Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 23 juin 2009

Rictus

Tout parle! me répétai-je en lisant une page de Nietzsche, assis à ma table habituelle du Café des Ouvriers. Effectivement, « tout parle » pour qui sait observer. Musique, laisse-moi monter, monter, monter toujours plus haut. Heidegger perce toujours vers moi, philosophe de génie, mais un peu lourd, à cause de la lourdaude langue allemande. Nietzsche aussi, génial, brisé, lucide. Je suis un philosophe-artiste qui privilégie le jeu en toutes choses. Me mutiler mentalement, moralement, existentiellement. Le philosophe gagne toujours, me répétai-je, en pensant à Sophia. Philo-Sophia. Il est détaché du monde et des choses, il a son centre en lui-même, pensai-je, assis à ma table habituelle, froide, du Café des Ouvriers. Le spleen pornographique. L'abondance, la tristesse, l'impasse. Les corps nus qui s'enlacent spontanément, sans chercher le pourquoi. La chair torcinée. L'ivresse de la peau inconnue, gorgée d'eau, de parfum, d'alcool, de ténèbres enneigées. Par amour, toujours. Amours nés du givre. Fonder sa philosophie sur une seule grande idée, c'est la rendre vulnérable. R'viens pas trop tard, j'pourrais être mort, chantai-je à tue-tête dans ma tête assis à ma table de marbre, dure et glaciale. Je me souviens soudainement des nuits d'hiver passées dans ce café, exactement à cette place, lus-je dans mon journal, assis à ma table préférée du Café des Ouvriers. La rue Mont-Royal possède un charme, une profondeur, une histoire inscrite dans ses cafés et ses magasins, lus-je, en feuilletant mon journal. Réalité = Cohésion, non! Et le rêve cohérent? La distance entre deux points est toujours la même d'un point de vue objectif, mais si nous voulons la traverser, nous devons la considérer d'un point de vue subjectif. Ainsi, si un mur de brique sépare le point a du point b, qui sont pourtant objectivement très proches l'un de l'autre, ils sont pour moi, être de chair prisonnier de sa cellule de béton, séparés par une distance infinie, pensai-je, assis à ma table et m'apprêtant à sortir pour aller rejoindre ce qui sera le corps de Paul, ce corps de marbre au regard fasciné, en partie mutilé, bien assis sur sa chaise à son bureau du Vieux-Montréal, dans une mare de sang noir.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire