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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 23 juin 2009

Hôtel Déchéance

En direct de l'Hôtel Déchéance sur St-Hubert, un drame se joue dans la chambre 12. Lorsqu' Anémone retourne travailler sur la rue, je sais que ce n'est pas ce qu'elle fait; et je sais qu'elle me ment depuis quelques jours. Je suis parano sur la coke, je le sais, mais je ne suis pas fou; je suis certain qu'elle joue dans mon dos. Je la vois sortir de la chambre et puis ensuite au lieu de l'entendre passer par la porte d'entrée de l'hôtel, je l'entends monter l'escalier qui mène aux étages supérieurs.

Il y a plusieurs façons d'entrer et de sortir de cet hôtel, plusieurs endroits où se cacher, et pour quelques dollars le préposé à la réception est prêt à dire ou à faire n'importe quoi pour n'importe qui : c'est un vieux de la vieille. Alors, je lui demande : est-ce qu'Anémone est sortie? alors que je viens de l'entendre monter les marches à la course, il me répond oui, et je me précipite immédiatement sur la porte d'entrée et sur la rue St-Hubert, je regarde dans les deux directions, rien, je rentre au bar d'à côté, rien : elle n'est nulle part, alors que je sais pertinemment qu'elle ne peut pas descendre la rue aussi vite.

Je reviens à l'hôtel et je sais maintenant qu'elle est à l'intérieur, qu'elle ne peut être qu'à l'intérieur, et que le préposé est dans le coup, pourquoi?, je ne sais pas, mais ça sent la coke. Je monte aux étages supérieurs et je prête attention. J'arrive finalement au dernier étage, là où il s'est passé tant de choses autrefois, car je connais cet hôtel depuis assez longtemps et j'ai couché pratiquement dans toutes ses chambres (qui possèdent toutes une histoire propre), et je perçois faiblement la voix d'Anémone. Il n'y a que cinq chambres à cet étage; j'approche doucement de la première pour écouter, mais sa voix semble soudainement venir de la troisième... et puis non! c'est de la deuxième... et après un moment j'entends distinctement sa voix provenant de la cinquième chambre, alors je cogne, mais les voix se sont tues et personne ne répond. Le préposé à la réception arrive tout essoufflé de l'escalier et me demande de redescendre, car il sait que je cherche Anémone, dans ce qu'il veut me faire croire être un délire de paranoïa.

J'accepte de redescendre, mais je sais très bien que maintenant qu'elle a été alertée, elle va probablement passer par l'escalier de secours à l'arrière de l'hôtel et se faufiler en douce sur la rue Ontario. Mais je n'ai pas le choix de passer la porte d'entrée et d'aller sur la rue, car le préposé me surveille. Je fais un stop à ma chambre, je prends mon couteau de chasse et l'insère dans mon pantalon au niveau de la taille sous mon chandail ample; je me dirige à pas rapides vers la porte d'entrée, ensuite je descends St-Hubert et tourne à droite sur Ontario : c'est sur la rue que ça va se régler, me dis-je.

J'aperçois Anémone au loin près de Wolfe; c'est un après-midi d'été, en pleine canicule, les autos sont bloquées dans le trafic. J'arrive près d'elle et complètement enragé, je lui fous une baffe en pleine gueule devant tout le monde. La baffe la sonne un peu, et puis elle se met à pleurer et à crier complètement hystérique qu'elle veut appeler la police. Je me rends compte alors que j'ai perdu mes moyens; que l'alcool, la drogue, le manque de sommeil et le fait de ne presque jamais manger quoi que ce soit, la bière me tenant lieu de repas, m'a usé à la corde, que je suis fini, physiquement et psychologiquement. Je regrette mon geste, mais la marde est pogné sur la rue Ontario et le monde commence à réagir : on veut me mettre la main au collet pour me livrer à la police et les cellulaires se font aller. Anémone a un réflexe instantané : elle sait que tout est mieux que la police, elle ne veut pas me perdre, elle ne veut pas risquer d'avoir affaire aux policiers, elle ne veut surtout pas qu'on l'éloigne de la rue, parce que ce qu'elle veut aussi, tout comme moi, c'est sa prochaine dose. Elle m'ordonne alors de foutre le camp rapidement et de retourner à l'hôtel par différents chemins, because the cops are probably on their way already.

Je tourne en panique sur Beaudry en m'éloignant du trafic et des témoins de la scène, mais un gars m'interpelle en anglais : c'est un déménageur qui a assisté à toute la scène en direct du côté passager de son camion bloqué dans le trafic, accompagné de son ami, et qui a décidé de sa propre initiative, de prendre les choses en mains, et de régler son compte à la merde de la société. Je n'ai pas besoin de vous dire que j'étais complètement crinqué à ce moment-là, et je décide avec un malin plaisir de m'arrêter et de me retourner pour faire face à ce type, ce défenseur de la vertu, qui avait vraisemblablement des choses à me dire.

Je reste immobile et je l'attends de pied ferme, alors qu'il se dirige à grands pas vers moi, et vers la gloire, puisqu'il veut jouer au héros devant le monde et surtout devant son buddy dans le camion : il sait qu'il cassera facilement la gueule à un misérable junky décharné, c'est pourquoi il veut faire un show. Il me balbutie quelque chose en anglais qui ressemble vaguement à yo, motherfucker i'm gonna kill ya!, et me lance avec ses bottes à caps d'acier un grand coup de pied entre les deux jambes avant même que je n'aie eu le temps de réagir. À ma grande surprise, je ne ressens absolument rien. Je reste debout devant lui, sans fléchir aucunement, et je commence à voir dans ses yeux la stupéfaction, qui se transforme rapidement en peur de l'inconnu : maintenant nous sommes seuls, moi et lui dans la rue, à l'écart du trafic, et c'est à mon tour de jouer... Dans ses yeux je vois le reflet de la lame de mon couteau de chasse de douze pouces que je viens subitement de sortir de mon pantalon, c'est alors qu'il me bredouille en panique, what now! yo gonna use that thang on me!? et il est reparti à toute allure dans son camion, son ami a pesé sur le champignon de toutes ses forces et vrooom! Le défenseur de la vertu est reparti la queue entre les jambes.

J'ai fini par me rendre à la chambre d'hôtel, puis Anémone est arrivée avec la dope, je me suis excusé et puis nous avons continué notre trip habituel. Le soir venu, j'ai compris que j'étais sur le point de perdre la boule, après toutes ces années de déchéance; c'est à ce moment que j'ai décidé que j'allais essayer de sortir avec Anémone de cette vie de misère, et reconstruire ma vie, notre vie, et essayer au moins de vivre heureux pendant un moment, même sans travail, sans études, même si ce n'était qu'un rêve.

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