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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 20 juillet 2009

Le bonheur est dans la crowbar

Pratiquement tous les produits que nous achetons sont faits à la sueur du front de travailleurs qui gagnent un dollar ou deux par jour, parfois quelques cent; en Chine, certains travailleurs reçoivent 13 cents pour une journée de travail de 16 heures consécutives 6 ou 7 jours par semaine, au lieu des supposés 87 cent, ce qui leur permettrait au moins de se soigner et d'envoyer un peu d'argent à leur famille, et doivent même parfois coucher sous leur machine pour reprendre tôt le lendemain des journées de travail qui s'étendent de 7h à 22h, et parfois même dans les périodes de pointe, jusqu'à 2h du matin et souvent de façon répétée, ce qui conduit directement à l'épuisement des travailleurs et à la maladie.

Les industries (surnommées les «hirondelles» par les travailleurs) font affaire avec les ZFI (zone franche industrielle) des pays hôtes et ne paient jamais d'impôts, et lorsqu'ils doivent en payer, ils utilisent toutes sortes de subterfuges pour y échapper, comme fermer et rouvrir sous un autre nom; ils ne participent ainsi jamais à la création d'infrastructures pour l'eau courante, les routes, les services médicaux, l'éclairage des rues, les transports en commun, l'éducation. Les usines sont construites à la va-vite, et parfois on convertit tout simplement une ancienne porcherie en lieu de travail. Aussi, les gouvernements offrent les services d'une armée «à la fois désireuse et capable d'écraser les conflits de travail». À mon avis, ces zones de libre-échange sont des zones de libre écrasement des travailleurs et je ne vois pas beaucoup de différences entre ces conditions de travail et l'esclavage qu'on croit aujourd'hui disparut.

Aux Phillipines, on cadenasse les toilettes pour que les employés y aillent tous en même temps. Ils doivent pointer leur carte de travail et on calcule leur temps d'«improductivité». Conséquence : les couturières qui font notre «beau linge» pissent dans des sacs en plastique sous leur table de travail. Les heures supplémentaires sont la règle, et on offre parfois de petites récompenses, comme des beignes et un stylo(!); aussi une couturière qui était épuisée par les périodes de travail de nuit consécutives et qui souffrait de pneumonie, a demandé un congé pour pouvoir se rétablir sans perdre son emploi : on le lui a refusé et elle est morte de sa pneumonie à l'hôpital. Et la liste s'allonge indéfiniment d'écoeuranteries par-dessus écoeuranteries.

Parfois, je ne sais quoi penser de tout ça. On se demande : pourquoi ne se regroupent-ils pas? Pourquoi ne deviennent-ils pas violents à leur tour? On pourrait être tenté de blâmer les travailleurs qui se laissent exploiter de cette façon et rejeter la faute sur eux. De dire que le développement de la «conscience collective» doit passer par là, par ces souffrances, par ces abus incroyables pour devenir possible. Mais c'est comme blâmer la victime au lieu de l'agresseur : de dire que c'est la faute de la femme battue si elle se fait battre parce qu'elle «tolère» la situation, et que c'est aussi la faute de la femme qui marchait dans une ruelle si elle s'est fait violer, puisqu'elle portait une minijupe «trop» courte, etc. C'est aussi la faute des investisseurs s'ils se sont fait flouer par les Lacroix, les Jones et les Maddox, puisqu'ils leur ont confié leur argent. De même, c'est la faute des animaux dans les cirques s'ils se font battre en cachette à coup de crowbar par des soi-disant «éleveurs», puisqu'ils ne font pas toujours ce qu'on leur demande de faire. En suivant ce raisonnement, c'est aussi la faute des Juifs s'ils se sont laissé parquer dans des trains pour se faire ensuite envoyer dans les chambres à gaz...

On le voit-tu là qu'il y a un osti de problème?

Mon raisonnement est le suivant : on laisse les coudées franches aux entreprises, on a «rien» en retour, seulement de la misère. Les capitalistes n'ont par principe aucune «conscience collective» : ils sont là pour nous exploiter, point à la ligne, et s'ils pouvaient nous transformer en machines ils le feraient. Ils se foutent de nos conditions de vie, de nos droits, des conditions de travail, de nous en tant qu'êtres humains, de la nature, ils se foutent du monde entier, sauf de leur profit personnel.

Ces entreprises comptent sur notre passivité et notre suffisance en tant qu'Occidentaux qui avons tout cuit dans le bec. Nous croyons apporter à ces pays notre «belle technologie» et notre «beau progrès» et que tous leurs problèmes vont se régler tout seul comme par enchantement? Erreur : les sociétés se comportent dans ces pays en touristes économiques plutôt qu'en investisseurs à long terme soucieux d'alimenter une croissance durable et désireux d'améliorer la qualité de vie des gens qu'ils exploitent comme du bétail. Au lieu de se fixer un certain objectif de prospérité commune et d'équité, ils transforment des pays entiers en bidonvilles industriels, compromettent leur système d'éducation et polluent leurs ressources naturelles. Ainsi, en plus de perdre leur vie à travailler pour rien, ils se font voler tout ce qu'ils ont et sont des travailleurs étrangers dans leur propre pays, sans argent et sans abri. Les salaires sont si bas qu'aucune amélioration de la qualité de vie n'est possible, et cet argent ne sert ainsi qu'à renouveler la force de travail, et encore. Manger son bol de riz, payer son transport et retourner travailler parce qu'on n'a plus d'argent, vous appelez ça une vie? Ces gens ne sont pas dans une meilleure situation que les poulets dans les cages destinés avant même la naissance à devenir des croquettes shootées aux stéroïdes. Il y a même des cas où on administre des amphétamines par injection aux employés pour qu'ils produisent plus dans les périodes de pointe.

Est-ce que vous trouvez que ça commence à ressembler à du pillage? Du pillage de vies et de ressources fait en toute impunité? Du pillage comme les Américains ont fait et continue de faire en Irak? Attendez, ça ne fait que commencer. La liste est longue des choses que nous ne savons pas ou sur lesquelles nous préférons fermer les yeux parce que l'agresseur est trop fort ou trop dangereux, ou tout simplement parce que nous croyons qu'il n'est pas possible qu'on veuille faire autant de mal à des gens sans raison. Et pourtant...

Je ne sais quoi penser de tout ça et je me demande si l'homme est vraiment, par nature, méchant. Mais s'il y a des «méchants», il y a nécessairement de «bonnes personnes» qui en sont les victimes. Et c'est pour ces personnes, pour leurs droits et la justice que nous devons lutter, dans ce qui ressemblera fort, semble-t-il, à une «lutte à mort pour la reconnaissance» à la Hegel. En parler aide déjà dans une certaine mesure, car cela montre que nous n'approuvons pas ces prédateurs qui nous rendent la vie infernale par leur inconscience ou ce qui serait plutôt le cas, par leur mépris le plus total.

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