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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

samedi 23 janvier 2010

Inutile et vide

Je ne me suis jamais senti aussi inutile et vide, je suis moins qu'un insecte dans un sac à vidange ou une tache de merde dans un fond de culotte d'itinérant. Je ne travaille pratiquement pas de ces temps-ci; je travaille sur appel et par contrats et tout est mort : je suis pris à rester chez moi, pas d'argent, et je n'arrive pas à suivre le rythme accéléré des comptes les plus élémentaires. J'ai tout le temps qu'il faut pour constater mon échec professionnel, et mon échec sur bien d'autres plans aussi, comme ma maîtrise en philosophie que je viens d'abandonner parce que je n'avais pas assez d'argent et pas assez de temps pour la faire, surtout avec le genre de guignol que j'avais comme professeur qui a fait un véritable cours de bric et de broc, et dont je devenais, en quelque sorte, l'esclave, à cause de son manque d'organisation. Je me retrouve donc dans une impasse dans mon domaine et je ne pourrai, comme c'est là, jamais aller enseigner comme je rêvais de le faire. L'heure est grave dans mon couple; j'ai remis bien des choses en question depuis mon séjour à l'hôpital, disons que ça a été, heureusement ou non, comme un wake-up call. En effet, je dors au gaz depuis des années, mes capacités stagnent, je ne suis pas heureux, vraiment pas, et sur le plan relationnel non plus. Bref, j'ai comme trois ou quatre échecs qui me tombent sur la tête en même temps, ça va mal en sacrament, et ça risque fortement de me coûter encore plus cher.

On aura réussi à avoir ma peau, et plus le temps avance, plus c'est ça que je me dis. J'approche la quarantaine et je n'ai rien de concret devant moi, et ça me terrifie, et ça m'annule. Je n'ai aucune sécurité financière, je ne peux donc jamais planifier quoi que ce soit, et ça fait des années que c'est comme ça, mon champ de vision est très raccourci et tous mes projets sont toujours et constamment sur la glace, et si je retourne étudier dans une autre branche, j'en ai quand même encore pour des années à souffrir et à me priver, et il n'est pas certain qu'en chemin je serai obligé par manque d'argent de tout abandonner à nouveau, ce qui me force, dans ma vie, à faire cavalier seul, par absolue incapacité de tout payer tout seul en cas de rupture.

Comment ça se fait que j'en suis rendu à ce point-là, au point que je me dis encore une fois, ou plutôt, que je suis obligé de me dire, que la prison n'est pas loin? Ben oui, c'est comme ça quand t'as pas d'argent; personne ne veut de toi nulle part, tu pètes les plombs, et voilà, on te refout au trou et on te renfonce, on te cale dans la merde, parce que c'est ça qu'on fait, et c'est ça qu'on aime faire : on appelle ça la «justice», un système de fichage qui te renfonce dans la merde à jamais, alors que tu fais tout pour t'en sortir : du sadisme pur. Dans mon cas, je n'arrive pas à rattraper les comptes. Je m'imagine déjà à la rue en plein hiver avec ma bibliothèque de livre que j'ai accumulé au fil des années, toute ma vie est foutue en l'air d'un seul coup, je suis acculé une fois de plus au pied du mur, devant l'éventualité de me retrouver encore une fois dans une maison de chambre de revendeurs et de prostituées et de b.s. avec le sida et les coquerelles et des imbéciles qui foutent le son dans le tapis alors que les murs sont faits en papier-mâché, de me retrouver encore une fois dans une usine à boulons ou un emploi au salaire minimum, de me retrouver encore une fois dans la drogue, la merde, la misère, bref, c'est la dégradation de mes facultés, de tout ce que j'ai accompli au cours des années à grands coups d'effort et de volonté, mais on aura réussi à m'avoir...

Comment ça se fait que j'ai toujours un boubou macoute qui est là et prêt à me taper sur la tête avec sa matraque si je ne sers pas le café assez vite dans un casse-croûte minable appartenant à un gros sale de plein et auquel je paie les études des ses enfants par mon exploitation alors que je perds les miennes et que je suis obligé de stagner là toute ma chienne de vie à lui lécher le cul? Voyez-vous, il y a quelque chose qui ne marche pas sur cette crisse de planète... Je dois être en enfer, je sais pas... Je pousse une roche en haut d'une montagne, elle tombe en bas, je la reprends, la repousse jusqu'en haut, elle retombe, et ainsi de suite, ad infinitum, ça ressemble au mythe de Sisyphe, ma vie n'a aucun sens... Mais puisque je suis un homme, je dois arrêter de m'apitoyer sur moi-même et fermer ma gueule et endurer, et travailler dur, moi, pour les riches... J'ai trop envie de rire et de brailler en même temps devant cette absurdité phénoménale, parce que je suis loin d'être le seul dans cette situation... On veut toujours me faire croire que c'est moi le problème, que c'est parce que je ne «veux» pas assez, etc. Est-ce que je suis le con de service moi?

Bon, je viens de recevoir un appel là, je m'en vais travailler. Je vais peut-être réussir finalement à payer un compte ou deux. Si vous voyez que je n'écris plus, c'est parce que ma blonde est partie avec l'ordinateur... Et les meubles, le divan, etc.

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