvais constater c'était qu'on avait là un panel d'experts pour réfléchir sur la question de savoir si les attaques ont été en fait un «boulot de l'intérieur» ou réellement une attaque terroriste planifiée, un peu incroyable, mais quand même. Au fil de la discussion on en est venu à l'aveu suivant : on ne peut savoir, on ne pourra jamais savoir si c'était une conspiration ou réellement une attaque terroriste d'islamistes extrémistes. Le rapport de la Commission semble truqué, et des indices laissent croire qu'il y a quelque chose là-dessous de beaucoup plus complexe que les attaques.

Un historien a rappelé qu'en politique «la fin justifie souvent les moyens», et que dans l'histoire nous avons de nombreux exemples de politiciens qui n'hésitent pas à sacrifier une partie de leurs concitoyens pour ensuite accuser un «ennemi» et justifier une guerre. C'est rien de nouveau tout ça. Ce qui est nouveau, c'est qu'on nous laisse entendre que «penser par soi-même» va changer quelque chose à cette situation, ou va nous aider à mieux comprendre ces événements et peut-être même, dans un réel espoir, nous permettre de les résoudre. Pour ma part, je crois que la pensée individuelle est impuissante devant les comploteurs. On ne peut rien savoir si on n'a pas de faits devant les yeux, ou si les faits en question sont truqués et les preuves, partielles. Nous en sommes réduits à la question, «penseurs» compris : à «qui» faire confiance? C'est une question de confiance, pas de pensée.

De plus, l'accent mis sur la pensée «autonome» pourrait laisser entendre que la philosophie est indispensable à l'homme qui veut «comprendre». Puisque, n'est-ce pas, en philosophie on apprend à penser par soi-même? La philosophie universitaire ne peut rien nous apprendre d'autre à part nous décoller du réel et nous transformer en instituteur pédant pétri de scolastique. Les philosophes n'ont pas le monopole de la pensée, pire encore, ils ne réfléchissent pas plus que les autres, seulement, les choses dont ils s'occupent laissent croire qu'ils le font. Réfléchir sur les livres et les pensées des autres passe pour intelligent, mais ne constitue jamais une preuve d'une once de pensée «autonome».

Pour ma part, à la suite de cette émission, j'en suis venu à la conclusion que la politique et l'histoire ont le dessus sur la soi-disant philosophie et les «idées».

Philosophie de la survie et survie de la philosophie

Quand la philosophie universitaire n'est rendue qu'un empilage infini de livres, vaut mieux tout sacrer ça à la poubelle et recommencer à neuf. On n'en a jamais fini de commenter les livres des autres et ça devient vraiment énervant et inutile; ça me fait penser aux discussions théologiques sans fin sur des points de détail à propos de la nature des anges. On s'embourbe et on s'emmerde royalement. Après ça il n'est pas étonnant que la science prenne une avance considérable sur la philosophie, encore pognée dans les têtes communes à l'époque de Descartes. On n'avance pas en philosophie, on s'attribue des chaires, on s'admire et on ne fait que commenter, tout en avançant un tout petit peu, petit peu par petit peu, comme de petites tortues modestes, sur nos prédécesseurs.

Moi je dis : Tabarnak! Réveillez-vous bande de caves! La planète est sur le point de sauter et vous êtes là à vous commenter et à vous féliciter l'un l'autre. C'est la preuve que la philosophie d'université est une business comme les autres, elle est là pour faire vivre une certaine élite respectable dans une tour d'ivoire, mais à part ça, elle ne fait pas grand-chose.

Faites comme si demain on devait tout brûler vos crisse de livres. Faites le tri essentiel pour la survie de la philosophie et ne vous occupez plus du reste. Vous avez une année pour faire votre sélection, le grand ménage, après c'est l'autodafé inévitable. Que choisirez-vous?

L'ampleur du problème

Je regardais hier soir des vidéos sur l'abattage des animaux et les conditions de vie de ceux-ci. J'ai trouvé ça proprement écoeurant. Évidemment, j'avais déjà vu de semblables vidéos, mais je ne pouvais rien y faire, alors comme tout le monde j'ai rangé ça dans un coin de ma tête et j'ai continué à manger de la viande.

En évitant de tomber dans l'émotivisme, je me dis que la solution ne peut être d'interdire la viande, ni de la boycotter en devenant végétarien, puisque ces enclos de la souffrance vont continuer d'exister. Le problème, ce n'est pas de manger de la viande, ce qui n'est pas un mal en soi, mais la souffrance des animaux par l'exploitation abusive. L'exploitation industrielle de l'animal fait que celui-ci ne compte plus qu'en tant que viande : c'est une pièce de viande, point à la ligne. À la naissance, il est déjà mort et emballé dans les rayons des supermarchés. Des parties de son cadavre vont être éparpillées un peu partout dans les villes, et une parcelle de celui-ci sera le steak que vous aurez ce soir dans votre assiette.

Pour voir l'ampleur du problème, il suffit d'observer ce qui se passe dans l'abattoir. Nous ne le voyons pas puisque nous sommes concentrés sur les animaux, mais nous sommes, nous aussi, pris dans ce processus d'exploitation et en quelque sorte d'abattage.

Lorsque j'ai vu que les animaux manifestaient des troubles de comportement engendrés par le stress, la souffrance quotidienne, les conditions d'exploitation, l'odeur de mort omniprésente, j'ai tout de suite pensé aux humains exploités, que ce soit dans les usines de partout dans le monde ou dans des circonstances différentes d'exploitation et de production souvent plus abusives et moins organisées.

Deux éléments essentiels pour résister à l'écrasement impitoyable de la vie humaine : nous devons agir ensemble, seuls, nous ne pouvons rien faire, et l'importance des valeurs qui unissent le groupe et lui permettent d'agir ensemble de façon coordonnée. Je parle ici d'une véritable guerre contre les forces d'exploitation qui veulent écraser un groupe par l'anomie en tant qu'objectif à atteindre. La dégradation du tissu social profite aux exploiteurs. Lorsque la capacité de résistance est annihilée, l'exploiteur peut entrer dans le corps sain et ravager tout. Cette entrée se fait avec l'accord des forces gouvernementales. L'armée couronne et protège le tout.

La seule solution est d'intervenir à l'échelon gouvernemental, mais le groupe doit d'abord retrouver sa cohésion. Est-ce encore possible? Et même si cela réussissait, l'intervention à l'échelon gouvernemental ne serait pas suffisante. Le capital demande le rendement, l'efficacité, et le gouvernement dépend, comme toutes les autres instances, de l'argent. Pour qu'un individu soit efficace, il faut lui pousser dans le cul autant qu'on le fait avec les animaux. Dans tout ce processus, qu'on ne s'y trompe pas avec toutes les nouvelles «petites attentions» que les entreprises offrent à leurs employés, ce n'est que la force de travail qui compte.

Pour comprendre la logique de mort qui sous-tend ce processus, il faut seulement observer ce qui se passe par exemple avec les ressources naturelles. On exploite une ressource à fond et de façon abusive, en partie à cause de l'obligation du rendement, et une fois qu'elle est épuisée, on passe à une autre pour recommencer le même processus. La poursuite de cette logique infernale nous mène inévitablement à l'épuisement complet de toutes les ressources, ou autrement dit, leur transformation en capital et en déchets. Ce que Heidegger appelait dans les années cinquante le Ge-stell, le dis-positif de l'usure, la mise en stock de tout, y compris l'homme, c'est cela même que nous avons tous les jours sous les yeux sans le voir.

L'ampleur du problème consiste à comprendre que nous ne pouvons facilement échapper à cette logique : nous sommes littéralement pris dedans. Même si nous combattons tous les exploiteurs de la planète, nous devrons à plus ou moins long terme, occuper leur place. Bien sûr, nous pourrons toujours plus améliorer les conditions, mais l'exploitation sera là pareil, et la concurrence toujours plus forte, forcera à toujours plus d'exploitation brute.

Peut-être pourrions-nous remettre en question nos dogmes darwiniens sur la concurrence? Que la concurrence entre entreprises serait néfaste au bout du compte? Bien sûr, la concurrence nous force à avancer, à stimuler la découverte, mais ne pourrait-elle pas se faire au sein d'une seule entreprise entre chercheurs par exemple? Le prestige personnel serait un stimulant suffisant pour la découverte et l'innovation. Selon moi, il est faux de croire qu'une entreprise ne peut pas progresser et innover si elle n'est pas en concurrence avec une autre pour la même carotte. C'est précisément cette croyance qui fait rouler la logique de mort de laquelle nous n'arrivons pas à sortir, puisque nous jouons au premier qui écrasera l'autre, et dès que nous baissons les armes et remettons le dogme en question au nom de l'humain, nous sommes effectivement écrasés et la lutte se poursuit avec d'autres concurrents. Cette logique nous empêche donc, de façon hautement efficace, de la remettre en question.

Logique de l'inefficacité

J'ai envie d'écrire un gigantesque tome sur la logique de l'inefficacité qui serait par lui-même absolument efficace dans son inefficacité! Je déteste la staracadémisation de l'art, la standardisation de la vie, ceux qui n'aiment pas la liberté, l'originalité, ceux qui n'ont aucune imagination et préfèrent exploiter les autres.

Je suis écoeuré du progrès, de l'idéologie du progrès, de sans cesse me faire pousser dans le cul pour faire vivre les riches. Je suis écoeuré de l'idéologie du déracinement et du scientisme. Je ne marche plus. Continuez à courir sans moi dans votre esti de rat race.

Je suis écoeuré de ce monde qui ne laisse aucune place à la vie, au spontané, à l'imagination, à la liberté, à la folie. Je suis écoeuré de l'accélération dans le vide. Pourquoi tout doit toujours aller plus vite et être plus efficace? On est-tu viré fous câlisse?

Il faut faire marche arrière, se regrouper autour d'un feu de camping, hurler avec les loups, fourrer dans la tente, travailler le bois, revenir à la terre, à nos racines, à notre histoire, accepter de vivre avec les plantes, les animaux et nos amis les bibittes.

Il faut accepter de s'entraider, de vivre ensemble et de respecter nos singularités, car ce sont ces singularités qui font un monde.

Phénoménologie de la vieillesse

Je traverse la rue à l'intersection, d'un pas raide, en surveillant le compteur qui m'indique les dernières secondes. À chaque pas qui me rapproche du trottoir, je vieillis de vingt ans. Je mets pied sur le trottoir, les autos circulent derrière moi; je regarde devant moi, vers l'avenir, ou plutôt ce qui en reste. Un avenir très modifié : je suis un vieillard, un malcommode. La vision des choses qui sont devant moi ne m'indique rien sur moi-même ni sur mon âge. Je pourrais avoir vingt ans, comme cent. Les yeux me permettent de rêver. De penser que je suis jeune à nouveau; que je suis ce jeune homme qui marche sur le trottoir en sens inverse, tenant un ballon de basketball. Mais je me ressaisis, je n'ai plus ses illusions. En fait, j'en ai d'autres, mais combien d'autres? et sont-elles aussi pires au fond?

Chaque pas est difficile. J'ai mal à mes jambes, mes pieds, mes membres sont lourds. Pourrai-je encore sprinter comme à vingt ans? Je me dis oui pour m'encourager et me penser jeune, mais la réponse en arrière-plan est, probablement non. J'ai mal dans mes membres, mes articulations, mon souffle est plutôt court; j'ai peu d'endurance; je n'ai plus d'ambitions, plus de rêves. Je pensai un instant : «Est-ce le rêve le moteur de la vie? le moteur vital?» Et : «Pourquoi mes rêves sont-ils morts?» «Où vais-je comme ça?» «Que va-t-il m'arriver?» «Qui suis-je?» «Suis-je qu'une queue sur deux pattes qui sert à perpétuer ses gènes?» Aucune réponse.

Je suis mort, bien mort, depuis longtemps. Cet homme qui traverse : difficile de penser qu'il est aussi sensible, sensible comme une femme peut l'être, plus encore? beaucoup plus? et qu'il n'oublie pas, n'arrive pas à oublier, car il se rappelle les blessures, gravées dans sa chair? C'est possible. Tout ça est possible. Suis-je comme lui? Suis-je stoppé par les blessures, par les douleurs? Pas au début, non. Mais graduellement, la résistance lâche : c'est inévitable. On finit par lâcher, par abandonner, face aux forces contraires, face aux forces contrariantes. On fait de belles ruelles toutes droites, avec des poteaux à linge tout droit, des clôtures droites, des habitations droites : c'est beau, c'est neuf, ça brille, c'est cher. Puis vingt ou trente ans plus tard, les racines ont déjà pris le contrôle sur tout : le pavé de la ruelle est brisé, les immeubles sont croches, les poteaux, la rouille, des objets disparates s'accumulent, etc. Ça nous rappelle que nous ne sommes que des locataires sur cette planète.

Les forces qui nous usent font le même boulot. Notre organisme s'installe dans le règne de la nature, puis les racines poussent en dedans et déforment tout, cassent la construction boulon par boulon. Que puis-je faire? -Rien. Seulement retarder la catastrophe.

Ce qui m'indique aussi ma vieillesse, que je ne vois pas en regardant le monde, c'est mon degré de cynisme : je ne crois plus en rien, sauf quelques broutilles, et mes amis les animaux, et quelques personnes vraiment bonnes. Car pour former des rêves, des illusions ou des ambitions, autrement dit un moteur qui te pousse de l'avant, vers quoi? -nul ne sait vraiment, il te faut croire, avoir encore la capacité de croire.

Ma dernière croyance de ce matin : que le système de justice est une business comme les autres, qui sert à engraisser la magistrature, les avocats, les juges, à faire fonctionner les prisons, faire travailler les gardiens, qui sert à en crucifier certains pour des années ou à les enfoncer encore plus dans le crime, pour les tasser de la compétition, du rat race, souvent pour des actions sans grande conséquence. Il n'y a pas de justice, il n'y en aura jamais, car cette terre est un purgatoire. Jésus a brisé les tables du temple, on l'a crucifié et après on a remis les tables. Et ensuite nous avons une autre business, nous avons les églises, le Vatican aux coffres remplis d'or, de faux dévots, des pédophiles cachés sous des robes de prêtre. C'est ça le résultat. La religion catholique : une marque comme une autre, et le crucifix, son logo.

C'est ça la vie : du monde qui se font vivre par les autres, alors que ces autres doivent accepter leur sort par des coups de matraque sur la tête ou des menaces ou tout simplement l'épuisement et l'amenuisement de la volonté de résister à ces parasites puissants. Ne faire confiance à personne. Prendre l'argent des autres en présentant ta salade et t'en aller fourrer des putes dans ta BMW, et après, d'autres putes dans ton manoir à putes. Un vrai success story. Mais cette histoire ne raconte pas les faits sur ceux que tu exploites, et ce qu'ils endurent pour toi. Y aura-t-il une justice? Même les gouvernements déroulent le tapis rouge à ces ordures. La vie est une puterie, et pour l'amour c'est pareil. L'homme et la femme : des putes à cash, en tout cas, pour ceux qui ont «compris le jeu». Du toc, du toc, du toc partout. Les autres, c'est les gens honnêtes, ceux qui se font avoir sur toute la ligne, ceux qui ont de bonnes intentions, et qui y croient. L'innocence est belle, mais tôt ou tard, elle se fait massacrer. C'est quoi le jeu? -faire croire aux autres. Créer l'illusion, d'une réponse, d'un baume, d'un avenir, d'une solution. Donner de l'espoir. Faire les autres se sentir supérieurs grâce à votre marque.

Les intellectuels qui théorisent sans fin en écrivant de grosses briques insignifiantes, ne sont qu'un tampon et retardent le moment où nous seront acculés à prendre les armes, la guerre étant le seul moment décisif, si nous en sommes encore capables, et après avoir pris nos médicaments. Ils servent de frein, mais ce sont eux aussi des parasites, qui n'ont pas de rapport direct avec la réalité. Ce ne sont pas eux qui vont aller se faire sacrer des litres de poivre de cayenne dans les yeux, se faire tabasser au Sommet, prendre en photo et ficher comme criminel. Les riches leur distribuent des bourses pour qu'ils écrivent des livres sans conséquence et qu'ils continuent à alimenter le rêve. De beaux discours, des sophistes comme les premiers, comme les politiciens aussi, qui ne servent toujours en premier et férocement, que leur propre intérêt... La seule et vraie réalité est-elle le monkey business? Comme en Inde, en Thaïlande et dans tous les pays que nous exploitons?

Ce furent mes belles pensées de ce matin. Je passai une excellente journée, après avoir bien maudit ce monde qui appartient aux ordures.

Écouter les nouvelles plates

Je n'écoute pratiquement jamais la télévision. Pourtant j'ai le câble, alors pourquoi? Pour pouvoir écouter les rares bonnes émissions, et aussi pour me sentir en quelque sorte, connecté avec le reste du monde, avec l'actualité, même si je ne le suis jamais, puisque je passe mon temps à lire des livres du siècle passé.

Évidemment, pour l'opinion courante, les sujets dont traitent ces livres ne peuvent pas être actuels en aucune façon, et s'ils le sont, ils sont mal compris puisque la science n'était pas aussi avancée à cette époque. Nous sommes très suffisants sur ce point. Par exemple, nous nous entendons à dire que le nerf de la guerre c'est l'argent, alors que Machiavel réfute ce point de vue et démontre que le véritable nerf de la guerre ce sont les hommes... Mais il ne peut pas avoir raison, puisqu'il vivait à une autre époque, et que la nôtre ne peut pas être à ce point dans l'erreur, etc.

Je trouve que les nouvelles sont plates. On parle, par exemple, de la dernière tempête de neige, de mettre ses pneus d'hiver, du dernier effondrement de garage, d'un feu, de la prochaine tempête de neige, d'une paire de boules, d'un nageur qui a fumé un joint (pauvre toi, ça fait juste commencer), etc. J'appelle ça la sensibilité épidermique des médias. Ils sont à l'affût du moindre coup de vent, du moindre haussement de ton, du moindre sous-entendu, du moindre écart de comportement, etc. Ça me tape sur les nerfs, et ça me fait repenser au livre de Fukuyama qui proclamait la fin de l'histoire (il ne fait que répéter ce que Hegel disait à la suite de la Révolution française). L'histoire est effectivement terminée, il ne se passe plus rien, mieux, il ne peut plus rien se passer. C'est pourquoi le moindre coup de vent fait les manchettes nationales et que des niaiseries prennent une ampleur disproportionnée.

Tout le monde est terrifié par les médias. Si on fait parler de soi de travers par les médias, ça équivaut automatiquement à une crucifixion sur la place publique. Cette terreur que les médias exercent ne peut conduire qu'au conformisme et à la grégarisation de l'homme, en plus d'un nivellement massif vers le bas et d'un abrutissement collectif total. On ne se rend pas compte de ce qu'on demande aux individus : on demande à ce qu'ils correspondent aux critères des médias, aux critères de ce qu'il faut pour passer devant une caméra.

C'est le test de la caméra, sauf que celui-ci se passe en tout temps, nous sommes toujours et constamment sous surveillance, sous le regard d'un oeil invisible. Ça me fait penser à Dieu dans les consciences. Aujourd'hui, c'est la caméra qui le remplace. Ça me fait aussi penser à Big Brother du roman 1984 de George Orwell. Je sens cette pression tous les jours, de correspondre à ces critères de stérilisation, d'hygiène, d'attitude politically correct, de parler propre, de comportements propres, etc. Nous fixons l'individu dans un moule pour qu'il corresponde aux besoins de l'industrie. Sommes-nous des machines au service de la machine?