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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 juin 2009

Phénoménologie de la vieillesse

Je traverse la rue à l'intersection, d'un pas raide, en surveillant le compteur qui m'indique les dernières secondes. À chaque pas qui me rapproche du trottoir, je vieillis de vingt ans. Je mets pied sur le trottoir, les autos circulent derrière moi; je regarde devant moi, vers l'avenir, ou plutôt ce qui en reste. Un avenir très modifié : je suis un vieillard, un malcommode. La vision des choses qui sont devant moi ne m'indique rien sur moi-même ni sur mon âge. Je pourrais avoir vingt ans, comme cent. Les yeux me permettent de rêver. De penser que je suis jeune à nouveau; que je suis ce jeune homme qui marche sur le trottoir en sens inverse, tenant un ballon de basketball. Mais je me ressaisis, je n'ai plus ses illusions. En fait, j'en ai d'autres, mais combien d'autres? et sont-elles aussi pires au fond?

Chaque pas est difficile. J'ai mal à mes jambes, mes pieds, mes membres sont lourds. Pourrai-je encore sprinter comme à vingt ans? Je me dis oui pour m'encourager et me penser jeune, mais la réponse en arrière-plan est, probablement non. J'ai mal dans mes membres, mes articulations, mon souffle est plutôt court; j'ai peu d'endurance; je n'ai plus d'ambitions, plus de rêves. Je pensai un instant : «Est-ce le rêve le moteur de la vie? le moteur vital?» Et : «Pourquoi mes rêves sont-ils morts?» «Où vais-je comme ça?» «Que va-t-il m'arriver?» «Qui suis-je?» «Suis-je qu'une queue sur deux pattes qui sert à perpétuer ses gènes?» Aucune réponse.

Je suis mort, bien mort, depuis longtemps. Cet homme qui traverse : difficile de penser qu'il est aussi sensible, sensible comme une femme peut l'être, plus encore? beaucoup plus? et qu'il n'oublie pas, n'arrive pas à oublier, car il se rappelle les blessures, gravées dans sa chair? C'est possible. Tout ça est possible. Suis-je comme lui? Suis-je stoppé par les blessures, par les douleurs? Pas au début, non. Mais graduellement, la résistance lâche : c'est inévitable. On finit par lâcher, par abandonner, face aux forces contraires, face aux forces contrariantes. On fait de belles ruelles toutes droites, avec des poteaux à linge tout droit, des clôtures droites, des habitations droites : c'est beau, c'est neuf, ça brille, c'est cher. Puis vingt ou trente ans plus tard, les racines ont déjà pris le contrôle sur tout : le pavé de la ruelle est brisé, les immeubles sont croches, les poteaux, la rouille, des objets disparates s'accumulent, etc. Ça nous rappelle que nous ne sommes que des locataires sur cette planète.

Les forces qui nous usent font le même boulot. Notre organisme s'installe dans le règne de la nature, puis les racines poussent en dedans et déforment tout, cassent la construction boulon par boulon. Que puis-je faire? -Rien. Seulement retarder la catastrophe.

Ce qui m'indique aussi ma vieillesse, que je ne vois pas en regardant le monde, c'est mon degré de cynisme : je ne crois plus en rien, sauf quelques broutilles, et mes amis les animaux, et quelques personnes vraiment bonnes. Car pour former des rêves, des illusions ou des ambitions, autrement dit un moteur qui te pousse de l'avant, vers quoi? -nul ne sait vraiment, il te faut croire, avoir encore la capacité de croire.

Ma dernière croyance de ce matin : que le système de justice est une business comme les autres, qui sert à engraisser la magistrature, les avocats, les juges, à faire fonctionner les prisons, faire travailler les gardiens, qui sert à en crucifier certains pour des années ou à les enfoncer encore plus dans le crime, pour les tasser de la compétition, du rat race, souvent pour des actions sans grande conséquence. Il n'y a pas de justice, il n'y en aura jamais, car cette terre est un purgatoire. Jésus a brisé les tables du temple, on l'a crucifié et après on a remis les tables. Et ensuite nous avons une autre business, nous avons les églises, le Vatican aux coffres remplis d'or, de faux dévots, des pédophiles cachés sous des robes de prêtre. C'est ça le résultat. La religion catholique : une marque comme une autre, et le crucifix, son logo.

C'est ça la vie : du monde qui se font vivre par les autres, alors que ces autres doivent accepter leur sort par des coups de matraque sur la tête ou des menaces ou tout simplement l'épuisement et l'amenuisement de la volonté de résister à ces parasites puissants. Ne faire confiance à personne. Prendre l'argent des autres en présentant ta salade et t'en aller fourrer des putes dans ta BMW, et après, d'autres putes dans ton manoir à putes. Un vrai success story. Mais cette histoire ne raconte pas les faits sur ceux que tu exploites, et ce qu'ils endurent pour toi. Y aura-t-il une justice? Même les gouvernements déroulent le tapis rouge à ces ordures. La vie est une puterie, et pour l'amour c'est pareil. L'homme et la femme : des putes à cash, en tout cas, pour ceux qui ont «compris le jeu». Du toc, du toc, du toc partout. Les autres, c'est les gens honnêtes, ceux qui se font avoir sur toute la ligne, ceux qui ont de bonnes intentions, et qui y croient. L'innocence est belle, mais tôt ou tard, elle se fait massacrer. C'est quoi le jeu? -faire croire aux autres. Créer l'illusion, d'une réponse, d'un baume, d'un avenir, d'une solution. Donner de l'espoir. Faire les autres se sentir supérieurs grâce à votre marque.

Les intellectuels qui théorisent sans fin en écrivant de grosses briques insignifiantes, ne sont qu'un tampon et retardent le moment où nous seront acculés à prendre les armes, la guerre étant le seul moment décisif, si nous en sommes encore capables, et après avoir pris nos médicaments. Ils servent de frein, mais ce sont eux aussi des parasites, qui n'ont pas de rapport direct avec la réalité. Ce ne sont pas eux qui vont aller se faire sacrer des litres de poivre de cayenne dans les yeux, se faire tabasser au Sommet, prendre en photo et ficher comme criminel. Les riches leur distribuent des bourses pour qu'ils écrivent des livres sans conséquence et qu'ils continuent à alimenter le rêve. De beaux discours, des sophistes comme les premiers, comme les politiciens aussi, qui ne servent toujours en premier et férocement, que leur propre intérêt... La seule et vraie réalité est-elle le monkey business? Comme en Inde, en Thaïlande et dans tous les pays que nous exploitons?

Ce furent mes belles pensées de ce matin. Je passai une excellente journée, après avoir bien maudit ce monde qui appartient aux ordures.

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