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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

samedi 2 janvier 2010

Le robot dit «Bonjour!»

Il m'arrive souvent de réfléchir sur l'intelligence artificielle, et à l'échec de celle-ci. Dans la même veine, je réfléchis de même aux obstacles qui bousillent la traduction automatique, ainsi qu'aux cadavres exquis qu'elle nous livre à profusion. Par exemple, le mot simple «bonjour» : je peux aller vérifier son sens dans le dictionnaire, prendre le point 1, la locution familière, et le régionalisme (point 2) où «bonjour» est aussi dit lorsqu'on prend congé d'une personne. Ces points, incluant la locution familière, forment des embranchements en quelque sorte qui feront partie du programme de notre robot à propos du mot «bonjour». Je devrai trouver les critères qui feront que le robot se dirigera vers le bon embranchement. Jusque-là, il est possible de faire certaines choses si le robot réussit la plupart du temps à trouver le sens exact d'un mot ou d'une phrase. Cependant, je lisais un livre plus tôt qui m'a rappelé la distinction sens/intention : quel grave problème pour la machine! Même si le robot arrivait à trouver le bon sens d'un mot ou d'une phrase, il resterait bien souvent l'intention à déchiffrer! La formule «Bonjour!» peut être dite de différentes façons et exprimer le dynamisme, le reproche, la lassitude, la méfiance, etc. Le ton, la vitesse d'élocution, la modulation, l'expression faciale, ou encore, un contexte inconnu de l'interlocuteur, etc., viennent charger ce simple mot «bonjour» d'une intention qui dépasse le programme de base du robot : il doit maintenant être capable de sortir du dictionnaire et d'analyser son environnement comme un être humain le ferait. Il nous arrive couramment de nous tromper nous-mêmes sur l'intention d'un mot, d'une phrase, d'un livre, d'un geste, d'une attitude, etc. Nous confondons aussi couramment «sens» et «intention» dans la vie de tous les jours, et au lieu de les séparer, nous incluons l'intention dans le sens et parlons de sens tout simplement, le sens au 1e niveau des dictionnaires, alors que l'intention est en réalité un sens au 2e niveau. De plus, je viens d'y penser, le mot, selon l'ambiance, l'état d'humeur, les lieux, etc., vient aussi prendre une charge (émotive?), une coloration particulière pour le sujet qui perçoit tout cela de façon parfois un peu confuse comme un ensemble de facteurs. Je pense ici à un groupe de personne qui échangent : une certaine tonalité domine les rapports, c'est comme dans l'«air», et on s'y sent bien ou mal, etc. Enfin, tout cela m'a fait penser à Fichte et à son livre Le caractère de l'époque actuelle (1806) où il arrive à déchiffrer les «intentions» en quelque sorte de l'époque dans laquelle nous vivons, et ce, à 200 ans de distance : tout simplement hallucinant! Mais le premier livre qui m'est venu à l'esprit à propos de cette réflexion sur le sens et  l'intention c'est Les concepts fondamentaux de la métaphysique, Monde - Finitude - Solitude (1929-30) où Heidegger analyse l'ennui en profondeur de façon intéressante et étonnante et en fait une des «tonalités fondamentales» (Grundstimmung) de notre époque, qui prend la forme, en quelque sorte, d'une «intention» de fond ou d'une «direction» générale venant façonner et teinter, entre autres, les rapports, et dont nous ne sommes que vaguement conscients, puisque nous baignons dedans quotidiennement.



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