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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

jeudi 30 juin 2016

Mort d'un ami

C'est aujourd'hui que Pinch est mort. Il avait un peu plus de 18 ans.

Je suis arrivé juste à temps chez mon ex pour le réconforter avant son départ.

Je ne l'avais pas vu depuis quelques années déjà. Mais je ne l'avais pas oublié pour autant, et lui non plus.

Je me souviens à 26 ans lorsque j'avais été le chercher dans un pet shop sur la rue Mont-Royal. Avant d'arriver à l'appartement, j'étais arrêté à la pharmacie, et pris de panique à la caisse, il était allé se cacher dans le rack à chocolat, si bien que je n'arrivais plus à le ramener!

On avait beaucoup ri de ça moi et ma blonde à l'époque. Il était tellement petit! Il était blanc avec des taches noires, et surtout, une bien placée sous le menton... d'où son nom: ça lui faisait une sorte de pinch.

Depuis trois jours, il ne filait pas. Mon ex l'a emmené chez le vet, pour se faire dire qu'il était mourant... Il lui a donné un médicament pour soulager les douleurs des chats mourants, car après la facture de la consultation et du médicament, elle n'avait plus assez d'argent pour le faire euthanasier... Et demain étant férié, le Berger Blanc ne pouvait le recevoir que samedi, s'il se rendait jusque là...

Quand je suis arrivé, j'ai pris sa petite tête dans ma main et j'ai flatté son ventre... il avait le regard vide, ses yeux ne bougeaient pas... il sentait la mort... sa respiration était difficile... puis il a arrêté de respirer...

J'étais en panique! j'ai essayé de le ranimer, de le stimuler, n'importe quoi! Puis, il a repris un faible respire, et a recommencé à respirer après quelques efforts...

J'ai décidé qu'on le sortirait sur le balcon pour qu'il prenne l'air un peu, à l'ombre. Là j'ai continué à lui parler... on lui a donné un peu d'eau au compte-gouttes, qu'il a avalé comme par réflexe... puis j'ai voulu hydrater son œil droit... je pensais que cela pourrait peut-être lui permettre de le bouger... ça a marché un peu, puis, il est redevenu le regard fixe assez vite, on a arrêté nos tentatives.

Parfois sa pupille revenait, parfois elle devenait grande ouverte et ronde, et vide. Il semblait dans les limbes. Mais mon ex a dit qu'il s'est aperçu de moi quand je suis arrivé, qu'il a eu une réaction.

Il savait que j'étais là... enfin, je veux y croire de tout mon cœur.

Je suis un homme fidèle à ceux que j'aime, à la vie à la mort.

J'avais dit à mon ex que lorsque Pinch mourrait, j'irais l'enterrer sur le Mont-Royal.

J'étais loin de penser que cela se réaliserait un jour. Tout simplement parce que je pensais mourir avant mon chat.

Après le balcon, je l'ai rentré à l'intérieur, pour le mettre près de moi, sur le divan. Comme ça je pouvais garder ma main sur son dos pour le réchauffer, car ses pattes avant que je tenais aussi, étaient froides. Nous l'avions replacé dans son carré en mouton, car il avait tendance à s'étirer le cou et se le laisser pendre dans le vide sur la bordure, ce qui me faisait craindre qu'il s'étouffe.

J'avais ma main sur son dos, et tout d'un coup, je sens un ronronnement, mais très faible, mon ex touche à l'endroit où je le sens, et elle constate elle aussi qu'il ronronne! Nous croyons qu'il est bien, qu'il va peut-être pouvoir se rendre jusqu'à samedi. Ses respirations n'arrêtent plus non plus. Il semble bien. Il semble sous contrôle. Je caresse ses petites pattes avant tout en les tenant.

Mon ex me dit qu'elle avait des choses à faire aujourd'hui, une petite commission, et payer le loyer. Je lui dis d'en profiter pendant que je suis là et d'y aller. Elle part et me laisse seul avec Pinch.

Trois minutes environ après son départ, il s'étire, revient en position, et arrête de respirer...

Je fonds en larmes et le supplie de se réveiller... je l'appelle... le supplie de revenir... mais il ne semble pas vouloir reprendre son souffle... je suis confus... je ne vois plus son ventre à cause des larmes... je le regarde... l'appelle... essaie de trouver son pouls... le supplie à nouveau... les minutes passent... il ne bouge toujours pas... cette fois-ci c'est vrai je pense... c'est terminé... je garde ma main sur lui... et je continue à le caresser jusqu'à ce que mon ex revienne et que je lui annonce sa mort...

C'est comme s'il m'avait attendu avant de mourir... Et à chaque fois que cette pensée revient en moi, ça me brise en sanglots... je me promets d'être toujours plus fidèle à ceux que j'aime, et à ma parole... d'avoir toujours plus de cœur... car il n'y a que ça de vrai, et de valable.

Après avoir pleuré tous les deux, je lui ai dit que j'irais l'enterrer sur le Mont-Royal, comme je l'avais promis il y a très longtemps.

Elle l'a enveloppé dans des tissus fleuris, puis nous l'avons glissé dans un sac que j'ai fermé hermétiquement avec un nœud. Je suis parti avec une truelle à jardin, son bol d'eau et son bol de bouffe, que j'ai décidé de garder pour mon chat actuel. J'ai mis le tout dans mon sac à dos, en prenant bien soin de mettre sa tête vers le haut.

Je suis parti avec cette chaleur étouffante, et un sac à dos vraiment lourd, en direction du Mont-Royal. J'ai trouvé à mi-hauteur de la montagne, un rack à bicycle, où j'ai barré le mien. J'ai décidé de monter pas mal, par les sous-bois, car il y avait beaucoup de passants. Je ne pouvais pas creuser avec des passants qui sortaient de n'importe quel bord. Finalement, j'ai trouvé un endroit pas trop passant, en bordure d'un sentier.

J'ai commencé à creuser, hors d'haleine, mais ce n'était que de la roche et des racines! Après une demi-heure de forçage, j'avais à peine creusé un petit trou! Je me suis finalement résigné à partir plus haut dans la montagne. Je me souvenais d'un endroit où il y avait des pins et où la terre était plus meuble. J'espérais le retrouver, mais je serais chanceux si ça arrivait.

J'ai fait de l'escalade, puis suis arrivé à la croix. Là j'ai suivi un sentier trouvé au hasard, puis je suis arrivé dans un endroit idéal, en retrait. J'ai commencé à creuser et la terre était meuble. Il n'y avait pas trop de racines ni trop de roches.

Quand je suis arrivé à une bonne profondeur, j'ai ouvert mon sac à dos, j'ai pris Pinch dans son sac et je l'ai mis dans le trou, puis ai remis la terre par dessus. J'avais dit à mon ex que je le sortirais de son sac de plastique avant de l'enterrer, mais après une heure à la grosse chaleur dans mon sac, je n'ai pas osé l'ouvrir.

Je le regrette, car maintenant, il ne se décomposera pas aussi facilement, et le sac peut être repéré et ramassé comme un déchet, si la terre vient à se découvrir. Mais pour être plus sûr, j'ai mis une grosse roche plate à l'endroit du trou, puis des branchages pour que personne ne veuille passer directement sur sa tombe.

J'espère qu'il va tenir, et que Pinch va rester en paix là où j'ai promis qu'il reposerait en paix un jour.

Ce soir, j'ai encore son odeur de mourant dans le nez. Je pensais que ça passerait après avoir pris ma douche et m'être mis du parfum, mais ça ne passe pas...

Je crois que je vais avoir son odeur dans le nez encore pour quelques jours...

On ne se débarrasse pas de la mort comme ça...

Elle marque, pour toujours...

Ce soir aussi, j'essaie de me réconforter moi-même... mais je ne trouve rien...

Je regarde mes bibliothèques et je me dis qu'il y a sûrement quelque chose que je peux lire et qui va me réconforter, mais je ne vois que du vide...

Je ne vois que superficialité dans tous mes livres de philosophie, de théologie et d'histoire...

Le langage ne saisit pas les émotions.

Aucun livre n'est capable de se mettre au niveau des émotions...

Sauf peut-être la poésie...

Comme la musique classique...

Mais encore...

Ce dont je m'aperçois, c'est de toute la froideur de ce que je lis quotidiennement...

C'est tellement froid, tellement loin de la réalité, que c'en est incroyable!

Écrire tant, et pourtant être si loin de la réalité!

Toutes ces thèses et ces hypothèses... À quoi bon?

Se croire dans la vérité, et être pourtant si loin dans la superficialité!

Car, entendons-nous bien: ce ne sont que de mots dont il s'agit!

Toujours des mots, et des mots sur des mots, mais jamais du vrai, jamais du senti, du vécu.

Jamais quelque chose de «personnel»...

Toute notre vie et notre esprit sont pris dans un quadrillage cartésien qui tue la vie, qui tue la liberté...

Et c'est ça qui nous manque aujourd'hui: que les choses soient senties en soi: que nous ressentions profondément, sérieusement, authentiquement, fidèlement, les choses dont on parle.

Mais cet engagement est aussi difficile à trouver de nos jours que les endroits où on peut reposer en paix...

Nous avons perdu notre vie...

Nous avons perdu notre mort...

Puisse-t-il rester quelqu'un pour ne pas oublier...





dimanche 26 juin 2016

118

Celui qui cherche la Vérité, cherche un Maître, cherche Dieu, cherche à obéir, encore, et encore...

Il n'y a nulle raison de s'en remettre à personne ni à rien pour agir et réfléchir.

La Vérité: la loi du moindre effort en action.

dimanche 12 juin 2016

117

Personne ne s'en souvient, tout le monde était saoul quand c'est arrivé.

mardi 7 juin 2016

Le camion à ordures

Avez-vous déjà remarqué à quel point le camion à ordures sent presque toujours la même affaire, peu importe ce qu'on met dedans?

C'est ce qui m'est venu à l'esprit tantôt, alors que le camion passait dans ma rue.

J'ai reconnu là l'odeur des conteneurs que je déplaçais le matin quand j'avais seize ans et que j'étais concierge de mon immeuble de treize étages.

Au début, le nez sensible, comme tout jeune de mon âge, je trouvais que ça sentait mauvais. Puis, je m'y suis habitué, et l'odeur caractéristique des conteneurs s'est fondue dans un ensemble particulier d'images, de tâches, de moments, de pensées, pour devenir «rassurante».

Oui, cette odeur que tout le monde trouve puante était devenue pour moi rassurante, je ne saurais comment l'expliquer.

Elle me rappelait la routine du matin, le concret, et me faisait aimer encore davantage, comme par un effet de repoussoir, les autres choses de la vie, qui ne «puent» pas.

Ainsi, quand j'arrivais à l'air frais, quelle joie, quel bonheur! Comme si je n'avais jamais respiré d'air frais de ma vie!

L'environnement dans lequel je travaillais tôt le matin contrastait fortement avec l'extérieur où je devais emmener les conteneurs.

J'arrivais dans la pièce de l'incinérateur vers cinq heures du matin, sous l'éclairage aliénant des néons. Souvent, le conteneur en place était déjà complètement rempli, et les ordures s'accumulaient jusqu'au premier étage de la chute. À ce moment-là, c'était l'enfer, surtout quand il y avait de la litière pour chat ou des couches. Je devais détacher le conteneur, puis toutes les poubelles tombaient. Souvent, je devais forcer pour aller débloquer les poubelles plus haut dans la chute. Ça me tombait pas mal dessus, et ça empestait. Je trouvais toujours cette tâche vraiment dégueulasse et répugnante. Avant de pouvoir ramasser les ordures à la pelle, je devais enlever le conteneur en place, qui était plein, pour en mettre un autre, vide. Je trouvais tout cela absurde, je me souviens.

Je me disais: «Pourquoi un être humain doit-il s'exposer à autant de merde?»

Les sacs étaient percés, explosés, réduits en bouillie; je marchais dans la litière à chat et toutes sortes de décombres, une espèce de jus de légumes pourris me coulait dessus d'en haut et se répandait partout, ça réveillait raide.

C'était la tâche la plus ingrate de mon emploi de concierge, mais j'aimais beaucoup d'autres choses dans mon emploi, ça compensait.

Si j'ai écrit tout ça, c'était juste pour vous dire que maintenant j'aime pleinement cette odeur de vidanges.

J'ai juste essayé d'expliquer pourquoi, mais ça me semble encore bizarre quand même, même à moi-même.

L'être humain est un être bizarre.