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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

samedi 25 avril 2009

Julie la spermaholique

Julie est partie à la chasse en ce chaud samedi soir : elle veut une queue bien juteuse. Elle adore sucer une queue sur le fly et en retirer la substantifique semence. Sa bouche s'ouvre grand pour recevoir le sperme au moment de la décharge, elle veut tout, elle avale tout. Cette bouche gourmande se tape au minimum deux lampées par jour : ce corps et cette peau magnifique ont besoin de beaucoup d'acides aminés, beaucoup... Elle adore aussi étendre le sperme sur son visage, sur ses seins; elle possède même un petit pot de sperme prélevé sur ses jeunes favoris qu'elle conserve en cas de pénurie.

Elle s'imagine déjà en train de sucer sa prochaine queue. Elle sent le pénis durci contre ses lèvres charnues, le sperme chaud qui gicle dans sa bouche, la substance saline, sa chatte mouillée qui s'ouvre pour accueillir le phallus inconnu. Elle s'avance au comptoir et aperçoit un homme qui fixe sans gêne ses seins. Il s'appelle Jacques, mi-trentaine, ne pense qu'au cul et se cherche une bouche assoiffée. Julie jauge la marchandise, beau paquet dans le jeans. Elle sait ce qui l'attend, elle n'aura pas de surprise. Mine de rien, elle paie une bière à Jacques tout en jasant avec lui. Il est un peu mal à l'aise, mais, bonne stratégie, il se sent maintenant obligé de rendre ce qui lui a été offert. Julie ne veut pas de drink, elle lui chuchote lascivement à l'oreille alors qu'elle sait que la partie est déjà gagnée : «I want your sperm on the rocks».

L'anus de Dieu

Nicolas éprouve depuis quelque temps déjà des frissons interdits au moment de se mettre à genoux et d'effectuer sa prière du soir les coudes appuyés sur son lit. Il tremble à l'idée d'une main qui se pose sur ses fesses et commence à le toucher lascivement. Il se met à genoux et relève ses fesses; il sent Dieu passer au travers de lui, de son corps, mais ne peut s'avouer qu'il le sent entrer par son anus.

Bien vite, l'excitation, les fantasmes le submergent : ils s'imaginent en train de se faire baiser par un homme grand et imposant. Il ne veut rien savoir de tout ça, et rejette par conséquent cette sensualité perverse bien loin de lui. Il la chasse de ses pensées, et prie avec encore plus de ferveur, prend même plaisir à s'imposer quelques souffrances pour se faire «payer» d'être si impur, si sale et dégoûtant.

Un soir où il marchait sur la rue Ste-Catherine dans le Village, il décide d'entrer dans un bar gai. Immédiatement, il ne se sent pas à sa place, on le dévisage, mais c'était plus fort que lui : il voulait voir «qui» étaient ces «dépravés». Un homme le prend par la taille et le complimente; il est tellement pris au dépourvu qu'il se laisse faire et décide d'«entrer dans le jeu».

Quelques verres plus tard, il prend une décision qui va changer sa vie : il veut «essayer». L'homme le met en confiance et l'emmène chez lui, dans son donjon privé, accompagné de deux autres gars.

Arrivé là, Nicolas se soumet rapidement aux désirs des autres hommes. Il acquiesce, se déshabille, se met en position de soumission, un peu comme lorsqu'il fait sa prière. Il commence à sucer un des gars, puis il les suce tour à tour. On l'emmène au sous-sol où il est attaché sur un tréteau. On lui installe des pinces sur les mamelons qui lui causent de la douleur, mais lui procurent en même temps un plaisir indescriptible, exquis.

Pendant qu'il suce un des gars en avant, un autre étend du lubrifiant, tâte la zone et puis le pénètre doucement en le tenant bien solidement par les hanches. Le sang monte au visage de Nicolas, il se sent soudainement «humilié», mais décide de continuer malgré la douleur nouvelle. Il prend un peu de popper pour faciliter la pénétration, son anus se détend, et le gars sent la relaxation alors il augmente la cadence et va plus «profond» pour bien dévierger ce jeune homme. Puis, il cède à l'autre, équipé d'un plus gros pénis, qui aurait fait trop mal à Nicolas s'il avait commencé en premier.

L'homme qu'il suce vient dans sa bouche, alors que le troisième homme exécute de forts assauts qui causent un claquement sur les fesses de Nicolas. Sur le coup il est effrayé par l'intensité que prend subitement la situation, son coeur panique, il est hors d'haleine. Il sent le sperme chaud gicler en lui, puis le deuxième prend le relais pour finir le «travail», mais se retire à temps pour venir dans la bouche de Nicolas, qui suce voracement et avale toute la sauce.

De retour chez lui, Nicolas se remet à genoux pour effectuer sa prière du soir, nu. Il touche son anus et sent la dilatation de celui-ci, la nouvelle sensation décadente qu'elle lui procure; il entre un doigt, puis se masturbe en pensant «je suis l'anus de Dieu, je te supplie, fait entrer en moi ta semence divine».

mardi 21 avril 2009

À la recherche du dildo perdu

Cecilia venait d'emménager dans son nouvel appartement branché du Plateau depuis deux jours, quand Albertine se pointa pour lui rendre visite. En manque de sexe de façon aiguë, elle vit tout de suite en son amie péripatéticienne son lunch du midi.

Albertine, perverse de nature, ne refusant jamais une invitation à broutte-minou, décoda immédiatement le regard diabolique de Cecilia qui voulait dire couche-toi là ma garce que je te travaille les ouvertures, se dévêtit et se jeta nue sur le lit. Cecilia cherche son dildo dans les boîtes pour le mettre sur son strap-on et fourrer dignement cette jeune libertine dépravée, mais elle ne le trouve câlissement pas.

Elle annonce à Albertine qu'elle va devoir utiliser une technique plus invasive. Je vais te fister, dit-elle, ouvre tes fesses et détends-toi bien, je vais aller très doucement. Albertine n'avait jamais essayé ça, mais elle était très excitée à l'idée d'avoir un poing qui remplirait sa chatte ou son cul.

Cecilia étend du lubrifiant à base de silicone et commence son malaxage, rentre doucement un doigt, puis deux, fait des va-et-vient pour réchauffer la piste, puis va plus profond, la chatte mouille abondamment et c'est juteux. La technique un peu froide et chirurgicale de Cecilia excite encore davantage son amie. Albertine sent l'orgasme délirant qui se prépare, ça chauffe en dedans, ça frotte rythmiquement, ça danse, ça monte.

La main de Cecilia force son entrée plus profondément, se recourbe, se ferme durement en poing et ouvre grand les portes de Sodome. Albertine, extasiée par la sensation trouble et inusitée que lui procure son cul défoncé sans merci, jouit titanesquement.

Cecilia continue en jouant avec la chatte assoiffée de son amie tout en se masturbant, et lance «tu vois, ma main fist bien dans ton cul, encore mieux qu'un dildo». Les deux amies s'esclaffèrent et poursuivirent leurs ébats.

lundi 20 avril 2009

L'écume des rails

Vincent descend la ligne verte en direction de la station Beaudry. C'est un dimanche soir et le métro est assez désert. Un peu pompette, il s'endort énormément; en mode pause, il se met donc à tartiner des femmes en esprit. Pourquoi pas, tiens, une Japonaise étendue nue sur une table et couverte de sushis? La rêverie se fait aller, quand soudainement les portes du wagon s'ouvrent : c'est Jane et Sylvie, deux wannabe putes du centre-ville.

Vincent, encore dans ses rêveries sexuelles, n'en croit pas ses yeux. Il a devant lui deux jeunes femmes prêtes et disposées à accomplir des choses pas catholiques. Bref, deux délinquantes en herbe cochonnes et poudrées. Il ne lui viendrait jamais à l'esprit d'abuser de leur naïveté, mais toute règle a son exception.

First, Vincent a une érection douloureuse et il lui prend une envie retorse de faire une proposition inacceptable à Jane, celle qu'il croit la plus disposée à répondre à ses avances. Puisqu'ils sont dans le dernier wagon, que le métro est désert et qu'il reste quelques stations encore, pourquoi ne pas s'amuser un peu, dit-il à Jane. Elle connaissait Vincent et savait ce qu'il avait l'habitude de faire avec la gent féminine du secteur. Aussi, pour s'amuser un peu à son tour demanda-t-elle à Vincent : «Qu'est-ce que tu veux dire par s'amuser?» avec un air coquin.

Vincent, accoté sur la porte arrière du wagon, pointe son index en direction de son promontoire. Grâce à son statut de revendeur, il sait qu'il lui est facile dans ces situations-là d'avoir quelque avantage en matière sexuelle, en échange de quelques lignes de récompense. Évidemment, penserez-vous, c'est croche, c'est pas correct, mais que voulez-vous? – il faut parfois faire avec ce qu'on a; et de plus, je n'ai jamais dit que Vincent n'était pas un écoeurant. Comme Balzac disait si bien : «Il n'y a pas de principes, il n'y a que des circonstances.»

Alors Jane, l'étudiante endettée qui aime les passe-temps lucratifs, a tout de suite saisi la signification des gestes subtils de Vincent. Elle acquiesce à sa demande, non sans quelque plaisir, puisque Vincent, bien qu'il soit un écoeurant, a une certaine tenue, un charisme et une prestance capables de charmer même les femmes les plus rebelles. Sylvie s'adapte à la situation, puisqu'elle sait qu'elle en bénéficiera elle aussi; elle s'assoit donc et attend que Jane la tombeuse s'exécute.

L'accord conclu, Jane se place assise dans un coin; Vincent approche et dézippe son jean pour en faire sortir sa queue bien dure. De sa main gauche experte, elle joue avec ses testicules pendant qu'elle le suce. Des passagers entrent dans le wagon voisin, mais rien n'y paraît, puisque Vincent est de dos et que Jane se colle davantage sur son pubis poilu. À mesure qu'elle pompe, elle sent sur ses lèvres la pression des veines bleues qui parcourent l'engin de Vincent. Sylvie, positionnée face au couple, observe toute la scène.

Vincent, submergé par l'excitation et sur le point d'éjaculer, prend doucement la tête de Jane entre ses mains comme pour lui indiquer d'accélérer le mouvement. Il sent la langue de Jane frotter contre la base de son pénis, qui appelle la sève à monter. La bouche se referme et exerce une pression irrésistible, forçant Vince à verser tout son sperme dans le réceptacle du vice incarné. Jane se lèche les lèvres de contentement, et prend soin de happer les quelques gouttes qui restent du bout de son pénis. Le méchant garçon reprend ses esprits, remet l'attirail en place et zippe son pantalon. Le marché étant respecté, il remet les sachets qu'il lui avait promis, puis s'exit à la station Beaudry en pensant : «Quelle sacrée pompeuse! Elle s'y connaissait un peu plus que je le pensais. Finalement, c'était moi le gros naïf dans tout ça!».

dimanche 19 avril 2009

Les hanches profondes de Lilou

La Trans Am noire tourna sur la rue St-Germain dans Hochelaga en produisant un crissement de pneus et se gara, en tapant dans le parechoc de la Hyundai Accent d'en avant. Il aperçut derrière le rideau troué d'une fenêtre l'ombre d'une silhouette furtive : c'est l'appartement de Lilou.

Il monte les marches branlantes, la porte s'ouvre, le visage de Lilou s'illumine, les yeux pétillants : elle l'attendait, le voulait, juste pour elle, pour la nuit, dans son lit. Il la prend virilement par les hanches et lui donne un french kiss digne d'un mâle, puis traverse le portique; la musique grunge remplit le salon d'une atmosphère de complicité désinvolte et impure.

Elle passe le joint à Rod, qui pompe la fumée avec un début d'érection. Les accords de guitare décrissée de Kurt retentissent dans l'immensité de la nuit brûlante, rejoignant et unissant les solitudes les plus intoxiquées. Elle offre une bière à Rod et se dirige vers la salle de bain, laissant la porte ouverte; leurs regards se croisent un instant avec une certaine langueur.

Il observe les posters de Nirvana, complètement relaxe, rêveur, et tout en poursuivant la conversation, rejoint Lilou dans la salle de bain, parcourant du regard la courbe de ses cuisses, qui, sous le toucher de ses doigts rugueux, s'entrouvrent, chaudes et humides. Elle s'offre à lui, pâmée et prête pour le galop; il retrousse sa minijupe, en constatant avec plaisir qu'elle n'a pas de petite culotte, la plaque doucement contre la porte et enfonce sa queue prête à exploser dans les profondeurs de ses hanches. La cadence implacable de son piston réduit à néant toute velléité de résistance.

Déterminée, telle une tête chercheuse, la queue de Rod ramone à fond le trou de Lilou, dont le corps s'offre comme un buffet à volonté. Dans le feu de l'action, au milieu des cris de jouissance, il aiguillonne son engin sur une autre voie, remonte le mont de la Vénus et emprunte le chemin étroit qui mène à Sodome.

À suivre...

dimanche 12 avril 2009

Persévérer dans l'existence

Je ne sais pas ce qui me pousse à persévérer dans cette existence merdique. Peut-être le fait de pouvoir me blottir contre ma blonde le soir en dormant et de lui dire que je l'aime, de déguster une bonne bière ou un bon scotch, de découvrir un écrivain ou un philosophe qui m'ouvre de nouveaux horizons, de rencontrer des gens qui me donnent envie de poursuivre mon travail... De toute façon, je me suis fait une promesse : je ne partirai pas avant d'avoir dit mon dernier mot... avant d'avoir versé ma dernière goutte de sang.

Religion, sexualité et pornographie

L'erreur commune des prêtres, c'est de prendre la sexualité trop au sérieux, d'y accorder trop d'importance (ils ne sont pas les seuls), au point que le choix d'y renoncer devient un choix majeur de leur vie... et une renonciation majeure, complètement inutile.

Ce qui me ramène à la parure, où l'on cache une partie du corps pour la révéler davantage, pour mettre l'emphase dessus, jusqu'à ce que ça devienne «pornographique», se rendant complice d'une sexualité géométrique, en totale dissociation des humains qui s'aiment, ou se désirent avec passion, que ce soit pour une nuit, ou pour la vie.

Je ne suis pas contre la pornographie, car les corps nus participent d'une certaine forme d'art et de beauté, mais je suis contre la réduction de la sexualité au seul pornographique et la dévaluation qu'elle entraîne inévitablement, jusqu'au point où il ne nous est plus possible de voir ce qu'il y a de «sacré» en toute chair, le fait que cette chair est divine et à la fois habitée par la mort.

Le corps est forme, désir; il peut n'être que forme, si la personne le désire, mais il n'est pas que forme. L'erreur c'est de faire de cette forme l'aspect essentiel de l'être humain, alors que ce n'est qu'un seul aspect du tout formé par celui-ci. Ne voir une personne que comme une baise peut être valable si c'est réciproque, mais ne correspond pas de façon générale à une vision durable des choses pour une vie heureuse en société. Disons plutôt que c'est une vision qui dure l'espace d'une éjaculation...

Mais doit-on unir idéal et sexualité? C'est l'erreur je crois, que tous font, y compris le prêtre. Je ne peux m'empêcher de penser ici à l'art «socialiste»; ou à une «théorie de l'érection» pour savoir comment bander et quand; ou encore à quelqu'un qui se cale dans son fauteuil pour fumer une pipe en réfléchissant sur le «sens de la vie» : la réalité de cette question est aussi fugitive que les nuages de fumée qu'elle suscite.

La sexualité est libre, et belle, et «sans importance». Il faut la laisser être, elle participe du jeu. Politiser l'art, politiser la sexualité, c'est ce qui se produit lorsqu'on veut les unir à un «idéal», qui fait penser à une cage de zoo dans laquelle on veut enfermer un fauve.

mercredi 8 avril 2009

Les sophistes ne sont que des réalistes; ils élèvent au rang de valeurs philosophiques les valeurs et les pratiques universellement courantes, - ils ont le courage qu'ont tous les esprits vigoureux, de connaître leur propre immoralité... p. 25
[...] je pense qu'il y a déjà chez Platon une horrible et pédantesque manie des concepts - la décadence du bon goût intellectuel; on ne perçoit déjà plus la laideur, le cliquetis sec de toute dialectique directe. p.25
La polis perd sa foi à la qualité unique de sa civilisation, à son droit de dominer toute autre polis... on fait échange de civilisation, c'est-à-dire de «dieux», - [...] Les diverses variétés ethniques du bien et du mal se mêlent; la limite s'efface entre le bien et le mal... Voilà le «sophiste»... Le «philosophe» au contraire marque une réaction: il veut l'ancienne vertu. [...] il veut de veilles institutions; [...] il cherche de nouvelles autorités (voyages à l'étranger, dans les littératures étrangères, les religions exotiques...); il veut la cité idéale après que l'idée de «cité» s'est survécue [...] Il s'intéresse à tous les tyrans; il veut restaurer de force la vertu. p. 25
Notre façon moderne de penser est héraclitéenne à un haut degré, démocritéenne et protagoréenne: parce que Protagoras a réuni en lui les deux parts d'Héraclite et de Démocrite. p.24
À propos des sophistes : [...] ils devinent que le fondement de toute morale est nécessairement sophistique - [...] ils posent cette première vérité qu'il n'y a pas de «morale en soi», de «bien en soi» [...] p. 24
À force de rendre la vertu complètement abstraite on était gravement tenté de s'abstraire soi-même, c'est-à-dire de s'arracher à toute communauté. p.24
Ce qui distingue les philosophes moralistes eux-mêmes, c'est la totale absence de toute propreté, de toute discipline intellectuelles; ils prennent les beaux sentiments pour des arguments; leur sein gonflé d'enthousiasme leur semble l'outre pleine du souffle divin... p.23
[...] personne n'a eu le courage de définir l'essence du plaisir, de toute espèce de plaisir (de «bonheur») comme un sentiment de puissance; car le plaisir de la puissance passait pour immoral [...] p.23
Depuis Platon la philosophie est sous la domination de la morale. p.23
Dans la génération suivante, qui fut nécessairement conduite par son instinct historique à apprécier la relativité de toute autorité, ce besoin a prouvé à nouveau sa supériorité en s'asservissant jusqu'à la philosophie évolutionniste de Hegel. p.23
De l'habitude des autorités absolues est né finalement un profond besoin d'autorités absolues. p.23
Les arrière-pensées morales ont été jusqu'à présent la plus lourde entrave à la marche de la philosophie. p.22
Mais tout leur métier fait qu'ils n'admettent que certaines vérités; ils savent d'avance ce qu'ils ont à démontrer, on pourrait dire qu'ils se reconnaissent pour des philosophes au fait qu'ils sont d'accord sur ces «vérités». p.22
Le respect est l'épreuve suprême de la probité intellectuelle: mais dans toute l'histoire de la philosophie il n'y a pas trace de probité intellectuelle - rien que «l'amour du bien»... p.22

mardi 7 avril 2009

Réflexion sur Musil

Sur le totem. C'est toujours beau ces belles théories trop intelligentes, c'est toujours bien dit et ça fait chic dans une soirée mondaine. Par contre, je ne dis pas que c'est complètement faux. Je cite: « [...] les idéaux de la "personne" et du "sujet" remplissent pour ses contemporains une fonction analogue à celle du totem pour l'homme "primitif" et font eux aussi l'objet d'un culte. [...] Le totem de la personne, en revanche, rend problématique le rapport du même et de l'autre. Enfermé dans une relation spéculaire, l'homme devient son propre objet de culte et d'amour. [...] Il n'est guère un protagoniste de L'Homme sans qualités qui ne voue un soin attentif à sa personne et ne se montre soucieux d'affirmer son identité, de se singulariser et de s'objectiver à travers les signes. » Ces gens agissent de cette façon dans l'«espoir de laisser une trace impérissable de leur présence» [...] «susceptible d'être un jour découverte» (si elle est cachée, par exemple une note insérée dans un pan de mur en construction).

Alors l'homme, avec tout ça, a évidemment un besoin de s'exprimer. Il a un besoin «d'épanchement narcissique». Le psychanalyste a la fonction de canaliser cette expression de soi, et serait donc une forme moderne de chamanisme. D'accord.

Je trouve que ma blonde tape un peu trop sur les blogs, qu'elle se regarde un peu trop dans le miroir, qu'elle est peu trop égocentrique, et qu'en plus elle tient un journal personnel ne parlant la plupart du temps que d'elle-même et de ses mésaventures, de plus, il porte un petit cadenas comme pour piquer ma curiosité et me donner envie de le lire en secret. Ma blonde m'explique la situation: «Écoute chérie, puisque l'homme a rompu ses liens avec le totem, il ne lui reste plus que lui-même. Alors je m'auto-admire, je m'aime, je veux me singulariser, j'écris plein de choses pour laisser des traces de moi, je fais des blogs, et quand il y a une caméra dans les parages, je ne suis jamais loin. J'ai un besoin d'épanchement narcissique, c'est la raison pour laquelle je parle sans cesse sur mon cellulaire, je corresponds par messagerie avec mes amies toute la journée, j'écris dans mon journal, je ne veux pas que personne ne m'oublie, c'est la raison pour laquelle je me fais belle, je me mets du parfum, etc., bref, je veux laisser une trace impérissable de moi dans le maximum de têtes possibles.»

Moi: «Est-ce que t'es sérieuse là? Tu veux dire que t'es consciente de tout ça, que t'as un besoin «d'épanchement narcissique» et que tu le fais quand même?»

On voit bien qu'il y a un problème là... Elle justifie ce qu'elle aime faire de toute façon, avec une théorie trop intelligente à la Musil sur le totem. Ainsi, la conscience de faire quelque chose, change tout. Cette théorie ne s'applique que de l'extérieur, à des gens qu'on observe, sans leur demander le motif de leurs actes: c'est ça la théorie, et ça fout souvent le camp dans la pratique. Si vous répondez que ce sont des tendances générales de l'humanité, je peux vous répondre que je ne fais jamais affaire avec l'«humanité», mais seulement avec des êtres humains particuliers.

Si les «primitifs» n'étaient pas aussi narcissiques que nous (ça reste à démontrer), cela n'empêche pas qu'ils auraient pu le devenir, si on leur en avait donné les moyens. Et ce n'est sûrement pas le totem qui va empêcher ça. Les moyens techniques modernes qui peuvent servir à nous renvoyer notre image abondent. De plus, le travail de l'acteur, qui semble en partie méprisé dans cette conception des choses, fait partie des démarches de prise de conscience de soi. L'homme moderne ne cherche pas à s'admirer (en général), mais à introduire une distance entre lui et «lui-même», il cherche à se connaître, à s'observer, et à observer ce que les autres observent de lui, un point de vue extérieur étant toujours privilégié, ainsi il forme beaucoup moins une unité que l'homme primitif, englué dans la masse indistincte de la nature.

Par opposition à cet homme, si l'homme moderne est pleinement conscient d'avoir une attitude narcissique à un certain moment, il ne l'est alors plus tout à fait, puisqu'il a introduit une distance entre lui et la conduite, qui lui permet de s'observer et de changer. S'il continue à être narcissique, c'est alors un narcissisme au deuxième degré, hyperréel en quelque sorte, ou de mauvaise foi. Ce n'est plus une attitude spontanée qui renvoie en ligne droite à quelque chose, à un rapport simple ou à une identité entre l'acte et l'acteur.

C'est comme pour l'amour: si je deviens pleinement conscient des raisons pour lesquelles j'aime une personne, trop conscient même pouvons-nous dire, et que je les énumère une par une, il est possible que mon amour disparaisse, ou qu'il ait déjà disparu. Car on n'aime pas par raison, par calcul, et les sentiments ne sont jamais complètement rationnels, c'est-à-dire soumis à un contrôle, à un calcul, à une division. Nous ne faisons toujours qu'«un» avec un sentiment. Par contre, si je continue d'«aimer» dans ces circonstances, ce n'est qu'une «comédie» de l'amour, une caricature d'amour, ce n'est plus un amour réel, spontané, naturel, mais un «amour» réfléchi, étudié, volontaire, autrement dit, un amour mort.

Ainsi le prétendu narcissisme de l'homme moderne est (en général) un faux narcissisme, un narcissisme mort, une comédie. Le «soi» manque pour pouvoir s'admirer. Le sujet est absent; il est disparu en quelque sorte au moment ou on pensait justement pouvoir le saisir. Nous ne sommes plus que les acteurs du «soi», nous jouons la comédie du soi qui joue à se regarder.