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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 juin 2009

Tour de force

Ligoté au 18e étage d'un immeuble de la rue Amherst, on se prépare à me régler mon compte avec minutie. Mes deux assaillants me tabassent tour à tour, je n'ai aucune chance de m'en sortir. Je saigne à profusion, les claques et les coups de poing fusent de partout sur ma gueule, je n'y vois plus clair, je suis sur le point de perdre connaissance. Soudain, je vois le visage de Cecilia comme dans un brouillard, qui m'appelle, me supplie de résister. Une claque me tombe dessus, qui me réveille un peu, le mirage disparaît, je reviens à moi.

J'entends cogner à la porte, ça y est que je me dis : je vais rencontrer le chef du gang, et bientôt je serai mort. Mes deux assaillants s'éclipsent un moment pour aller répondre à la porte, et me laissent sans surveillance. Je sais que je dois agir maintenant si je veux m'en sortir : je ramasse toutes les forces qui me restent et je fais un grand bond pour essayer de casser une des pattes de la chaise avec mon poids. La chaise craque sous la pression et j'arrive à bouger mes jambes et mes bras; je brise le reste de celle-ci et me lance sur la porte du balcon, passe par-dessus la rampe et commence à descendre l'immeuble par les balcons avec mes liens et des restants de chaise après les poignets et les chevilles.

Un des assaillants se jette sur le balcon et ne peut que constater que je lui ai glissé entre les doigts; il essaie de viser avec son arme dans l'obscurité et la pluie, mais change d'idée, et prend plutôt son téléphone cellulaire en panique : je descends par les balcons à une vitesse fulgurante, sans même avoir à réfléchir, l'adrénaline fait tout pour moi. Je suis une machine et je suis prêt à tout pour m'évader, complètement inconscient du danger de perdre pied à cette hauteur. Je ne regarde même pas en bas, je descends à toute allure, mais tout à coup j'entends des ricochets sur le béton des balcons : deux types tirent sur moi tout en bas, probablement équipés de silencieux, car je n'entends aucune détonation. Je suis obligé d'arrêter ma descente et de passer par l'intérieur de l'immeuble.

J'ouvre la porte-patio du balcon où j'arrête ma course et fends les rideaux pour me retrouver en plein souper de famille devant des visages terrifiés. Constatant que le mari s'apprête à se mettre en travers de mon chemin, je saute sur la table remplie de plats, renverse les coupes et les soupes en courant sur la nappe, et pique au travers en direction de la porte en détruisant tout telle une tornade, afin que personne n'ait le temps de réagir.

Je bondis dans le couloir, et j'arrive face à face avec un type, que j'assomme d'un coup sans me poser de questions. En tombant au sol, un pistolet sort de son manteau, que je prends immédiatement. Son complice sort de l'ascenseur et commence à faire feu sur moi dans le couloir, mais il est trop loin et lorsque j'aperçois une vieille dame entrouvrir sa porte pour voir ce qui se passe, j'en profite pour me glisser à l'intérieur.

À nouveau, je vole en direction du balcon de cet appartement qui se situe de l'autre côté de l'immeuble et descends à toute vitesse par la rampe, je fais quelques balcons, et puis je glisse à cause de la pluie et manque de tomber. Au même moment, j'entends des ricochets et une balle me frôle l'oreille; je me précipite sur un des balcons, j'ouvre la porte-patio et file à l'intérieur de l'appartement. J'attrape la poignée de porte d'entrée, je sors sur le pas de la porte, et jette prudemment un rapide coup d'oeil dans le couloir, arme en main; ne voyant personne je descends l'escalier de secours à toute vitesse. J'arrive au stationnement souterrain, je me faufile entre les autos en restant le plus possible accroupi, car je sais qu'ils ne sont pas loin : ils ne me laisseront pas m'en tirer aussi facilement, pensai-je à cet instant.

Je n'ai toujours pas réussi à savoir qui dirigeait cette organisation, me dis-je, ou même si c'est effectivement une organisation. Le fameux « dossier spécial » de Paul, pensai-je. Pourquoi l'ont-ils tué? et de façon aussi atroce, violente? Et pourquoi veulent-ils ma peau avec autant de férocité?

La tête pleine de questions, je trouve enfin la porte de sortie du stationnement; une fois à l'extérieur, je m'écroule au sol à cause de mes blessures et de tout le sang que j'ai perdu. Je n'ai plus aucune chance de m'en sortir, pensai-je. Je suis incapable d'aller plus loin, incapable de me relever, de marcher. La douleur, la tristesse m'envahit : je suis perdu, me dis-je, en souffrant énormément de mes blessures.

Je gis sur le sol, dans l'herbe froide, comme paralysé; mes larmes se mêlent à la pluie; je suis un cadavre sous la pluie, pensai-je, à cet instant précis. Les secondes sont comme une éternité, et puis j'entends une auto freiner à toute allure. Je suis traîné de force à bord, mais je n'ai plus la force de résister à rien; je suis un corps mort, qui veut mourir, se laisse aller à son destin, à sa fin...

Une femme à la silhouette élancée, aux cheveux noirs parfumés, me murmure à l'oreille de sa voix grave et mélancolique : « Tu es sauf maintenant » . C'est la voix de Cecilia, pensai-je. Et puis, plus rien, un grand trou noir; je me réveille dans une grande pièce sombre, seul; une ampoule scintillante me laisse percevoir ce qui semble être un loft désert.

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