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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 12 août 2009

Les pauvres d'un jour

Horkheimer dit que «celui qui est en haut» (ou encore le riche, ou la grande âme, who knows really?) peut se mettre à la place du pauvre, s'identifier avec eux ainsi qu'avec les persécutés (là on parle avec ce mot des «pauvres en pouvoir», ou encore en argent [l'argent n'amène-t-elle pas une part de pouvoir? et les pauvres ne sont-ils pas justement souvent persécutés?], et qui subissent l'injustice par ce fait), mais que «celui qui est en bas» (le «pauvre»), lui, est incapable d'être généreux, parce qu'il a toujours vu le monde d'en bas.

Bon, c'est vague juste à point, le style contourné a ses limites. Horkheimer parle-t-il toujours absolument de grandeur d'«âme», ou parle-t-il des fois aussi de grandeur de «portefeuille»? Bien sûr, la richesse n'exclut pas la grandeur d'âme, de même que la pauvreté ne peut exclure une âme mesquine, et vice versa.

Venons-en à mon point, qui ne prend que le mauvais côté de l'interprétation. Vous en conviendrez que si demain on vous promet une très grande richesse, mais que vous devez, en signant un contrat, vivre dans le plus total dénuement pendant une année complète, cette année, malgré toutes ses misères et difficultés, sera vécue très légèrement et avec un certain plaisir dissimulé : parce que vous avez un avantage secret sur pratiquement tout le monde qui vous entoure, jusqu'aux passants qui vous donnent de l'argent, mais vous seul savez, que vous êtes en réalité au-dessus de tous ces gens, que vous êtes «en haut».

Ainsi, il est facile pense-t-on de se mettre à la place du pauvre quand on est plein aux as, par une sorte d'illusion, ou de complaisance, ou d'histoire qu'on se raconte en se voyant dans le rôle de sauveur ou je ne sais quoi, à la fois pauvre et riche, enfin, c'est ambigu.

Pour pouvoir se mettre vraiment dans la peau d'un autre, ça prend du temps, que ce soit le riche ou le pauvre, et surtout, ça prend du réel et des situations qui «durent». C'est alors qu'on n'est plus «dans la peau d'un autre», mais qu'on «est» l'autre, ou plutôt «soi-même» : la différence n'est plus perçue. Ceci pourrait se produire si on prolongeait la «durée de pauvreté» du contrat à dix ou vingt ans, car alors on craint de ne pas pouvoir survivre et aussi on «perd» du «temps de vie», ce qui fait goûter réellement la misère, car la misère après tout n'est pas tant le temps qu'on passe sans argent que le temps qu'on passe à «végéter», sans pouvoir faire grand-chose à part se battre pour survivre (on est loin des fantaisies d'Hollywood), bref, comme le pauvre.

Si on est riche, il faut tout perdre, de façon irrévocable, pour comprendre et ressentir «le vide» d'avenir : tout notre horizon habituel de rêves et de possibilités s'écroule, ainsi que tout espoir. C'est alors qu'on commence réellement sa vie «en tant que» pauvre, et non pas dans le «rôle» de pauvre, car autrement, c'est de la comédie.

Ainsi, les riches peuvent toujours s'amuser à déchoir et à dormir dans les ruelles pour ensuite faire la queue à la soupe populaire : ce n'est pas de l'empathie qu'ils cherchent à développer, mais qu'une manière de mieux goûter leurs richesses. Leur situation ne les atteint pas vraiment, car ils savent qu'à tout instant ils peuvent appeler au manoir leur limousine pour que l'aventure s'arrête, comme dans un jeu vidéo, irréelle en somme, et reprendre leur vie de pacha, avec ses courtisans et ses courtisanes, ses mets exquis, ses voyages exotiques, bref, ses possibilités infinies, celles précisément que le pauvre n'a pas et n'aura probablement jamais.

Bien sûr, l'argent ne fait pas le bonheur, mais «ça aide» comme on dit.

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