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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 1 mars 2010

Une passion soi-disant indéracinable

J'ai pris goût à jouer aux échecs il y a de cela des années, cela faisait partie de mon programme personnel de désintox. C'est un ancien professeur d'échecs, un vrai dur à cuire, un ex-militaire orgueilleux, rancunier et très rusé qui m'a rodé. Son idole était Emmanuel Lasker, champion du monde de 1894 à 1921, un mathématicien et philosophe pour qui le combat ne se déroulait pas seulement sur l'échiquier, mais aussi, et surtout, dans la tête des joueurs. J'arrivais souvent bien préparé pour jouer quelques parties au café, mais la guerre de calcul et de tactique pure se transformait trop souvent en combat psychologique et je me retrouvais déstabilisé. C'était la philosophie de Lasker, et de mon adversaire. Je n'aimais pas cette façon de jouer, mais bref, c'était une guerre totale sale. Pour ma part, je croyais évidemment au calcul pur, je n'avais pas vraiment d'idole sauf Alekhine pendant un certain temps, et à la longue, avec un peu plus d'expérience et quelques tournois, j'ai fini par gagner de façon régulière sans avoir à mener une guerre psychologique, que je trouvais d'ailleurs méprisante.

À l'époque, n'étant pas fumeur, j'ai fini par me fatiguer des cafés et encore davantage des joueurs, toujours les mêmes, qui me tapaient royalement sur les nerfs en utilisant tous les moyens possibles pour distraire l'adversaire et réussir ainsi à lui faire faire une erreur. Je me suis donc acheté un logiciel d'échecs, Fritz 8, et j'ai joué de plus en plus chez moi sans me faire déranger. Voulant acquérir le titre de «maître», je ne pouvais pas me limiter à jouer avec des joueurs de café. Après une certaine période d'accoutumance, j'ai donc testé la puissance du programme et j'ai monté sa force à 2400 Elo en parties rapides de 3 minutes. Je réussissais parfois à le battre, disons 1 fois sur 50, ce que je croyais impossible, j'ai donc monté sa force au maximum à 2800 Elo, et j'ai réussi à le battre au fil du temps et du sang une dizaine de fois en tout : je constatais alors que je pouvais jouer très fort lorsque j'étais bien «réchauffé» et qu'il n'y avait aucune «guerre psychologique» là-dedans. Équipé d'une connexion Internet, j'ai donc commencé à jouer en ligne des parties rapides (3 mins) sur le site Chessbase. Après deux années de lutte acharnée, j'ai finalement réussi à atteindre la cote de 2180 Elo, une cote beaucoup plus élevée que celle du professeur. Je savais maintenant que je pouvais battre des joueurs de très haut niveau, et lorsque j'arrivais pour jouer contre eux, j'étais confiant et je jouais mieux, gagnant ainsi toujours davantage. J'aurais certainement pu finir par dépasser cette cote, et c'était mon objectif, mais mon abonnement a expiré, et après avoir eu quelques problèmes avec le site et des engueulades avec des ti-gars à maman à grosse cote, et qui, la voyant fondre en perdant, ne voulaient plus jouer contre moi, j'ai décidé de ne pas me réinscrire immédiatement.

Après quelques mois de «break» des échecs, la passion a fini, incroyablement, par disparaître. J'avais fait ça plusieurs fois, off and on, tout vendre mes livres d'échecs, puis ensuite tout racheter... C'était une passion love and hate et je la croyais vraiment indéracinable. Puis, j'ai eu d'autres ambitions que de rester planté là toute ma vie devant un échiquier à me réjouir vainement de mes victoires. J'ai commencé à faire de la musique, et puis voilà, la musique a remplacé les échecs, je trouve cela beaucoup plus constructif.

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