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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 19 mai 2010

Bernard Stiegler - La télécratie contre la démocratie

Je lisais ce livre hier soir dans la cuisine, après m'être fait réveiller solide par mon chat à deux heures du matin. J'ai ouvert une bière et j'ai commencé à lire le chapitre 8, Sans foi ni loi

J'avais déjà des réticences après avoir vu la conclusion de la série de six vidéos que j'ai déjà présentée. Je trouvais que l'auteur diabolisait un peu trop la TV et qu'il la rendait un peu trop responsable de pas mal de choses. Bref, avec ce livre ça se confirme : il en fait un problème majeur, dont la solution est décisive pour l'avenir de la société, sinon de l'humanité... Je trouve qu'il exagère pas mal.

La télévision serait «pulsionnelle», c'est-à-dire qu'elle activerait le côté impulsif de l'homme au détriment du côté social, du côté désirant, qui est lui (le désir versus la pulsion) «constructif». La pulsion est ce qui nous rend animal, et le désir est ce qui fait de nous des êtres de société capables de créer des liens sociaux et de construire là-dessus quelque chose de durable ensemble.

La télévision, cette grande malfaisante responsable de tous nos maux, détruirait systématiquement la sociation et, avec elle, le surmoi. L'auteur prend alors un ton alarmiste et implore Sarkozy, ou les acteurs politiques en général, de faire quelque chose, comme s'ils pouvaient vraiment y changer quoi que ce soit, ce qui est selon moi une grande naïveté, ou bien, de la démagogie ou on profite du ressentiment général contre l'industrie et la culture de masse. Bref, tout le monde a une dent contre la télévision et la pub, mais tout le monde écoute la télévision quand même et se laisse influencer par les pubs pour ses achats en tant que consommateur barcodé. L'auteur profite de cette situation schizophrénique d'amour/haine.

Il parle ensuite de la logique de dissociation induite par le populisme industriel qui pousserait vers la liquidation du surmoi et engendrerait une situation d'irresponsabilité généralisée : ça, je trouve que c'est assez fort... Si les masses peuvent être hypnotisées à ce point par un simple média, en l'occurrence ici, la téloche, elles sont dangereuses en partant avec ou sans téloche. Ce n'est pas la TV ou les autres médias «corrupteurs» le problème, c'est l'influençabilité de la masse, sa malléabilité, sa docilité à répondre à l'appel de «libération» de ses pulsions à tout prix, etc. Bien sûr, il n'y a pas de liberté sans une certaine contrainte. Mais, à quel genre de contrainte l'auteur pense-t-il ici?

Stiegler ne tient pas compte du fait qu'il ne peut blâmer à sens unique les médias pour ce que pourraient devenir les masses. Les gens en général, le public ou les masses ont une part de responsabilité : s'ils ont des influences, ils doivent quand même toujours, au moins minimalement, les avoir choisies. Nous ne sommes pas des limaces, enfin, je l'espère. Finalement, tout ce discours est paternaliste et méprisant envers le sens critique des individus, qu'ils soient pris en groupes ou un à un.

Selon moi, changer la télévision n'apportera aucune solution à la montée du côté «pulsionnel», sauvage, asocial. Penser cela, c'est croire à la magie. Le problème est beaucoup plus profond et général, et ce n'est pas en éliminant ou en changeant une petite boîte à images que le problème de la montée d'immoralité de l'homme sera résolu. Aussi, il faudrait changer toute la structure politique juste pour arriver à changer la TV un peu. Ce dont quoi l'auteur nous parle en réalité, c'est de l'instauration d'une sorte de communisme où l'État aurait la haute main sur tous les médias : ça n'aurait aucun sens, et ça n'infantiliserait, si c'est déjà le cas, qu'encore davantage les masses.

De plus, les commerciaux ne dégradent-ils pas? Ne travaillent-t-ils pas autant le côté pulsionnel de l'homme au détriment de son côté désirant? Nous faudrait-il alors éliminer la pub? Mais ne nous rendons-nous pas compte dans ce cas que c'est le fondement même de la société capitaliste que nous venons attaquer : pour produire, il faut vendre, et pour vendre, eh bien, il faut se faire connaître, autrement dit, faire de la pub et inciter les gens à acheter en créant parfois de faux besoins. Ainsi, la pub et le travail sur les pulsions sont inévitables dans une société capitaliste à forte concurrence. C'est pour ça que je dis qu'il faudrait changer toute la structure politique seulement pour avoir un petit effet, et encore, les médias ont besoin de la pub, comme les industries ont besoin des médias. Il y a une synergie inévitable entre plusieurs éléments et la solution est beaucoup plus complexe que de simplement travailler sur un élément pour résoudre le problème, fausse solution en fait qui paraît évidente et qui vient séduire bien des gens.

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