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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

samedi 14 mai 2011

24. Saint-Thomas d'Aquin et la «justification» de la pauvreté..

Je réfléchissais beaucoup dernièrement à la pauvreté et au moyen de la faire disparaître, ou à tout le moins, au pire, de la «justifier» d'une façon astucieuse.. Tâche très difficile en effet, puisque comment justifier qu'une personne a tout pour vivre sa vie au maximum et qu'une autre n'a rien et est empêchée en permanence de réaliser ses possibilités? Il semble y avoir dans ce cas une injustice fondamentale, et nous essayons donc de la résoudre par tous les moyens..

Puisque la pauvreté a toujours existé, peut-on en déduire qu'elle existera toujours? Peut-on tout simplement l'accepter en tant que variable permanente d'une économie, d'une société? Rawls en discute, Bourdieu la décrit, mais il ne semble pas y avoir de solution dès que Dieu n'est plus en question.. Autrement dit, dès que l'on entre dans un cadre laïque de questionnement, certains problèmes moraux ou sociaux ne trouvent plus, semble-t-il, de solution, ou, autrement, la solution en est rendue beaucoup plus ardue..

La réponse de Thomas d'Aquin m'a donné un choc: je voyais là la possibilité d'une solution à cette question difficile.. La fin de la pauvreté serait de «pouvoir se livrer à des occupations supérieures à celles de la vie ordinaire des hommes».. Mais la richesse peut-elle vraiment être un obstacle à la vie supérieure? «Peu importe!» répond Thomas d'Aquin, «l'important est le but».. La richesse est en quelque sorte inutile à ce but, superflue même, et peut devenir, en ces circonstances, plus un poids qu'une aide.. Mais c'est tout.. Il ne «justifie» pas non plus la pauvreté, mais il dit de même qu'elle importe peu.. Ce qui importe, c'est le but: la «vie supérieure», et dans notre cas, parlons donc de la «vie spirituelle», sans Dieu.. Un travail de réflexion, d'approfondissement de soi et du monde, une quête de la paix intérieure et extérieure..

J'aime bien la fin du chapitre où Thomas d'Aquin retourne les arguments des riches contre eux-mêmes et les invite à leur tour au travail manuel.. Tordant! :D

«6. Et que l'on ne parle pas de la nécessité du travail manuel pour repousser l'oisiveté. Cela ne prouve rien ici: Il vaudrait mieux en effet combattre l'oisiveté par l'exercice des vertus morales dont les richesses sont les instruments en permettant de faire les aumônes et d'autres bonnes oeuvres, plutôt que par le travail manuel. Pourquoi engager des hommes à la pauvreté dans le seul but de les détourner de l'oisiveté en les occupant au travail manuel? La fin de la pauvreté n'est-elle pas de leur permettre de se livrer à des occupations supérieures à celles de la vie ordinaire des hommes? 7. Prétendre encore que le travail manuel est nécessaire pour mater la chair c'est sortir du sujet. Nous cherchons si les pauvres volontaires doivent gagner leur pain par le travail manuel. D'ailleurs n'y a-t-il pas d'autres moyens nombreux d'apaiser les concupiscences charnelles, jeûnes, veilles et autres exercices semblables. À cette fin les riches eux-mêmes qui n'ont pas besoin de travailler pour assurer leur entretien, pourraient se livrer au travail manuel.»

Thomas d'Aquin, Somme contre les gentils, livre III, chapitre 132

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