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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 4 mai 2010

Je me sens cheap

Ce matin je me lève avec le sentiment que je n'ai jamais vraiment été généreux avec personne, pourquoi? Peut-être que c'est parce que je suis trop fier de moi? Et pourtant, je suis souvent loin de l'être, j'ai plutôt des problèmes de confiance en moi, j'hésite, je doute, je m'analyse trop, ou pas assez, selon les journées. En plus, ce n'est pas vrai que je n'ai jamais été généreux avec personne : j'ai souvent fait preuve d'une grande générosité, d'un grand dévouement, mais ça, ça ne compte pas à mes yeux, ça ne compte jamais, parce que je suis cruel avec moi-même, je ne m'accorde jamais aucun crédit pour rien. Pourquoi suis-je comme ça? C'est comme une volonté de perfection à jamais inatteignable, masochiste, une situation où tout est toujours à recommencer. Je ne me donne jamais aucune chance.

Pourquoi je me sens cheap ce matin? Parlons de ce à quoi je pensais réellement. Puisque j'ai parlé de Kundera hier soir, ça m'a fait penser à un one night que j'ai eu avec une fille il y a de cela quelques années.

J'étais au bar le Zaz avec un ami de l'université, on se cherchait des filles en prenant une bière. C'était une soirée où il y avait pas mal de monde et d'action. À un moment donné, alors que je pensais que tout était perdu à cause de notre mauvais positionnement (forcé) dans le bar, j'ai commencé à faire de l'oeil à deux filles ensemble, deux amies, une Blanche et une Noire. Je voulais la Blanche, qui semblait Québécoise et plus âgée que l'autre, je n'en avais presque jamais eu dans ma vie. Mon ami, lui, voulait la Noire, parce qu'il méprisait les Québécoises, pourtant Québécois lui-même, alors je me suis dit parfait, tout va comme je veux, on s'est décidés sur le match. On va les rencontrer, on jase, on se cruise, on sait ce qui va se passer parce que les filles sont willing, mais, il se passe quelque chose qu'on n'avait pas prévu : la Noire veut rien savoir de mon ami, et la Blanche veut rien savoir de moi. Il est clair que la Noire me veut, moi, et pas l'autre. Mon ami est déçu, un gars charmant en passant, il avait beaucoup de difficulté à rencontrer des filles. Je lui dis alors de prendre l'autre, qu'elle est belle, et qu'après tout c'est elle que je voulais, et je me mets à essayer de lui vendre l'idée de coucher avec, parce que j'aurais aimé que lui aussi ait du plaisir à cette soirée. Après tout, je m'en venais là pour rencontrer une fille, mais aussi pour l'aider à en rencontrer une, car j'étais bon là-dedans, j'étais moins timide, plus entreprenant et j'observais beaucoup les gens.

Finalement, je pars avec la Noire et je laisse mon ami derrière, ça ne connecte pas pantoute pour lui avec la Québécoise, il était trop difficile, difficilité qui s'efface assez souvent, selon moi, dès que la fille se met à poil, mais bon, il ne voulait rien comprendre, il était trop sérieux, il cherchait stupidement The One un soir où il ne s'agissait que de se faire du fun sans trop se prendre au sérieux.

On embarque dans l'auto, et immédiatement, en continuant à parler un peu plus avec elle dans cet espace restreint, par son attitude, les gestes qu'elle posait, je constatais que c'était une vraie femme sérieuse et ambitieuse. N'ayant connu que des filles de rue, des filles tout croches en dedans, des filles brisées, fuckées, je me sentais un peu hétérogène disons, encore une fois, mais davantage avec elle. J'avais honte de moi-même, d'être avec une fille qui avait autant de classe. Je me sentais comme un imposteur. Et c'est d'ailleurs encore comme ça que je me sens aujourd'hui.

Alors, on arrive chez moi, dans ma chambre minable, et on se caresse sur une chaise. Elle est assise sur mes genoux et on s'embrasse, tout en parlant de L'immortalité de Kundera, puisque mon livre était sur mon bureau et qu'elle a commencé à en parler. C'était un livre qui représentait pour moi une grande douleur, mais j'en parlais quand même, froidement, avec distance, j'en faisais l'éloge, mais pas trop, et elle semblait connaître l'auteur, l'aimer, et elle semblait aussi connaître ce livre, l'avoir lu, je ne me souviens plus très bien. Notre discussion était tellement axée sur ce livre que notre rencontre, au fil des caresses, a fini par prendre la teinte de ce livre. Dans l'obscurité de ma chambre, je devenais à moitié Rubens, le séducteur qui accumule les scores dans L'immortalité de Kundera. Je me fondais en quelque sorte, en partie, dans l'histoire.

C'était une belle Africaine, douce, vigoureuse, elle sentait bon. Nous sommes allés à mon lit, où tant de femmes y avaient passé, oui, passé. Je l'ai déshabillé et ai commencé à lui caresser les seins, le ventre, et ensuite j'ai descendu plus bas et j'ai commencé à caresser sa chatte rosée avec ma langue. Elle goûtait bon, elle était propre, ça faisait changement des fuckées à l'hygiène assez souvent passable. J'ai entré ma langue en elle plus profondément, ça continuait de goûter bon, aucune acidité, elle était en très bonne santé et ne devait que rarement prendre des médicaments, surtout les antidouleurs courants qui donnent un goût acide désagréable. Elle était un peu raide, un peu stressée, mais moi j'ai mis mon condom pis je suis entré en elle sans m'en soucier. Je la pénétrais avec un bon coup de reins, son regard semblait terrifié, mais elle restait là immobile à se laisser faire, alors j'ai continué. Ses yeux semblaient me défier, alors je l'ai fixé dans les yeux solidement en continuant mes élans comme pour lui dire les masques sont tombés, je te fourre comme les autres. Il n'était plus question d'art, de littérature ou de Kundera. J'avais l'impression de la violer à cause de ça, dans le fond de ma conscience, je n'aimais pas cela, mais je sentais en moi une haine, de l'agressivité, et c'est à ce moment que ça sortait : je voulais me faire croire que je suis un séducteur, un baiseur sans émotion. Un manipulateur au lieu d'un manipulé. Celui qui inflige la douleur au lieu de la subir. Un fort, un vrai homme, au lieu d'un faible sentimental. C'était clair que je me vengeais pour mon orgueil brisé avec la rupture que je venais de vivre...

Ce qui me fait me sentir cheap, c'est que je n'ai pas cherché à établir un contact avec elle une fois dans le lit. Qu'à partir du moment où elle s'est étendue, elle est devenue en quelque sorte, dans ma tête, une pièce de viande. La relation sexuelle fut si froide et sèche de ma part, qu'elle n'a pas joui, elle était trop tendue, et ça, ça me fait me sentir vraiment mal, encore aujourd'hui, parce que j'ai déçu cette femme, je lui ai montré, faussement, que je n'étais pas celui qu'elle croyait, juste pour lui faire du mal au fond, gratuitement. Juste pour lui montrer le vide du sexe, de l'amour, des relations, le vide de tout. Je voulais secrètement qu'elle sombre avec moi dans le néant des valeurs, de ma vie, de mes sentiments. Je voulais lui dire toute cette saloperie de vie a commencé avec les premiers humains, je te déteste, je t'aime, aime-moi, déteste-moi...

Lorsque notre «relation» sexuelle fut terminée, elle s'endormit assez rapidement. J'étais à ses côtés et j'étais content qu'elle reste à dormir. Elle dormait sur le dos confortablement, à l'aise, et comme un fauve repu, elle émettait un petit ronflement un peu drôle qui me faisait sourire alors que je me blottissais contre elle. Je la trouvais adorable et je commençais à m'en vouloir d'avoir joué à ce jeu.

Je l'ai rappelé plus tard dans la semaine pour la revoir et essayer de l'avoir comme amante régulière, mais elle semblait trop occupée pour avoir le temps de me revoir, je n'ai jamais eu le temps de m'expliquer, et nous ne nous sommes plus jamais revus. J'avais été vraiment trop cheap avec elle et je ne pouvais plus réparer mon erreur, il était trop tard, et ce ne fut finalement qu'une nuit avec une fille comme une autre, comme moi, qui était alors aussi un gars comme un autre. Sans le vouloir, je me sentais définitivement comme Rubens. J'entrais comme de force, par ce refus, dans la peau du personnage, qui devenait mon personnage. Je n'ai jamais accepté cela, et autant j'étais libre avant de choisir un personnage de salaud et que j'étais maintenant forcé de jouer le rôle, autant je m'efforçais alors d'en sortir, comme d'une autre prison, différente de celle des sentiments brisés, mais une prison quand même, créée par cette soirée désormais figée dans le temps. La contorsion était compliquée, mais c'était une autre façon de me remettre la monnaie de ma pièce, tout en me forçant à réfléchir sur moi-même et à opérer un changement dans ma vie.

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