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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

jeudi 17 juin 2010

Action / Réaction

Je marchais dans Outremont, j'étais rendu assez loin dans ma longue marche et je devais être revenu chez moi pur 20h, alors j'ai vu un gars qui s'en venait vers moi avec une montre, je lui ai demandé :

-S'cusez-moi, est-ce que vous avez l'heure?

-Sorry, what?

-L'heure. Est-ce que tu as l'heure?

-Sorry, I don't under... (les anglos sont pas vites des fois)

Je touche mon poignet pour lui signifier sa montre. Une étincelle illumine ses yeux : il comprend enfin!

-Ah, it's 10 to 6.

-Merci.

Deux secondes après, il se retourne et me lance avec un air de stupéfaction, mais moi je pense plutôt qu'il voulait faire son fendant alors qu'il se trouvait à être un peu plus éloigné de moi, il fallait qu'il m'en place une, mais je suis pas con, je les connais ces anglos méprisants de l'ouest envers les francophones :

-It's hard to get you know the soft "h" at the beginning...

Avant même que j'arrive à comprendre distinctement son propos, je me doutais que ce devait être coulant de bave... Ça tombait mal pour lui, j'étais en forme, crinqué par le soleil et d'attaque. Je lui ai répondu sans même m'en rendre compte en anglais :

-What? que je lui ai dit.

Il me regarde et je vois en un éclair qu'il se rend compte qu'il vient de se faire pogner à me mépriser : sa face se tord parce qu'il voit que je parle et comprends l'anglais parfaitement. Il a fait :

-Ahhheuueueh... (yes, your ship is going down...)

Et voici ma réplique «coup de poing dans face» :

-FUCK YOU MAN! Do you get that?

Il s'est retourné et a continué son chemin. Moi aussi d'ailleurs. Je n'en revenais pas que je venais d'agir de la sorte, mais c'était plus fort que moi. Je suis tellement écoeuré de me faire mépriser par ces gens que je n'ai plus de patience, je deviens agressif quand je vois qu'on me manque le moindrement de considération, chose dont le plus souvent eux font grand cas.

Oui je parle anglais si vous voulez le savoir, et très bien à part de ça. Je suis traducteur et j'ai eu une blonde anglophone qui n'arrivait pas à parler le français pendant 6 ans, même si ça faisait un bon 10 ans qu'elle vivait ici à Montréal. Quand je passais des tests pour une embauche, je réussissais toujours mieux dans les tests d'anglais, alors oui, je suis très bien assimilé. Mais puisque j'ai fait un effort moi pour apprendre l'anglais, parce qu'il a fallu que je l'apprenne quand même, au début moi et ma blonde, on se parlait presque en langage des signes, j'aimerais que ceux qui ne parlent qu'anglais à Montréal, ou «feignent» le plus souvent de ne parler qu'anglais, fassent un effort d'apprentissage, ou, au moins, de considération envers les francophones, et plus particulièrement les Québécois, car il arrive aussi aux Français d'être méprisants envers nous et de tendre à une certaine anglophilie, même en France, où l'anglicisation quotidienne du français parlé fait "in". Conséquence : quand on arrive en France et qu'on se force pour bien parler le français, on se fait ridiculiser, parce que les Français parlent plus anglais que nous!

Je crois que refuser d'apprendre la langue des gens de l'endroit où on habite en dit déjà beaucoup sur l'estime qu'on porte à ces gens. Personnellement, je ne méprise personne ni aucune autre langue, je suis ouvert à tout et à tous, d'où que vous veniez, peu importe la langue que vous parlez. Cependant, quand on me méprise ouvertement ou de façon plus contournée parce que je suis un Québécois francophone, ça, ça m'écoeure au plus haut point et c'est carrément du racisme. Je sais que les anglophones de l'ouest se sentent souvent confortables à nous témoigner peu de considération, et je sais aussi que cela fait partie de leurs préjugés généraux à notre endroit de penser que nous sommes trop mous pour réagir et qu'étant habitués à nous faire piler dessus nous avons une piètre estime de nous-mêmes et nous ne ferons, finalement, rien. Notre réaction habituelle en est plutôt une, en effet, de conciliation, de compréhension et d'ouverture à l'autre...

Mais pourquoi est-ce toujours à nous de s'ouvrir et jamais aux autres? Est-ce que c'est parce que nous nous sommes fait défoncer le trou du cul en 1759 sur les Plaines d'Abraham et que depuis ce temps-là, il est slaque?

Il serait temps qu'un jour nous formions un peuple à part entière et soyons aussi fiers de nous-mêmes à part entière, au lieu de toujours rester assis entre deux chaises comme nous le faisons depuis trop longtemps. Cet état des choses rend les Québécois malades, en tout cas, moi ça me rend malade depuis longtemps. Je dois-tu parler anglais? Je dois-tu parler français? Mais je parle déjà français! Le Français rit de moi : «non, ce n'est pas de cette façon qu'il faut dire ceci ou cela...» Finalement, je parle franglais. On se fait dire comment parler par tout le monde et on se laisse faire. J'essaie de traduire des textes au français, mon français maternel câlisse! : je me rends compte que je ne parle pas français, en tout cas, pas celui de France... Mais qui a dit qu'on devait parler ce français-là! Finalement, on n'a notre place nulle part nous autres : on ne parle ni très bien anglais, ni très bien français et on fait rire de nous autres par tout le monde : par ceux qui nous ont laissés tomber, et par ceux qui nous ont envahis. C'est ça le Québec : un déchirement perpétuel de la conscience et de notre identité. C'est ce qu'on vit nous, ici, quotidiennement, et depuis la naissance.

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