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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 13 septembre 2021

Light My Way

 

1.

Big drug. Longtemps, je ne me suis pas couché de bonne heure. Je lui ai dit que je voulais essayer. Elle m’a dit de ne pas le faire, mais n’a pas vraiment résisté lorsque la gang a commencé à fumer. Tout s’est déroulé très vite, et je n’ai pas vraiment eu le temps de soupeser ma décision. On m’a dit de venir dans la salle de bain, je ne comprenais pas pourquoi tout le monde était entassé là-dedans, assis par terre, sur le rebord du bain et de la toilette, mais cela semblait faire partie du rituel, de se cacher ainsi, en silence, pour fumer. Weird. Je me suis accroupi près de ceux qui étaient assis sur le rebord du bain, et on m’a montré comment il fallait fumer le crack. Dans la salle de bain régnait une odeur de parfum fatigué, de maquillage, de cigarette, de sueur neuve, et de gasoline. On avait arrangé une pipe avec une canette de Coke légèrement écrasée au milieu. On avait fait plusieurs petits trous avec une épingle au centre de l’aplati, on avait fait aussi un trou un peu plus grand sur le côté de la canette. À chaque prise, on changeait la cendre qui était déposée sur les trous, car on me dit qu’elle n’était plus bonne pour faire fondre le crack au-dessus de ceux-ci. La cendre servait à supporter la roche, tout en laissant passer la fumée. À mon tour. On installe la cendre et la drogue pour moi, on me montre ensuite comment tenir la canette pour m’envoyer en l’air, à un point tel, que je ne peux encore m’imaginer : de la main gauche, je la tiens, et je garde mon pouce sur le trou du côté gauche. Je dois brûler la roche de crack avec le briquet, mais pas trop vite et pas trop près de la roche. Il est facile de manquer son coup. Il y a toute une technique de la cendre que je ne connais pas encore. Je dois inspirer très tranquillement, une seule fois, mais profondément, et retenir ma respiration environ deux secondes. La flamme doit venir lécher la roche lorsque j’inspire, tout en douceur. Un crépitement se produit, c’est la roche qui fond au centre de la canette. La fumée blanche, épaisse, qui sent la gazoline, entre dans mes poumons. Je sens une chaleur envahir tout mon corps, mes oreilles bourdonnent, j’entends tout comme dans un long tuyau, mon champ de vision se rétrécie, j’ai l’impression de monter très vite en ascenseur dans une autre dimension qui donne le vertige. Dès que le buzz retombe, je me sens mal et je tremble déjà pour une autre prise. Ça y est! C’était tellement bon! C’est mon départ pour l’Autre monde. Je suis. Addict. A-dict. Sans parole. Ennemi du système. J’écris pour tous les marginaux, qui sont morts dans l’indifférence de cette société pourrie.

2.

Je t’écris pour te dire que je pense souvent à toi. Je ne sais plus comment te rejoindre, je ne sais plus quoi te dire. Mais je sais que j’aimerais être avec toi, et que tout aille comme c’était supposé aller entre toi et moi. Je sais que je t’aime. Je t’aime, mais je ne sais pas quoi te dire de plus. Je sais, t’en voudrais plus. Mais je n’ai plus rien. J’ai perdu la faculté de parler comme avant. Ma situation est tellement différente depuis que nous nous sommes vus la dernière fois. C’est comme si ça faisait des siècles. En fait, je ne sais pas quoi te dire, parce que je ne sais plus si tu pourrais m’aimer encore aujourd’hui. Tu semble tellement loin. Je semble tellement loin. Je suis perdu. Je t’ai perdu. Ma vie a changé. Je t’écris pour te dire que j’ai choisi de partir, et que je ne reviendrai jamais. Je sais que tu sais probablement que je suis une pomme pourrie. Que je suis condamné. Je comprends pourquoi tu semble t’éloigner. Je comprends que tu ne pourrais pas comprendre. Adieu mon amour. Adieu.

3.

Lorsque je t’ai vue pour la première fois dans cette chambre d’hôtel, tu dormais solidement, avec tes nouvelles amies, après plusieurs jours de défonce. Les filles ont dit de toi que tu ne faisais pas une très bonne nouvelle pute. Que tu prenais des risques, comme de t’asseoir sur la queue d’un client, sans capote, et d’y aller à fond la caisse, comme s’il n’y avait pas de lendemain. C’était carrément suicidaire. Je t’aurais pris dans mes bras et emmené loin de tout ça, mais tout ce que j’ai pu faire, c’est te voler un baiser pendant ton sommeil. Le lendemain, tu étais rendue ailleurs. On disait que tu t’appelais Marie, mais je sais que toi seulement aurais pu me dire ton vrai nom.

 

 

4.

À Toi, je t’écris pour te dire que je me souviens de ces soirées d’hiver passées à la patinoire extérieure du Hâvre-des-Îles, seul, tard le soir, parce que mes envies de patiner étaient toujours retardataires. Il faisait si froid que je revenais les joues rouges et comme buzzé. J’avais beaucoup patiné, j’étais beaucoup tombé, et j’avais mal à plusieurs endroits. Je me cognais même parfois solidement la tête, mais je me relevais et je continuais après avoir repris mes esprits. La patinoire était éclairée par quelques lampes branlantes au vent. Mais souvent, la nuit était immobile, c’était tellement calme, que j’avais comme l’impression d’être figé dans le temps. Perdu dans l’Arctique, et bientôt en détresse. J’entends du Vangelis. Lorsque j’expirais, une grosse buée épaisse sortait de ma bouche. À la fin de mon trip de patinage, j’avais toujours les fesses et les pieds gelés tight. Je marchais sur mes patins à travers les parkings pour rejoindre l’ascenseur et remonter chez moi, au chaud. Je ne patinais pas très bien. Sans le savoir, ce furent les dernières fois que je patinais.

5.

Nous habitons un ventre. Nous habitons un corps. Nous habitons une tombe. Les êtres que nous aimons plus que tout, adorons, admirons, chérissons, grandissent, vieillissent et meurent, et nous ne pouvons rien renverser ou arrêter. Le temps nous plaque au mur, nous arrache notre trésor, notre cœur.

6.

L’individu est théoriquement libéré de son milieu, de la tradition, des obligations de croire, des impératifs du genre, mais on trouve, comme par réflexe, mille autres nouveaux moyens pour l’oppresser, le ramener dans la non-liberté. Tout est toujours gâché par le bon vieux fond régressif de l’homme. Nous vivons, au bout du compte, dans le pire des mondes totalitaires, fut-il le plus libéral et démocratique qui soit. En donnant un peu de lest économique, le système a enlevé les moyens de le dénoncer. L’individu essaie de se libérer, mais il est toujours et partout enchaîné par la société qui essaie de le grégariser pour le mettre à son service. Il passera sa vie à tourner en rond, parfois comme un lion en cage, à travailler pour elle, à accumuler des biens inutiles, et à perdre sa vie pour cette société qu’il ne trouve aucune raison d’aimer. Il participe à la société, participe à sa contruction, son utopie, mais lorsqu’il appel à l’aide, il se fait massacrer et détruire par elle. Il se fait jeter à la poubelle, parce qu’il ne lui sert plus à rien. Elle en fait alors un «poids mort». Ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler une relation symétrique, et encore moins équitable. La société n’est pas équitable envers les individus, et elle voudrait qu’on l’aime?

7.

Si je t’avais dit : «Ces gens vont venir et vont prendre ton enfant», tu n’aurais pas fait d’enfant. Tu ne l’aurais pas conçu, il n’aurait pas grandi, il n’aurait pas combattu. Tu as passé des années de ta vie à construire un enfant, à l’élever, à l’aimer, à espérer ce qu’il y avait de mieux pour lui, à t’attrister quand il pleure, à te réjouir quand il rit. Tu te retrouves maintenant seule, pour toujours, puisqu’il est trop tard pour tout. Ton fils est mort pour un pays qui s’est foutu de lui, de toi, et de nous tous. On essaie de nous faire croire que c’est la vie, on essaie de nous faire peur, mais ce n’est que manque de cœur.

 

 

 

8.

La staracadémisation, qui n’est qu’un système de vedettisation, voudrait nous faire croire qu’on pourra détecter ceux qui monteront au firmament, comme des étoiles. C’est comme si on s’essayait à prédire la réussite d’un individu dans la vie, d’après ses notes à l’école. Le vrai test dans la vie, commence surtout à la sortie de l’école, justement. Par suite, il y a aussi le «test du temps». Qui peut savoir véritablement si ceux qui brillent aujourd’hui brilleront encore demain? Et si d’autres, ignorés de leur temps, se mettront soudainement à briller pour l’éternité? Celui qu’on aime appeler le «génie» ressemble souvent au héros : il a accompli des exploits, au mépris de sa vie, sans jamais chercher à se ménager. Il s’est donné tout entier, comme dans l’amour tout entier.

9.

Maximus à Caroline. Tout ces gens qui sont là pour nous «aider», nous servir, ne font la plupart du temps que nous nuire. Ceux qui disent nous servir, qui nous offrent des «services», sont toujours là, bien entendu, pour se servir eux-mêmes d’abord. Nous passons notre vie à nous faire nuire par ces gens. Médecins, psychologues, professeurs, avocats, policiers, banquiers, politiciens, etc., les plus grands parasites de l’homme, les plus sournois. Ils veulent tous quelque chose de nous, une parcelle de notre chair, leur part du gâteau; ils veulent se rendre indispensables, pour assurer leur survie, à eux. La première chose à faire, c’est de savoir se passer de ces gens le plus vite possible.

10.

Maximus à Caroline. Cette société blesse, fait mal, ne tient pas compte des individus, de leur bien-être, de leur liberté. C’est un peu comme dans une relation d’amour qui tourne mal : le partenaire qui nous apportait le bonheur et un certain récomfort devient alors comme un étranger qui nous étouffe, et dont on voudrait se débarrasser, même au prix d’avoir à rester seul. Même au prix d’avoir à dire «non» à tous les avantages de cette société de merde.

11.

Caroline à Maximus.

12.

«Tu dois oublier tout ce que tu as déjà été. Tu dois oublier ton histoire personnelle.»

Les particules passent dans un champ (de Higgs)…

Mort et non-renaissance. Variante sur Vanilla Sky. Promesses. Les clones… De l’impossibilité de la recréation, de la renaissance…

Face à mon clone, je ne suis pas lui, il n’est pas moi… Si on m’élimine mais qu’on le garde, qui verra la différence? Et pourtant, je serai mort… Donc si je meurs et qu’on me recrée, c’est la même chose : ce n’est pas moi… Je n’ai donc qu’une seule vie.

Est-ce que la télépathie ne serait pas autre chose qu’une simple «communication psychique»? Ne serait-elle pas plutôt une sorte d’ouverture au grand être unique qu’est l’humanité avec une visée possible sur des personnes en particulier? Nous formerions, en théorie, un seul être qui se manifeste dans des individus qui se croient séparés et uniques.

Qu’est-ce qui fait que je suis intérieur à moi-même? Mon clone est identique à moi, est moi-même, mais je ne suis pas intérieur à lui, mais seulement à moi, pourquoi?

 

 

 

 

En cage

On cogne à ma porte, je suis saoul mort et j'écoute ma dernière chanson, le volume dans le tapis, avant de me trancher la veine jugulaire avec un couteau à steak mal aiguisé. Je fais mes adieux à la vie, à mon moi-même, à ce que j'ai été, à ce que je suis, à ce que j'aurais pu être, mais on insiste à la porte : on ne me laissera pas crever en paix.

J'ouvre la porte : six boeufs les dents serrées avec gants de cuir et goggles me font face : on est prêts pour moi. Ils ont pitonné mon dossier et ils ont vu que j'étais un fou : ils savaient à quoi s'en tenir et ils n'ont pris aucune chance. En bas, c'est la panique : on pense qu'on vient arrêter un gros criminel. J'ai décidé de coopérer, à la grande surprise des flics qui m'en étaient très reconnaissants d'ailleurs, tout en gardant cependant un oeil ouvert. Je reste poli, civilisé, je ne fais aucun mouvement brusque, je ne provoque pas, je ne résiste pas : on se demande si c'est bien moi, et tellement, qu'on ne me met même pas les menottes, «gentillesse» qui aurait été fatale à une autre époque. J'ai décidé que je m'en foutais, j'étais déjà mort de toute façon, on ne pouvait plus rien me faire.

C'est là que le grand voyage commence : on me trimballe un peu partout dans Montréal comme du bétail, premièrement à l'hôpital, où je pense à un moyen de m'enfuir, puis, finalement, dans une cellule de poste. La cellule : des barreaux en acier, une plaque de métal surélevée glaciale en guise de lit, une bol sans papier de toilette, des robinets qui marchent pas, des néons allumés en permanence, pas de couverture ni oreiller et une caméra braquée droit sur la cellule de sorte que tout le monde peut me voir chier.

Je réussis à fermer l'oeil quelques minutes avec un soulier en guise d'oreiller et en position foetale pour bien me réchauffer. Je vois défiler ma vie, puis, le pire le voilà, je suis revenu me dis-je, dans ce maudit foutoir à cons. Soudainement, on apporte un hystérique, avec sa blonde tout aussi hystérique; les deux crient comme des malades sans arrêt parce qu'on les a mis dans deux cellules séparées. Les autres détenus sont en crisse comme moi de se faire réveiller par ces hurlements et crient à leurs tours des bêtises à cet emmerdeur. Quand ce n'était pas des hurlements, ils se parlaient en amoureux, se disaient des petits mots d'amour, mais sans arrêt comme des mantras répétés à l'infini. Les détenus tapaient dans les murs, essayaient de tout casser. Finalement, ils ont emmené le gars dans une cellule en rubber, l'ont attaché au sol, et puis ça été fini, on a eu la paix. Il essayait de faire son raffut, mais on entendait que des cris étouffés. Puis, ce fut le tour de sa blonde qui était maintenant rendue dix fois plus folle que son chum, elle se pétait la tête dans les murs; ils l'ont attaché au sol dans une autre cellule isolée, puis, le silence complet.

Au matin, le corps en lambeaux par toute cette dureté de béton et d'acier, on prend ma photo du Far West : c'est inévitable : on a tous l'air d'un vrai criminel après avoir passé une nuit d'enfer pareille. Je regarde ma photo et je fais la remarque au photographe, il me répond que le résultat est incroyable, et qu'on dirait que c'est sorti tout droit de Photo Police. En tout cas, j'ai endossé mon «habit» de criminel; on est comme forcé après la photo de constater qu'on a une vraie gueule de criminel, alors faut s'habituer.

Fourgon cellulaire, direction Bonsecours. Là tout le monde le sait, ça va être long en sacrament; faut prendre son souffle et patienter pour une secousse. On se fait barouetter dans tous les sens, le fourgon est trop petit, nous sommes trop nombreux, entassés les uns sur les autres dans le noir comme des poulets. Des poulets sales en plus : tout le monde pue énormément, et pour ce qui est de pouvoir se laver ou se brosser les dents, faut pas y penser avant plusieurs jours. Inévitablement, on devient claustrophobique : menottés, compactés dans le noir, presque sans air, on pense tout de suite à ce qui arriverait s'il y avait un accident. Ça crie en dedans de soi-même pour sortir, mais faut étouffer les cris, ignorer la puanteur, rester immobile, ne pas voir, bloquer son esprit.

On se fait trimballer dans toute la ville et on ne sait jamais où on est rendus. Un gars s'efforce de repérer les lieux par ce qu'il peut à peine voir dans le hublot arrière recouvert d'une bonne couche de saleté. On fait un stop ici, un stop là, on attend, attend, attend, pour rien; finalement, on croit qu'on est rendu, mais non, on ne fait qu'embarquer les filles qui sont dans une autre partie du fourgon, et là on sait qu'on en a encore pour des heures d'attente, à cause des sacrées «procédures». C'est carrément interminable. On parcourt toute la ville, sans but, puis on tourne en rond et on revient stupidement au point de départ. Alors, les prisonniers se mettent à parler un peu d'eux-mêmes, à conter leur «histoire». À un certain moment même, on a eu droit à un show de boules de la part des jeunes putes de l'autre compartiment : une vitre très épaisse nous séparait d'elles, mais on pouvait se voir, et certaines filles se trémoussaient en me voyant dans la série de têtes qui apparaissaient de leur côté. L'une d'elles, très belle, avait un oeil sur moi, et je me disais que dès qu'on sortirait dans la file une fois à Bonsecours je lui parlerais, mais je puais tellement «à l'unisson» avec les autres, filles incluses, que je n'ai pas osé ouvrir la bouche, ni elle non plus.

On s'est retrouvés dans la fameuse salle commune. Les filles, elles, sont enfermées ailleurs. Pour une première fois, je pouvais commencer à respirer depuis des heures. Les gars se regroupent en petites gangs et on se conte nos mésaventures, c'est assez drôle parfois. Je me souviens d'un en particulier : Mohamed Tremblay, un fumeur de crack invétéré et un abonné régulier de la prison. On n'arrêtait pas de rire de lui parce qu'il venait d'être libéré, disait-il, il est ensuite bêtement retourné dans le quadrilatère qu'on lui avait interdit pour quêter de l'argent et acheter du crack, les boeufs sont passés, l'ont reconnu et l'ont tout de suite embarqué! On était tordus de rire! En tout, il avait eu dix minutes de liberté! Même les gardiens se moquaient de lui.

L'heure du lunch : une sandwich au baloney, un gros biscuit à l'avoine et une canette de liqueur. Certains troquent leur biscuit pour du tabac qu'un gars a réussi à cacher dans sa doublure de jeans. Il se ramasse un bon paquet de biscuits. On passe toute la journée là à attendre, attendre interminablement, à puer, à essayer de dormir sur les bancs en bois bien durs fixés aux murs, avec des morceaux de linge comme coussin et une chaussure pour oreiller. On me lance des insultes, parce que mon nez bloqué par toute la saleté et la fumée me fait ronfler légèrement. Je décide alors d'écouter et d'observer les autres détenus. Je trouve que je suis pris avec une méchante gang d'imbéciles et prie pour ne pas avoir à faire du temps, et que je puisse sortir au plus vite de ce cauchemar kafkaïen. J'essaie de penser le moins possible; je me mets en mode reptile : aucune pensée, aucune émotion, le moins de mouvements possible, aucune parole, manger ce qu'on me donne, c'est tout.

Je constate à chaque instant que je ne corresponds plus du tout à ces gens que j'avais croisés dix années plus tôt. Abrutis, violents, impulsifs, sans éducation, problème de drogue, etc. Je me sentais désormais tellement loin de toute cette racaille et, tristement, je me retrouvais de nouveau collé de force à eux. J'étais évidemment le seul à avoir été à l'université, mais je ne devais pas en parler et jouer plutôt au taré.

Plus tard dans l'après-midi, on m'a annoncé que j'allais être libéré après être passé en cour. Je pouvais désormais regarder les choses avec un peu plus d'optimisme, mais c'était loin d'être terminé : il y avait les «procédures». Là les autres gars m'ont dit que même si on était libérés, qu'on allait nous emmener quand même all the way à Rivière-des-Prairies, et qu'on nous libérerait là-bas.

Deuxième repas : sandwich au baloney, gros biscuit à l'avoine et canette de liqueur. De retour dans le fourgon cellulaire, avec encore plus de puanteur. Les détenus savent que les sandwichs sont faits par les femmes détenues à Tanguay, alors on mange avec un certain plaisir, en pensant aux mains des femmes, même si c'est toujours les mêmes crisses de sandwichs au baloney dégueulasse depuis des années.

On arrive à RDP : surpopulation. On ne trouve aucun endroit où nous mettre; il n'y a même pas de place dans les salles d'attente habituelles. On étire en longueur les «procédures», à dessein, puis finalement on nous entasse dans un minuscule bull-pen. Les gars parlent de leurs blondes la plupart du temps, parce que selon mes statistiques ponctuelles, 80 % des détenus sont là pour «violence conjugale», un bien grand mot, le reste c'est pour la drogue. Un gars nous racontait que quand sa Cubaine avec qui il avait trois enfants était écoeurée de le voir et voulait avoir la paix pour pouvoir fourrer avec son amant, elle appelait la police et l'accusait de toutes sortes de choses. La police l'embarque sans hésiter et il se retrouve alors pris dans les «procédures» pour plusieurs jours. Puis, sa blonde retire les accusations : mais le mal a déjà été fait : il a passé trois ou quatre jours à dormir sur des plaques de métal et à pas pouvoir se laver, tout en se faisant gaver de sandwichs écoeurantes au baloney midi et soir.

On nous a conduits dans une petite salle qui faisait penser à un débarras, et là, on nous a dit qu'on allait devoir dormir par terre. J'en revenais pas : il n'y avait aucune cellule de libre! Les gardiens nous ont distribué de minces couvertures d'armée, puis on s'est cordé comme des sardines le mieux qu'on pouvait, et on a essayé de dormir avec les néons en pleine face toute la nuit. J'avais les pieds de mes voisins qui arrivaient près de ma tête, mais eux aussi ils avaient les miens, bref, tout se compensait en puanteur.

Le lendemain, on nous réveille avec du café à l'eau de vaisselle et une boite de Rice Krispies. Les gars font du chain smoking, comme depuis le début, et c'est pour ça que j'avais tant de difficulté à respirer. Mais un gars en particulier fume terriblement : un camionneur grec, cinquantaine, l'air d'un bon papa, mais fêlé un peu lorsqu'il boit, impulsif avec un grand coeur, très émotif. Complètement paf, il avait défoncé la vitrine d'un fleuriste pour offrir des roses à sa femme. Ensuite, quand on l'avait arrêté, il avait défoncé les vitres arrière du véhicule avec des coups de pieds : erreur de trop qu'il n'aurait pas dû faire. Sans cela, il aurait pu s'en sortir sans faire de temps, mais là, il allait devoir jouer aux cartes en dedans pour un petit bout.

On nous annonce que c'est bientôt le temps de rejoindre une cellule : on me donne des draps de lit avec des trous de mégots : ça regarde pas bien, me dis-je. La porte s'ouvre et on entre dans le bloc cellulaire : de la saleté, beaucoup de monde, des gangs, de sales regards, des graffitis faits au lighter. L'air est lourd et tendu : il semble y avoir des clans : d'un côté les noirs, de l'autre les latinos et les blancs. Je me dépêche de rejoindre ma cellule, en me disant que je ne survivrais pas longtemps parmi cette racaille, à moins de devenir très violent. Ma cellule est dans le désordre le plus complet, avec de la vaisselle sale, des résidus et des détritus partout, et les murs sont couverts de graffitis noirs faits avec des briquets. En dix ans, RDP est passée de prison à sécurité maximum neuve, belle et propre, à prison finie. Les prisonniers ont pris le contrôle de l'endroit, et c'est désormais très dangereux.

Mon compagnon de cellule est un peu déçu, parce qu'il sait qu'il va devoir rester dans cette merde et essayer de survivre. Il sait que je vais quitter bientôt et ça lui donne envie de partir lui aussi. On commençait à être amis, depuis les quelques jours où on a été trimballés ensemble. Puis l'impossible se produit, on m'appelle : je suis libéré. Je lui souhaite bonne chance et puis je retourne dans les «procédures». Fourgon cellulaire, attente, étouffement; on nous donne des tickets de bus. Le fourgon fait un bout de chemin puis nous largue sur le bord d'une route déserte, dans le froid glacial. Personne ne sait comment sortir de cet endroit. On nous a donné vaguement des instructions, mais le bus est tellement loin et il y a tellement de façon de se perdre, qu'on risque bêtement de mourir là, «libres», mais gelés.

On marche sans savoir où on s'en va, dans la sloche, puis à un certain moment je cours, parce que mes mains et mes pieds sont gelés. Je cherche une personne, un signe de vie, quelque chose qui pourrait nous indiquer où se trouve l'autobus, mais il n'y a rien : que des routes, de la sloche et des conifères. Nous sommes totalement perdus. À une bifurcation je me dis que si je choisis le mauvais chemin, je suis mort. La situation est cruelle : ce que je désirais tant, ma «liberté», va possiblement me coûter la vie ou au minimum, quelques membres estropiés à cause du froid.

En comptant mes dernières minutes à vivre, puisque personne ne trouvait de solution, un gars est arrivé de nulle part, probablement de loin en arrière, et nous a indiqué le chemin qu'il avait déjà fait une fois. Je sais aujourd'hui que sans lui, on n'aurait pas pu nous rendre à l'autobus : le chemin était beaucoup trop compliqué et il était impossible de voir l'arrêt avant d'y être arrivé. De plus, une fois là, le bus a mis un bon bout de temps avant de passer, tellement qu'on se demandait si c'était vraiment un arrêt encore en service. J'espérais, on espérait, on hallucinait des autobus, parce qu'on était gelés dur en sacrament.

Au bout d'une heure de désespoir, un bus fini est apparu : on pensait que le moteur allait lâcher. La carcasse a tenu bon, puis on a dévalé dans le métro comme des fous heureux, des rescapés d'Auschwitz et on s'est dispersé. J'ai pu enfin rentrer chez moi et me laver en profondeur. Mes vêtements étaient tellement sales que j'ai pensé à les jeter à la poubelle. Dix ans plus tard, pensai-je, je me suis retrouvé encore une fois dans ce merdierC'est incroyable, me dis-je, comment cela a-t-il pu m'arriver? Je n'y comprends rien, me dis-je, c'est incroyable, et je n'arrêtais pas de me répéter c'est incroyable, c'est incroyable, en sortant de la douche devant le miroir, alors que je rasais la barbe de ma mésaventure.

 

1.

(Description d’un professeur qui donne son cours et qui parle longuement, lentement, sur un ton très bas, presque incompréhensible, soporifique, etc.)

(Parler de l’homme qui mastique dans l’autobus, et de l’autre qui mange son fromage. Ridicule de ces gens.)

J’ai été obligé de quitter mes cours, l’université, la vie académique, l’espoir qui m’avait tant fait rêver, et qui m’avait conduit ici, sous l’impulsion de mes intérêts que je croyais permanents, assurés, mais j’ai changé, imperceptiblement quelque chose a changé en moi, s’est brisé peut-être, a tourné sur lui-même, puis, s’est renversé en son contraire, et pour finir, s’est annulé, en m’annulant moi-même au passage.

On dira que je me suis découragé, que j’ai manqué de courage, que je suis paresseux ou encore un con, un raté, whatever, j’ai juste perdu tout intérêt dans ce que je faisais. J’ai été atteint d’un soudain et inexplicable haut-le-cœur, un désintérêt total, intégral, et irrémédiable, une sorte de taedium vitae, de dégoût de la vie, de fatigue et d’écoeurement total de la vie. Je n’ai plus eu envie d’étudier la philosophie, Platon, Aristote, Nietzsche, Heidegger, de faire dissertations, des compte-rendus, des dissections d’ouvrages soporifiques, des articles, des conférences, des animations pour les spécialistes ou le grand public, de vulgariser, de répandre la bonne nouvelle de la philosophie, de me battre pour obtenir des bourses, du financement qui ne vient jamais, parce que personne n’en a rien à foutre de la philosophie. On essaie pendant des années d’intéresser la masse à la philosophie, mais c’est peine perdue. Par contre, on raffole des livres de recette pour le bonheur, de croissance personnelle, et patati patata, mais moi ça m’a toujours donné envie de vomir ces best sellers.

En fait, mon désintérêt était encore plus grand, plus total que je pensais, car j’ai tâté le pouls de mes ambitions et les nouvelles furent mauvaises : il semblait que je n’avais plus aucun intérêt dans rien. Je n’avais plus envie de rien faire. Les travaux d’école continuels avaient dévissé mon cerveau, l’avaient réduit en marmelade, pour finir par l’annihiler par désintégration. Il ne restait plus rien de mon cerveau. Je n’étais plus capable de penser clairement ni de prononcer une seule phrase intelligente en face de quelqu’un. J’avais toujours plus l’air d’un idiot parfait, moi qui pourtant planait depuis quelques moments déjà de façon prometteuse dans les hautes sphères intellectuelles de la phénoménologie husserlienne, heideggerienne, merleau-pontienne, henryienne, sartrienne, patochkienne, et richirienne. J’avais tout saisi, il ne me restait plus qu’à allumer le pétard pour faire sauter le verrou des portes de la gloire. Mais la mèche s’est mouillée entretemps, et tout est tombé à l’eau dans mes hémisphères. Mes échafaudages d’avenir se sont effondrés comme châteaux de cartes.

2.

Me voici dans ma nouvelle vie. Oui, un changement qualitatif s’est produit en moi. Je dois trouver la cause de mon désintérêt total de tout, et reprendre le gouvernail dès que possible avant que toute ma vie ne s’effondre dans le néant. J’essaie de sonder les causes, de me rappeler, de me stimuler, de m’appeler, mais la ligne est hors service. Il n’y a pas de réponse. Ça a commencé dans mon cours d’épistémologie, où je trouvais qu’on se posait beaucoup trop de questions, de façon trop pointue et absolument inutile, ça me faisait penser à des arguties, des jeux de sophismes sans fin, puis ça s’est terminé dans mon cours de philosophie de la logique, où là vraiment, il y a eu un bombardement aérien dans ma tête qui a foutu le feu à mes idées. J’ai compris que tous mes profs détestaient Heidegger et n’en voulaient rien savoir, alors que je l’aimais et croyait qu’il méritait d’être étudié; on s’est mis à parler du problème des cerveaux dans une cuve, problème qui a inspiré le film La Matrice, mais qui prend son origine en fait dans l’allégorie de la caverne de Platon, puis, j’ai compris que je perdais mon temps si je me mettais à me questionner précisément sur ce genre de problème absolument futile. Oui, je n’en avais rien à foutre de ce genre de problème. Moi ce qui m’intéressais depuis toujours c’était l’existence et la description de l’existence, et c’était tout. J’étais dur au compromis, mais j’ai réussi à en faire pas mal, jusqu’au jour de la saturation finale. Voilà où je suis rendu. Et c’est pas beau à voir. Toutes ces années de réclusion universitaire, de réclusion dans les livres m’ont donné envie de changer d’air. Je crois que je vais partir rester à Montréal.

3.

J’ai trouvé une chambre à Montréal. Elle est grande comme un garde-robe, mais ça fera l’affaire pour l’instant, parce que c’était la seule disponible dans ce bloc. Je sais qu’il y a des chambres plus grandes sur l’étage, et puisque j’ai les pieds dans la place, je pourrai emménager rapidement lorsqu’il s’en libérera une, et ça arrive souvent, car les gens ne restent pas longtemps, normalement, dans ces endroits de «passage».

Discussion avec Nora de mon désintérêt total, une étudiante et collègue en philosophie avec laquelle j’ai un flirt. Elle s’éloignera lentement de moi, imperceptiblement, comme une dérive de continent, par peur de l’«expérience» que je veux faire, et par peur de perdre elle aussi son intérêt dans ce qu’elle fait. Elle m’a demandé si j’étais certain de vouloir quitter le programme et la philosophie, si ma décision était la bonne, je lui ai répondu que je n’avais pas eu besoin de prendre une décision, mais que ça s’était fait tout seul en moi.

La seule «envie» qui me reste : suivre ma pente descendante, et dégringoler dans les bas-fonds, avant de me suicider. Mais ça, je n’en ai parlé à personne.

Parler des putes, du viol, de la drogue, du manque et des surdoses, de la déchéance, de l’itinérance, du suicide, de l’abandon, du désespoir, de la dépression, de la maladie et de la mort.

Je cherche une réponse dans les philosophes pour me raccrocher à la vie, et je ne la trouve pas. Finalement, le temps passe, et l’envie de trouver une réponse passe aussi. Je m’invente des réponses dont je ne suis pas certain.

Je suis mort à la vie. J’ai tout quitté par ennui total. Tombé dans les drogues dures, le trafic et la prostitution. Prison. Parler de Nietzsche, Wittgenstein, Leopardi, Casanova, etc.

Chanson thème du roman : Nothing As It Seems, Pearl Jam

Inclure U2, Stone Temple Pilots, Sigur Ros, Courtney Love, Atari Teenage Riot, Skinny Puppy, OHGR, Avec Pas D’Casque, NIN Hurt et Everyday Is Exactly The Same, etc.

Un chapitre sur le Taedium Vitae.

Le thème du chez-soi et de l’aliénation. L’aliénation nécessaire de l’Esprit chez Hegel.

Parler de Hegel et de sa fin de l’art et de l’histoire. Malaise dans la culture (Freud).

Trouver les livres qui m’ont marqué et leur dédier des chapitres. Chritiane F., par exemple.

Parler d’une journée quotidienne ordinaire de (PP) (nom à confirmer).

Possibilité : Mon personnage est amoureux d’Hanin Elias (Future Noir, ATR)

Inclure des billets de blog remaniés.

Les anatomies de la mélancolie – les corps prostitués. Dans le mot «prostituée», il y a le mot tuée.

Inclure l’épisode de Light My Way.

Le personnage principal doit parler de son projet de roman et en donner des extraits : Light My Way.

Parler de Robert Burton.

Explication détaillée de deux tentatives de suicide.

À la fin, échec d’une tentative de retourner au programme de maîtrise, désillusion, épuisement de l’ambition.

Lecture de la lettre de son départ. (Suicide? Voyage?)

Fin des papiers du personnage principal et mention de cette fin de la part de ceux qui les ont trouvés.

Suivre le modèle de Leaving Las Vegas; le PP doit mourir à la fin. Il se met sur une track pour le suicide, c’est son but : mourir par l’abus, drogue, alcool, déchéance.

Le PP : Je voulais faire mon Festin nu avant de mourir.

Ses idoles sont Leopardi, Nietzsche, Hölderlin, Van Gogh, Basquiat, Dali, etc.

PP : Aujourd’hui, j’ai envie de vivre encore un peu, je vais donc te parler (cher journal) de Basquiat, etc.

4.

Dans sa chambre, plein de posters de groupes death metal. Ça sent le pot à plein nez, parce qu’on fume un joint la porte fermée. La toune Coma de Stone Temple Pilots joue, elle monte le son au max, le plancher vibre, les murs dansent, mes tympans sont en train d’exploser. Je vois une culotte sale coincée dans une pile de livres abîmés. Des bas sales sur le côté du lit. Des taches sur la moquette, des traces de pattes de chien, de la saleté non identifiée. Un cendrier renversé. Des traces de poudre blanche sur la commode. Sur ses cuisses, des poils longs, et foncés, jusqu’au bas des mollets. Ça sent une odeur moite. Je lui demande pour l’agacer en criant à tue-tête : «Ça fait combien de temps que tu t’es lavé les pieds?» Elle me regarde avec de grands yeux comme quand je pose une question à mon chat. Elle n’entend rien, ne veut rien entendre, sauf la musique qui nous défonce le crâne. Elle me tire par les bras et je tombe sur elle. Je sens sa chatte s’ouvrir, bien mouillée. Ça tourne autour de moi dans la chambre, j’enlève mon slip, j’enfonce mes genoux dans le lit, je sens les ressorts. Des trous de mégots dans les draps. Ma queue se raidit à l’instant, je m’enfonce en elle, ça jute partout sur le matelas alors que je la pistonne. Elle se donne à moi comme ma poupée, j’en fais ce que je veux. Après un moment, près de jouir, elle saisit mon membre en action et essaie de le rediriger plus bas, pour son autre trou, qui a soif aussi. Je la retourne, son dos est trempé, ses longs cheveux bruns collent sur sa nuque. Je l’empoigne par les hanches, bien serré, je force les portes de Sodome, à l’aide d’un peu de lubrifiant que je trouve sur la commode, elle gémit à mon entrée dans sa nature vierge, se recourbe, serre les orteils, et se laisse ensuite malmener par mon membre déchaîné jusqu’à l’orgasme.

5.

Êtes-vous d’accord M. X pour que nous fouillions vos contenus psychiques? Nous avons besoin de votre consentement M. X, répondez par oui ou par non.

 

 

 

 

 

 

 

 

Écrire le récit de ma vie, de l’expulsion du domicile familial ou juste un peu avant (en expliquant les circonstances qui y mènent), jusqu’à Naomie, la dépression, ma chute dans la drogue, puis, la fin par un suicide (manqué?).

Écrit à la première personne, avec comme inspiration L’attrape-cœur de Salinger, l’anti-héros. Donc écrit simplement, à partir de mon point de vue, sans fioritures, tel quel, de la façon dont cela a été vécu par moi, avec des possibilités de romancisation, si cela ne perturbe pas trop l’histoire originale.

C’est un récit triste de déchéance, de perte des repères, de perte de soi et d’abandon.

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