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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

samedi 21 août 2010

Le fantasme et la réalité no.780

Selon moi, le fantasme n'est pas destiné à être réalisé dans la réalité. Il sert de «moteur» la plupart du temps, de stimulant, mais il se réalise rarement tel quel. C'est comme le désir d'être milliardaire un jour et de pouvoir réaliser nos rêves les plus fous: on peut dire que pour la plupart, cela appartient au fantasme. Néanmois, la vision de celui-ci sert de stimulant pour le travail ou autre. Le fantasme devient comme un vecteur qui vient façonner, de manière générale, la vie de la personne qui l'éprouve.

Je ne dis pas que le fantasme ne peut jamais se réaliser, ou qu'il a autant de chance de se réaliser que de devenir milliardaire. Je dis qu'il peut se réaliser, mais qu'il ne faut pas y accorder l'importance que tout le monde semble vouloir y accorder habituellement, qui n'est qu'un effet de mode lancé par la psycho-pop.

Il peut se réaliser, mais avez-vous pensé au côté ambigu du fantasme? Se faire pincer un sein peut-être autant agréable qu'extrêmement désagréable. Tout dépend du moment, de l'excitation, de la réceptivité, etc. Quand on ne pense pas à ça, on n'y pense pas, et ce n'est pas le temps. Il faut aussi, et surtout, en avoir envie. Il y a aussi l'«écoeurement»: c'est bon de boire de la crème, mais après une semaine à en boire tous les jours, on devient écoeuré. Il y a donc un niveau de satiété du fantasme: une fois qu'il est atteint, le fantasme n'en est plus un: il n'excite plus et ne joue plus sur l'imagination: il faut prendre une pause de lui. Que se passe-t-il alors? Le niveau d'excitation sexuelle baisse d'un cran si on joue directement sur les organes génitaux. Pourquoi? Parce qu'il manque un certain «moteur». Lorsque le médecin vous examine les organes et les touche, cela ne produit aucune excitation. Les organes génitaux par eux-mêmes, le fait de les toucher, ou même, de les stimuler, ne produira pas d'excitation si la personne ne pense pas à cela. Vous avez peut-être besoin du «fantasme du cabinet de médecin» pour être excité ici.

Personnellement, j'ai le fantasme de l'«infirmière cochonne», mais toutes les fois que j'ai été hospitalisé, il ne s'est jamais rien passé, et je ne m'en porte pas plus mal. C'est un fantasme, je crois, qui est universel chez les hommes. Pourtant, dans la réalité, il ne doit que très rarement se réaliser. Selon moi, la raison de l'existence de ce fantasme est qu'il sert de moteur à la guérison. Le fait de s'imaginer faire des «choses» avec celle qui nous soigne, nous distrait de la souffrance, nous fait penser à des choses plus positives et stimulantes, nous donne aussi tranquillement plus d'espoir, et nous aide au bout du compte à guérir. Lorsque l'esprit abandonne, le corps abandonne aussi.

Dans la réalité donc, on pourrait dire que les gens fantasment à 90% du temps, et font ces «choses» ou les réalisent, qu'elles soient sexuelles ou non, seulement 10% du temps. Le taux de réalisation des fantasmes généraux ne peut être un indicateur du bonheur de la personne. Si un fantasme est satisfait à fond et régulièrement, la personne peut devenir blasée et éprouver dégoût ou indifférence: elle doit alors passer à autre chose pour un certain temps, ou peut-être, pour toujours, cela dépend des individus.

Il ne faut pas oublier que la nature du fantasme nous oblige à être «spectateurs ». Ce qui pourrait le mieux s'apparenter à cela est le «voyeurisme»: le fait de regarder directement et passivement des personnes en ébat, ou d'observer à la dérobée une ou des personnes visées dans leur quotidien plus ou moins intime. C'est la raison pour laquelle lorsque nous nous croyons être en train de réaliser un fantasme, nous éprouvons un sentiment étrange d'«extériorité» par rapport à la situation, et avons une impression de non-satisfaction, comme si ce n'était pas tout à fait ça que nous voulions. Pourtant, quelques instants auparavant, ce l'était, mais c'est parce que nous étions encore spectateurs. Nous redeviendrons spectateurs par la suite, mais qu'en nous remémorant les faits passés, figés dans le temps, mais toujours ouverts jusqu'à un certain degré à l'interprétation, et pouvant venir en changer le «sens», mais jamais la «teneur». C'est toujours le «pourquoi» qui pose problème et jamais le «comment».

Le fait de coller le fantasme à la réalité fait qu'il n'y a plus de distance, et ainsi, qu'il disparaît, ou se fond dans la réalité, toujours trop «terre-à-terre». Comme lorsqu'une personne nous prévient en disant «ne te fais pas trop d'idées», car la réalité pourrait être très différente de ce que l'on s'imaginait et nous décevoir. En fait, ce qui risque peut-être le plus de nous décevoir, c'est le fait de ne plus pouvoir être spectateur de son «fantasme». Un exemple symptomatique: l'homme qui reluque les femmes avec de gros seins et qui ne regarde plus les seins de sa propre conjointe, qui sont pourtant aussi gros.

L'homme est toujours en quête de ce qu'il n'a pas, même si, au fond, c'est pratiquement la même chose. C'est pourquoi je disais au début que le fantasme agit plutôt à titre de «moteur» de l'action, plutôt qu'il est destiné à se réaliser concrètement. L'homme aimerait à la fois consommer l'objet de sa convoitise et en être le spectateur, c'est-à-dire en jouir de façon extérieure incluant lui-même, ce qui est impossible. C'est pourquoi le fantasme, par principe, ne peut jamais ne faire qu'«un» avec la réalité. Le fantasme reste un «fantasme», un produit de l'imagination dont nous sommes à jamais le spectateur, et la réalité reste le «réel», c'est-à-dire ce qui n'est pas l'imagination, et surtout, ce dont nous ne sommes jamais uniquement «spectateur», car nous la subissons et en sommes toujours nécessairement des «acteurs», même si ce n'est que de façon passive.

Je ne dis pas que l'homme a absolument besoin du fantasme pour faire quoi que ce soit. En fait, il serait préférable qu'il court-circuite le fantasme et se colle directement sur la réalité, qui est beaucoup plus riche au fond, que l'imagination seule. C'est ce qu'on pourrait appeler, selon les circonstances, «vivre dans l'instant présent». Être attentif au moment présent et en examiner toutes les complexités qui dépassent toujours de loin ce qu'on aurait pu en imaginer, c'est faire face à l'«inattendu», peut-être au «romantique», ce qui est toujours plus stimulant que la morne et plate prévisibilité de l'amour routinier. La nature curieuse de l'homme, en général, le force à devancer son imagination et à se frotter plutôt directement à la substance même du réel. Lorsqu'il vit de cette façon, il entre dans l'«aventure» et devient acteur du fantasme universel qu'est la réalité en tant que «monde».

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