Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 10 août 2009

De trop

J'avais organisé ma vie en fonction d'un long suicide au ralenti, pris dans la trappe qui m'empêchait d'avancer, j'avais décidé de faire le pas, de m'approcher du précipice, de tenter la fin. C'est tard la nuit que tout me revient en rot, avec évidence, avec une meilleure compréhension de ma situation d'alors, d'avant et de maintenant. J'écris pour me libérer du poids, pour essayer de comprendre, mais ça ne devient que toujours plus lourd à supporter. C'est une masse de négatif dont je dois me débarrasser, mais comment? C'est mon passé, mon histoire, mon héritage, seulement d'la marde. Élevé par un père seul qui ne s'est jamais foutu de mon éducation, un imbécile-né idéaliste qui a fait tout le contraire de ce qu'il voulait faire, froidement cartésien, sans coeur, qui ne m'aimait pas au départ, et qui n'attendait que le jour de mes dix-huit ans pour me câlisser au bout de ses bras, dans l'indifférence la plus totale. Lui-même frustré, probablement par l'incapacité de pouvoir terminer ses études à cause de ma venue au monde prochaine, il devait travailler, mais c'était la bonne époque, et on t'engageait sans diplôme. Je me suis retrouvé entre deux feux, incapable de terminer mon cégep et de rentrer à l'université en mathématiques, car je n'avais pas droit aux prêts et bourses, et mes parents ne contribuaient pas. À l'époque, il n'y avait pas la case à cocher «difficultés parentales» et je devais moisir chez McDonald toute ma vie; mes parents n'ayant jamais connu l'université se foutaient pas mal que j'y aille; non, tout ce que ça prenait c'était de la «volonté», oublie les études, oublie les diplômes. Les emplois d'alors étaient pour la plupart à temps plein, et je ne vois pas comment j'aurais pu avancer à une vitesse raisonnable sans aucune forme d'aide. En clair : on m'avait abandonné à mon sort, mon père, ma mère, pourtant à l'aise, mais totalement inconscients. Je suis tombé en dépression assez rapidement quand j'ai réalisé l'ampleur du merdier. Mais j'ai refusé de prendre les peanuts que le médecin me prescrivait et de devenir un zombie, en suivant la pente descendante; j'ai choisi d'en finir et je me suis poussé pour tomber plus vite. Pendant que ma soeur était traitée aux petits oignons, et qu'on lui a permis de faire ses études universitaires et d'avancer, moi je me gelais dans les rues de Montréal coincé dans des chambres insalubres, incapable de sortir de la trappe. On me disait «c'est parce que tu veux pas», aujourd'hui, et ça me revient la nuit dans le demi-sommeil alors que je constate que ma vie est finie, je me rends compte à quel point on ne m'a jamais aimé. On maltraite un jeune animal pendant des années, et après on se plaint qu'il est agressif et antisocial, justifiant son euthanasie : c'est le même processus avec les humains, mais sur une plus longue période; la prison n'est jamais loin. Je paie encore les conséquences de tout cela. Je n'ai pas de situation stable, mon avenir est toujours précaire. Je ne fais que payer, payer toute ma vie, payer d'être né. On peut dire que je n'ai pas eu de parents, et pas d'éducation. J'ai été élevé dans le mythe du «bon sauvage», peut-être, mais il y a plus. Il n'y avait pas d'«intention» délibérée d'éducation derrière tout ça, mes parents n'étaient pas assez intellectuels pour ça, mais juste une mollesse, une incapacité, un échec de jambons. Le divorce a eu lieu alors que j'avais sept ans, par après ce ne fut que la guerre entre mes parents, qui, en véritables idiots, m'y mêlait, ma mère me montant contre mon père, et mon père me forçant à détester ma mère; j'étais constamment déchiré, ne sachant qui aimer, qui haïr. Je me souviens, je pleurais souvent; en fait, j'ai pleuré toute ma jeunesse. Ma mère est partie pendant plusieurs mois, peut-être deux ans, je ne comprenais pas pourquoi. Mon père était obnubilé par sa secte qui prenait toute la place; ma mère ne voulant plus continuer à vénérer le gourou, ce cloune, elle devait partir, et moi j'allais suivre éventuellement quand ce serait le temps. Pour l'instant, je n'étais qu'un poids mort, qu'un boulet dont on aurait aimé se débarrasser au plus vite; j'étais de trop. Mes parents ont fait des enfants parce qu'ils devaient en faire; quand leur trip s'est terminé, tout a éclaté. Je comprends aujourd'hui pourquoi ça m'affecte énormément de voir des animaux abandonnés par leurs propriétaires en pleine rue, ou dans un parc, ou encore emmenés pour se faire tuer, seulement parce qu'ils déménagent et que leur trip d'animaux est terminé. On ne joue pas comme ça avec la vie des autres, des animaux, des individus, comme si c'était des choses, des biens à s'approprier et ensuite à rejeter une fois qu'on n'en veut plus. À cause de la façon dont j'ai été traité tout au long de mon enfance, je n'ai jamais été capable d'avoir une vie affective et amoureuse normale : j'ai toujours été pris dans des relations sadomaso houleuses et douloureuses empreintes de désespoir. Même chose pour l'amitié : je n'ai jamais été capable de développer des relations durables et saines avec personne, me conduisant à toujours plus d'isolement, dans un cercle vicieux où la drogue devenait mon seul dialogue.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire