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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 29 mars 2010

La vie de Leopardi

Ne pouvant plus continuer à dormir à partir de 3 heures du matin, je me suis levé et me suis mis à lire le Zibaldone. Jusque-là, j'avais négligé la chronologie de l'auteur, ne la trouvant pas essentielle à son propos, ce qui est, dans certains cas, une erreur plus ou moins importante. La vie d'un penseur aide parfois à éclairer ses propos sous un autre angle et à comprendre l'orientation de fond de sa pensée. Le contexte de sa vie vient «teinter» en quelque sorte sa vision des choses, mais il ne faudrait quand même pas trop insister là-dessus.

L'impression que m'a faite la lecture de cette chronologie se caractérise autant par l'étonnement et l'admiration que par un sentiment de dégoût et de tristesse : bref, ce penseur est comme une plante rare et vénéneuse qu'il faut manipuler avec grand soin. C'est le récit d'un jeune homme qui dès 10 ans se met à étudier frénétiquement et à tout dévorer. Fils d'un comte, il appartient à l'aristocratie, mais la famille ayant connu des déboires financiers, Leopardi sera élevé dans l'atmosphère rigoureuse et quasi monastique imposée par sa mère qui finira par remettre sur pied la fortune familiale à  force de privations. Leopardi commence très tôt à produire certaines oeuvres, et vers 15 ans, c'est déjà un érudit. On le destine à devenir prélat, mais son père s'y oppose, ne pouvant se résigner à voir partir son «seul ami». Toute sa vie, qui se terminera seulement à 39 ans, sera une lutte pour sortir des murs du palais de Recanati, la maison familiale.

À 17 ans, Leopardi est confronté aux conséquences de l'abus d'études qui ont définitivement altéré sa santé, «il entre dans un état de souffrance physique et morale qui ne le quittera plus. Son corps, chétif et malingre à la naissance, devient difforme. Devenu irrémédiablement bossu, il doit endurer les quolibets des enfants sur son chemin.» De plus, sa vue, tant sollicitée, devient chaque jour plus faible, mais ses parents ne lui apportant aucune aide, il se réfugie toujours davantage dans l'étude. À 19 ans, il sera poussé par un insatiable désir de reconnaissance et de gloire littéraire et cherche alors à connaître les «bonnes» personnes, des contacts qui l'aideront à avancer. Leopardi, malgré tous ses efforts, n'arrive pas à percer vraiment, et pour les emplois, il ne fait qu'essuyer refus après refus. Il n'y a de place pour lui nulle part, et il se retrouve toujours à revenir au palais de Recanati comme un prisonnier. Il finit par réussir à partir avec l'aide d'un oncle, ce sera un voyage de 15 années, une vie nomade en Italie. Les démarches des proches se poursuivent pour lui trouver un emploi, mais sans succès : il vivote avec le peu d'argent qu'il réussit à obtenir. Finalement, en 1832, l'humiliation viendra s'ajouter à toute cette somme de malheurs : réduit à rien, incapable de dicter ni d'écrire à cause de sa mauvaise santé, il sera contraint de demander une pension mensuelle à son père. Il mourra en 1837 après être resté enfermé un mois entier dans sa chambre, attendant la mort.

La majeure partie du Zibaldone, qui est constituée de ses «notes et observations», a été écrite entre sa 23e et sa 25e année, soit près de 4000 pages. C'est donc le travail d'un jeune homme, un génie philologique bien entendu, mais un jeune homme quand même, qui ne disposait pas de l'expérience de vie nécessaire à la maturation des pensées. C'est la raison pour laquelle j'ai dit qu'il était rare et vénéneux, car c'est un génie, mais ses opinions radicales trahissent la frustration et l'ardeur ambitieuse des jeunes gens forcés de tourner en rond. Ainsi, nous retrouvons dans le Zibaldon, alors qu'il n'avait que 23 ans, la réflexion suivante : «On ne s'impose dans le monde que par la violence. Si tu ne veux ou ne peux y recourir, les autres y recourront contre toi. Soyez donc violents.» On se demande quel est l'intérêt d'un jeune homme déjà malade de faire l'éloge de la violence assis à son bureau, à part celui de réaliser son souhait de voir les autres y recourir en les encourageant dans cette voie et à se casser la gueule mutuellement. Selon moi, Leopardi avait une bonne dose de ressentiment envers le monde dans lequel il vivait et envers sa propre vie, etc., et cela n'invalide aucunement ses propos, mais, comme je l'ai dit, il faut faire attention à ses «élans», prendre du recul par rapport à certaines de ses réflexions «incendiaires», qui s'en tiennent somme toute, à la surface des choses. Il est vrai qu'il faut un peu de «violence» (ferme détermination?) pour s'imposer en quoi que ce soit, mais on peut aussi modérer ces propos en ajoutant les suivants du penseur taoïste Lao-tseu : «J'enseigne ceci après d'autres : l'homme violent n'aura pas une mort naturelle.»
    

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