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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 juin 2009

Question de chance

Le vrai amour prend du temps à grandir, pensai-je, assis à ma table du Café des Ouvriers. Ce qui donne sens à une oeuvre artistique, c'est l'esprit dans lequel elle a été conçue. L'oeuvre raconte une histoire. C'est surtout en musique que l'on perçoit cette dimension narrative. Le temps n'est que la pression que les autres exercent sur nous pour obéir, me dis-je. En ce sens, le temps et le social sont proches l'un de l'autre. Rejeter l'un c'est possiblement rejeter l'autre. Ouvrir sa vie à une autre histoire, un autre récit. Une grande partie de la fonction du langage est de révéler des intentions. Pris sur la Terre, dans le cercle de mes désirs sexuels, complètement absurde. La sinuosité de la femme. Les cosmonautes ont amené la banalité quotidienne sur la Lune. L'« esprit du débutant », le Zen, la bonne voie. Avec la fuite des dieux quelque chose est perdu, mais en même temps aussi quelque chose est gagné : la possibilité d'un questionnement sur l'être qui considère celui-ci autrement qu'en tant que condition de possibilité de l'étant, me répétai-je, en lisant Heidegger assis à ma table du Café de Ouvriers. Hölderlin. « Là où est le péril, croît aussi ce qui sauve. » La vie ne peut être pensée en entier comme système, pensai-je, car c'est avant tout la vie qui nous pense. Un autre rejeton de l'intellectualisme, me dis-je. Aimer un pays : une folie nécessaire. Dans toute vérité une part d'erreur, et dans toute erreur une part de vérité. Température, santé, nourriture, argent. « La conscience est un raidissement de l'esprit. » Belle phrase de Castaneda. Nous sommes prostitués au Temps, pas à l'argent! L'Être n'est jamais pris dans les filets du temps. Le temps n'« est » pas, le temps se « tempore ». Le temps est une trame. L'Origine, c'est l'être que nous ne sommes pas. C'est pourquoi on la cherche tant. L'exclusivité sexuelle n'est jamais une preuve d'amour, me dis-je. Si Dieu existe, je n'en ai pas besoin. J'accepte de vivre, d'aimer, de rire et de mourir pour rien, me dis-je. La souffrance ne donne pas raison. La conscience n'est pas fondée sur la pitié. Le poids de la célébrité, la félicité de la banalité quotidienne. Profiter de l'instant présent : tout disparaîtra, même l'histoire, même l'univers. Il ne faut répondre uniquement qu'à sa vocation. Faire comme si chaque jour était le dernier. Il faut tromper l'amour! me dis-je. Sacrifier le sacrifice! Ne pas passer sa vie à attendre. Ne pas penser à ce qui ne dépend pas de nous. Dès que l'on se met à penser un peu profondément, me dis-je assis à ma table du Café des Ouvriers, la femme arrive pour nous rappeler que la surface existe aussi. Les profondeurs sont dans les surfaces, disait Nietzsche ou un autre. Remède contre l'aliénation : imiter extérieurement le chez-soi. Ce qui caractérise la folie, c'est l'inconstance. Le monde change, pensai-je, le mal finit pas passer. La fidélité, me dis-je en pensant à K., n'aurait rien à voir avec le sexe. Le même, le pur n'est pas bon : contradiction des idées sur le sang aryen. Ce qui fait la différence entre moi et ce clochard, me dis-je, c'est une question de chance. Oui, toujours, ce n'est qu'une question de chance, pensai-je, peu importe ce qu'on en dira. Je vais perdre celle que j'aime le plus au monde, pensai-je. Je croise mon visage dans le miroir, moi, mâle commode, frère de tout ce qui tombe, frère de la déchéance, de la décadence, de la misère, de la souffrance.

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