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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 27 juillet 2009

L'Internet tue

On se trouve intéressants, on tape au clavier, on veut en apprendre plus, et plus, et encore plus... Évidemment, on arrive à un point où il faut se rencontrer, en partie parce qu'on s'est dit les choses les plus personnelles, qu'on s'est plu, et que nous sommes en quelque sorte rendus familiers ou intimes. L'Internet peut nous permettre de nous faire voir à l'autre par un trou de serrure, et en lui montrant seulement nos beaux côtés, ou encore en agissant d'une façon qui n'est pas représentative de nous-même, en bien ou en mal. C'est un peu comme une relation par lettres, ou aujourd'hui, par courriels : tout est brossé, enjolivé, étudié, on ne s'exprime pas comme on s'exprimerait habituellement, tout prend une allure chevaleresque et romantique, ou encore caricaturale, bref, d'une façon ou d'une autre on se conte des histoires et on a le temps de se reprendre et de se travailler. C'est très statique et très trompeur.

On se serre la main ou on s'embrasse, nous ne nous connaissons pas, mais étrangement c'est comme si on se connaissait déjà puisqu'on sait tout l'un sur l'autre : on n'a donc rien de nouveau à se dire. La situation est embarrassante, et si je feins d'ignorer ce que je sais déjà pour alimenter la discussion, j'ai l'air de quelqu'un qui ne suivait pas les conversations, et je force l'autre à se répéter, ce qui est gênant et ennuyant pour les deux : bref, une très mauvaise soirée en perspective, garantie, et que ce soit pour l'amitié ou l'amour, c'était déjà mort dans l'oeuf.

Vous pouvez être pratiquement sûr que si vous parlez trop avec une personne qui vous intéresse par Internet, vous ne pourrez jamais, au grand jamais, la rencontrer en personne. La transition est très difficile du virtuel à la réalité, et souvent pas mal plus raide qu'on pense. «Ce qu'une personne est, parle plus fort que ce qu'elle dit» n'a jamais été aussi vrai, et pour confirmer l'adage la présence physique est indispensable.

Pour aller un peu plus loin et montrer à quel point les rencontres par Internet vont totalement contre le sens naturel des choses, imaginons que je demande à voir plus de photos d'une personne de façon à me faire une idée de son apparence afin de savoir si elle me plaît physiquement. À l'instant même où je fais la demande, je suis dans la position de voyeur, et aussi du gars qui cherche de la peau, selon le point de vue de l'autre personne. L'autre est réifié, transformé en chose que j'observe froidement à distance et la rencontre prend automatiquement, mais peut-être faussement, une tournure de relation de cul potentielle. On pourra accuser les gens qui demandent plus de photos d'accorder beaucoup trop d'importance aux apparences et d'être superficiels. Cependant, que faisons-nous tous les jours lorsque nous croisons de belles personnes sur la rue ou ailleurs? - nous jugeons en partant selon l'apparence physique, et nous décidons à partir de plusieurs critères d'apparence physique si nous allons aborder cette personne ou non sans n'avoir d'abord rien demandé à l'autre : c'est beaucoup plus d'«images» que de simples photos, et d'emblée, au simple regard, en quelques secondes, nous avons jugé la personne, nous avons fait une certaine «estimation».

Nous faisons tout cela, hommes ou femmes, sans nous en rendre vraiment compte. Nous ne nous rendons pas compte que le physique est d'abord une invite, de façon instinctuelle, à connaître davantage l'autre personne. Le problème avec l'Internet, c'est que ce comportement naturel et hautement «dynamique» devient analytique et est décortiqué en étapes partielles qui deviennent «objectives», «statiques» et surtout, conscientes, ce qui révèle son côté simplement «intéressé» tuant le charme alors que dans la réalité le processus reste caché, se fait en un instant et est pratiquement automatique. On s'accuse de n'être intéressés que par le cul parce qu'on regarde des photos, mais on fait bien pire dans la réalité. La réalité, c'est que le «physique» on n'en sort pas, et qu'on le veuille ou non, ça passe toujours en premier... avant d'aller plus loin, bien sûr. Et pour ceux ou celles qui physiquement, ne se trouvent pas au poil, le charme qui émane d'une personne permet de faire beaucoup de concessions. Bref, le clavier me fait penser à une femme qui me dit «Je veux te séduire»! Le problème, c'est que la séduction ça ne fonctionne pas comme ça et que cet instrument froid hautement technologique qu'est l'ordinateur ne pourra jamais arriver à faire passer l'essentiel, qui dépasse de loin l'écriture, entre deux êtres de chair et d'émotions.

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