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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 16 mars 2010

Si tu touches à ça, tu vas faire la rue comme nous autres

Je me souviens de J., une belle femme dans la vingtaine, pleine d'espoir. Elle était grande, blonde, et elle avait une bonne job, je n'en parlerai pas. Une fille normale, ordinaire quoi, qui voulait se ranger, avoir des enfants et tout. Le problème, et il était de taille, c'est qu'elle était amoureuse du gars qui fallait pas... Moi je serais sorti avec elle et on aurait eu une vie heureuse loin de la drogue, mais elle ne me voyait même pas, elle ne voyait que lui, ce salaud.

Elle venait à la piaule sur de la Gauchetière pour chercher son chum... Elle le retraçait en demandant sur la rue aux autres fuckés. C'était un beau gars, genre Marocain ou autre, il avait de la classe et il se distinguait parce qu'il se tenait pas avec les autres, et il avait de l'argent quand il passait, et il consommait pas mal. Il était équipé de tout l'attirail du gros consommateur professionnel, avec chalumeau, pipe en verre, etc. Je ne le voyais pas souvent, en fait, je l'ai vu deux ou trois fois; il était trop occupé à «travailler», c'est-à-dire qu'il volait des autos de luxe. Oui, c'était un bon et beau bandit très charmeur et bien habillé, il devait fourrer comme un dieu.

En tout cas, J. arrive un soir, et je remarque que ça ne va plus là, parce qu'à chaque fois qu'elle arrive, il vient juste de partir. Elle le manquait toujours de quelques minutes partout où elle allait. Elle commençait donc à être sérieusement dépressive, parce que c'était l'amour de sa vie, et elle voulait qu'il s'en sorte, et l'aider, et faire sa vie avec lui, et etc. Elle me faisait tellement penser à moi, avant que je me fasse avoir moi aussi... Alors, elle a voulu essayer notre shit, c'est-à-dire du crack. Elle nous voyait fumer tous ensemble dans cet appart délabré éclairé aux chandelles et elle voulait s'y mettre elle aussi, peut-être par espoir de «rejoindre» son chum en passant de l'autre côté du miroir, au risque de se perdre.

Les filles ont dit non en premier et l'ont averti : «Si tu touches à ça, tu vas faire la rue comme nous autres.» Mais elle ne voulait rien savoir, elle était incrédule et disait ben non, je ne ferais jamais ça moi! Je l'écoutais dire ça en pensant à tous ceux qui avaient l'air «bien» et qui ont dit ça avant elle...

Bref, elle a fumé avec nous et ensuite je ne l'ai plus revue pendant un bon boutte, ni le gars d'ailleurs.

Un soir que j'étais sur St-Dominique, une fille vient me voir : elle cherche de la roche, elle est avec un client. Elle me dit dans l'obscurité, tu me reconnais? c'est moi J.... L'avertissement des filles venait de se confirmer, genre une année plus tard... Cette drogue est fatale. En prendre une fois, une seule, c'est comme tomber en amour : t'es partie pour une couple d'années.

Ensuite, quand le buzz redescend, t'apprends à avoir un contrôle sur la drogue et tu deviens sage, et t'arrête, si t'es pas déjà mort. Il y a une sagesse dans la consommation, mais rares sont ceux qui l'acquièrent, et le prix est très élevé, trop élevé.

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