Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 30 juin 2010

La vengeance est le signe de la faiblesse

Depuis deux jours, je suis rempli de haine. Un mauvais sentiment. Mais ma haine a atteint un sommet après avoir vu hier après-midi ce vidéo, Profits Macabres, alors que j'étais déjà crinqué après avoir commencé à lire Le profit avant l'homme de Chomsky en même temps que la partie sur le néo-libéralisme du livre monumental de Catherine Audard Qu'est-ce que le libéralisme? et le Livre noir du Canada anglais de Normand Lester.

Bref, j'avais une conjonction de lectures démoralisantes qui suscitaient en moi de la haine, et j'ai commencé à me sentir mal. Ça n'avait plus rien à voir avec les belles lectures d'histoire de la politique et du libéralisme que je faisais depuis plusieurs semaines, des fois en faisant de longues marches, d'autres fois dans le bus, d'autres fois en restant chez moi. C'est la raison pour laquelle j'ai décroché environ à la 400e page de l'excellent livre de Audard, section du livre où l'on vient de passer le néo-libéralisme et où on entre de plain-pied dans l'aujourd'hui avec John Rawls, philosophe auquel elle accorde une grande place. J'ai décroché temporairement, mais je vais reprendre ma lecture probablement demain.

Pour l'instant, j'ai comme besoin d'un «nettoyage». Hier soir en me couchant, j'avais l'impression d'étouffer. Mais cette impression avait commencé plus tôt dans la soirée, disons, à mon retour du travail. J'ai alors ressenti le besoin de prendre de l'alcool pour me calmer, parce que je ne me sentais plus moi-même, je ne me reconnaissais plus, bref, je n'agissais plus et ne pensais plus comme la bonne et douce personne que je suis habituellement : j'étais «impur».

Être impur, pour moi, c'est laisser la haine m'habiter. Dans le Coran, il est écrit quelque part que «le pardon rend plus fort, et que la vengeance est déjà le signe de la faiblesse». Je trouve cette parole sensée et libératrice. C'est à ce moment que j'ai cessé d'être envieux. J'ai pris conscience que je m'étais oublié moi-même, que j'avais oublié ce que je suis, ce que j'ai toujours été, de même que ce que j'ai toujours voulu être.

Je ne me sens pas moi-même dans une lutte «nationale». Je trouve cela trop petit, j'étouffe là-dedans. Je suis peut-être Québécois jusqu'au bout des ongles, mais je ne me sens pas capable de détester quiconque ou de vouloir absolument imposer le français. Personnellement, je ne me sens pas menacé par la montée de l'anglais au Québec. J'ai pris deux cours de mandarin et six cours d'allemand, deux langues que j'aime beaucoup, je suis traducteur de l'anglais au français et pendant un bout de temps, j'ai aussi traduit du français à l'anglais, même si ce n'est pas ma langue maternelle. J'essaie d'apprendre un peu de latin et de grec quand j'en ai l'occasion, j'aimerais un jour apprendre un peu d'arabe, explorer le persan, peut-être le japonais, on verra, mais pour l'instant je m'en tiens à la poursuite de mon apprentissage de l'allemand et à ce qu'il ne rouille pas, car c'est cela le plus difficile : conserver une langue qu'on ne pratique pas souvent.

Pour ajouter à ce que je disais sur le fait que je ne me sens pas menacé par la montée de l'anglais au Québec : en suivant ces cours de mandarin et d'allemand, j'ai réalisé que le cerveau ne parlait aucune langue en particulier. Il m'arrive souvent d'écouter un film en anglais ou en allemand et de ne pas savoir si ce qui a été dit était en anglais, en allemand ou en français, et pourtant, j'ai très bien compris le propos. Il se passe la même chose pour mes lectures : quand je me rappelle certaines lectures, c'est assez souvent en «français», peu importe la langue originale du texte, mais je dirais plutôt que c'est une «impression» de français, c'est-à-dire que je comprends en quelque sorte avec mes «tripes», je comprends le noyau du propos, l'idée, la tonalité, le contexte, l'essentiel. C'est un peu comme se laisser emporter par la mélodie un peu triste du erhu, par sa beauté, sa profondeur, et avoir les yeux qui se remplissent d'eau (musique de Yu Hongmei). Je crois que la sensation ou la réception de cette tonalité musicale est universelle.

Je ne me sens donc pas menacé par la montée d'une autre langue, par contre, comme toute personne, je ne tolère pas le mépris dont je pourrais être l'objet de la part de ceux qui se croient les «maîtres du monde». Il n'y pas que les anglophones qui méprisent les Québécois : nous sommes assez souvent méprisés par pratiquement toutes les autres nationalités, et des fois encore davantage par ceux qui viennent habiter ici même, au Québec. Tout le monde a ses petites raisons mesquines de nous mépriser et de nous détester. Mais encore là, rien de nouveau : toutes les nationalités à travers le monde se détestent l'une l'autre, de près ou de loin. Si j'étais Japonais, je devrais détester les Chinois; si j'étais Africain, je devrais mépriser les Haïtiens; si j'étais Arabe, je devrais détester les Juifs, et si j'étais Hutu, je devrais haïr à mort les Tutsis, etc., c'est sans fin... Il n'y a aucune solution à cette haine, sauf de se terminer en bain de sang et en génocide...

C'est ce que nous faisons : nous tuons les gens, plus précisément, nous nous entretuons. Tous les systèmes de destruction massive sont pointés l'un l'autre vers les continents et les nations détestés. Je ne suis pas capable de soutenir cette laideur du monde plus longtemps, et c'est pourquoi je me tourne vers le «spirituel», et non pas la «religion». Le spirituel est universel, et si vous écoutez cette «mélodie», vous saurez que la politique juste et équitable est importante, mais qu'elle n'est encore rien sans l'apport d'une pensée englobante, universelle, respectueuse, véridique et libératrice.

Je suis tombé sur cette parole de Sri Aurobindo cité par Satprem tard hier soir, et dès la fin de ma lecture, je me suis rappelé à moi-même : «D'une façon répétée, Sri Aurobindo dit : "Sois simple". Et je sais ce qu'il veut dire : ne pas laisser entrer cette pensée qui réglemente, organise, ordonne, juge - il ne veut pas de cela. Ce qu'il appelle simple, c'est une spontanéité joyeuse : dans l'action, dans l'expression, dans le mouvement, dans la vie.» Le mental des cellules, Satprem, p.28

Aucun commentaire:

Publier un commentaire