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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 15 février 2011

Anything goes..

«Bonjour mon beau blog d'amour,

Je pensais à ça ce matin, à quel point j'étais fier quand je m'étais dégoté mon premier boulot en tant que traducteur.. J'avais trimé dur à l'école, on nous parlait là-bas, bien sûr, des salaires alléchants qui nous attendaient tous.. Du bel avenir radieux.. Qu'il ne fallait surtout pas se rabaisser à dix sous du mot, que c'était «déloyal» en quelque sorte, en plus d'être «bas», qu'il fallait plutôt charger quinze ou vingt sous du mot, etc.

Je calculais déjà, j'appréhendais le gros magot, je faisais des prévisions.. J'avais enfin un métier digne de moi! C'était loin de se faire sucer la queue dans le Village, ou encore, de vendre de la dope sur l'aide sociale, ou encore, de passer sa vie dans des shop à faire des jobs de merde.. J'étais enfin legit!

Alors je me trouve un emploi dans un bureau.. Je suis impressionné par l'endroit, car je n'ai jamais travaillé dans des bureaux de ma vie.. Aussi je suis très poli et docile.. Je sais que je ne dois pas faire «bas étage», sinon je n'aurai pas mon «nanane».. Bref, on m'offre quatorze.. Je n'ai jamais réussi à travailler de ma vie à plus que dix.. Mais, bien sûr, je dois trimer très dur pour ce salaire.. Dans les parages de 2000 mots par jour! C'est ce qu'on demandait dans une autre compagnie, une grande, pour un traducteur senior! Moi, traducteur n'ayant pour seule expérience que l'école, on me demandait ça! Ok.. J'ai dit «oui», bien sûr.. C'était ça ou travailler chez Maxi à placer des cannes.. On est capables!

Quand après un mois ou deux j'ai vu qu'on se pitchait dans les bureaux pour me donner une augmentation, j'ai commencé à sentir quelque chose de louche, j'ai commencé à penser que j'étais peut-être très «sous-payé».. C'était pas normal.. On voyait que j'avais du talent, et effectivement, j'avais un extrême souci de la rigueur, alors on voulait me garder.. Je faisais de tout: du juridique, du médical, du pharmaceutique, du financier, du gouvernemental, du technique, je traduisais même du français à l'anglais! J'étais aussi «loyal», ce qui fut vraiment stupide à l'époque, j'avais une ancienne mentalité.. C'est-à-dire que j'avais reçu l'appel d'un autre employeur au bureau qui m'offrait un meilleur job avec un meilleur salaire.. J'ai refusé par loyauté pour l'entreprise pour laquelle je travaillais..

Puis, je me souvenais d'avoir eu une offre de contrat à dix sous du mot.. Je les méprisais, je crachais dessus, je les faisais attendre.. Cependant, quand je me suis mis à calculer, car je n'étais plus bien où je travaillais, la pression était trop forte, par moments on me demandait de travailler soixante heures semaine, plus les fins de semaine, j'ai découvert qu'en réalité je n'étais payé, pour ce qu'on me demandait de produire par jour, que seulement cinq sous du mot!!!

J'ai capoté..

J'ai compris alors que la fierté que je mettais à faire mon travail, autrement dit, à bosser comme un esclave pour d'autres, était une fierté mal placée.. C'était stupide de me valoriser avec ça..

Toutefois, ce matin au réveil, encore dans la brume de mes rêves, je regrettais cette atmosphère «professionnel», ces beaux bureaux; on y sentait l'avenir, la réussite, l'espoir, le succès.. On y sentait aussi la fierté, l'orgueil, et l'estime de soi.. Toutes des choses bonnes pour la santé.. «Ça roulait» comme on dit.. On niaisait pas avec la puck.. Je pouvais aussi dire que mes études avaient enfin produit un résultat concret! Mais on me siphonnait fort toutes mes énergies pour ma «fierté»! Autrement dit, c'est le contraire qui arrive: il faut plutôt avoir une bien piètre estime de soi pour se laisser siphonner de cette façon, médaille de bravoure ou pas! L'autre option consiste à fermer sa gueule et à la jouer pour partir sa propre business.. Mais est-ce vraiment ce que tu veux? C'est pas tout le monde qui aime ça..

Bref, j'apprenais énormément chaque jour, je progressais à une vitesse fulgurante, et c'est ça que j'aimais, qui faisait que je me valorisais avec mon boulot, pas avec le salaire..

Mais le mécontentement a eu raison de mon emploi.. J'ai accepté le boulot de merde à dix sous du mot.. Après tout, j'étais quand même payé deux fois plus cher!

Sauf que désormais, je n'étais plus «rien».. Un travailleur anonyme perdu dans la masse des travailleurs autonomes qui vivote au gré du flow des contrats.. qui parfois tombent à zéro.. J'étais un chien pas de médaille, un esclave sans son collier.. Je n'avais plus de reconnaissance de personne.. Je travaillais pour consommer du «matériel», matériel moi-même.. Ma vie n'avait plus de sens..

Alors, j'ai décidé que je retournais aux études, je n'avais plus le choix.. Je suis tombé à nouveau dans un cul-de-sac.. Un cul-de-sac à un niveau supérieur, mais un cul-de-sac quand même..

Non, je n'ai rien à regretter de ce boulot-là.. Il n'y avait pas d'avenir à cet endroit.. Et j'ai manqué une occasion décisive d'améliorer mon sort quand c'était le temps, à cause d'une ancienne mentalité, alors que les employeurs sont eux-mêmes tout sauf «loyaux».. Mon coeur était trop bien placé pour les «requins».. Désormais, pour tout le monde, c'est à la va-tout, et à la tout-va, bref, anything goes..

Mon avenir est plutôt devant moi..

Je vais me sortir de la merde.. à nouveau..

comme toujours..

une dernière fois..»

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