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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 25 décembre 2009

Réflexions éparses 2

1. Je n'avais pas vu ma mère depuis plus d'une année, et ne voulant pas avoir à fêter Noël deux fois, je l'ai invitée à passer le réveillon dans ma belle-famille. Je ne voulais pas vraiment la voir, mais je me sentais davantage capable depuis quelques jours de pouvoir l'endurer pendant quelques heures. Il me semblait que j'avais plus d'énergie, et puis quand même, que je me suis dit, à la date où on était rendu, il fallait bien que je prenne une décision. Alors que j'avais dit «non» pendant deux mois à l'éventualité de la voir à Noël, j'avais maintenant cédé aux bons sentiments; je me sentais un peu coupable de la délaisser, elle, qui est tellement une experte dans l'art de nous faire tous sentir coupables, mais la chose, c'est que contrairement à ce que je pensais, elle était loin d'être seule finalement, et je dirais même plutôt, qu'elle était en très bonne compagnie depuis quelques semaines avec sa nouvelle rencontre. Je dis que je me sentais coupable de la délaisser, mais ce serait peut-être plutôt que j'avais peur de me sentir coupable de l'avoir délaissée, enfin, je ne connaissais pas vraiment sa situation puisque je ne prenais jamais de nouvelles d'elle, et elle non plus d'ailleurs sous prétexte d'avoir peur de me déranger. Je perds en effet souvent patience avec ma mère lorsque je lui parle au téléphone, et le seul fait de lui avoir parlé ou d'avoir pensé à elle une seule fois dans la journée me met souvent dans tous mes états. Bref, elle dépose son manteau de vison à 10 000$ sur mon lit, qu'elle s'est acheté d'ailleurs à l'époque où je croupissais dans les rues à me prostituer pour essayer de m'en sortir, je lui montre mon appartement, la nouvelle peinture, les nouveaux meubles, le nouvel arrangement, et, par-dessus tout, je lui montre ce dont je suis le plus fier : ma bibliothèque. Alors je lui présente mes livres, mes belles découvertes, tout heureux et excité, mais, elle ne regarde pas mes livres, ben non, elle focalise sur la bibliothèque comme telle... Elle focalise sur le «bien», pas ce qu'il y a dedans. Elle remarque : «Ah, ce sont de nouvelles bibliothèques, elles sont belles, etc.», et la voilà qu'elle les touche, comme fascinée, tâte leur texture, mais elle ne remarque aucun livre, aucun auteur, rien... à part le bois des bibliothèques. Pour elle, à la rigueur, j'aurais pu mettre des bibelots dans celles-ci ou d'autres gugusses, ça n'avait aucune importance, absolument aucune, puisque ce qui était important, câlisse, c'était d'avoir une bibliothèque comme telle. Le reste, ce qu'on mettait dedans, venait comme par surcroît. Lorsque je me suis retrouvé, pour la x ième fois, face au fait de son manque d'intérêt total pour la littérature, la philosophie, ou tout ce qui touche à l'esprit et à la pensée en général, j'ai reclassé ce que j'avais sorti, je me suis détourné en prétextant vouloir terminer un morceau que j'étais en train de composer sur mon ordinateur, et l'«interaction» s'est terminée précisément ... Je me suis planté devant mon ordi, et elle s'est senti une pente naturelle pour la cuisine, où elle est allée s'installer pour écouter la météo, sujet tellement vital et préoccupant. Je tardais un peu devant l'ordi, alors que je devais aller me laver et m'habiller pour qu'on se rende dans ma belle-famille. Je calais mes bières, de la bonne Guinness bien froide, et je sentais déjà le mur peser entre moi et ma mère : aucune communication «intelligente» n'était possible. C'était un mur d'incompréhension totale, de différences tellement grandes dans la manière de sentir ou de ressentir les choses, dans les valeurs, dans la vision du monde, de la vie, dans les attitudes, les comportements, etc. Ça me rendait triste, comme par vagues soudaines, mais je me concentrais sur mon morceau, je m'efforçais de ne pas me laisser aller à la mollesse, car j'avais, après tout, derrière ce «masque» de chien piteux, une des mères castratrices les plus impitoyables. C'était comme une toile qu'elle tissait, et tous ceux qui s'en approchaient trop se retrouvaient pris dedans. Une fois pris au piège dans la toile, elle exerçait, avec une main de fer, un contrôle total, tout en injectant à petite dose, mais avec une régularité implacable, son venin d'angoisse et d'anxiété inhibante, et pour tout dire, «castrante». Elle était dans la cuisine, et même à une certaine distance spatiale, son pouvoir «anxiogène» agissait sur moi comme un esprit malin : elle mettait le feu à ma confiance en moi, elle me minait de l'intérieur, elle détruisait, par sa seule présence ou par ses remarques d'apparence anodines, tout ce que je réussissais à accomplir de bon, de beau et d'enrichissant depuis des années. À chaque fois que j'acceptais de la rencontrer, elle me refoutait à la case départ. Lorsque je lui ai annoncé que je faisais ma maîtrise en philosophie, ça lui a fait, en surface, ni chaud ni froid, mais je savais pertinemment que ça dérangeait son subconscient, dans lequel d'ailleurs, tout homme est une cible à abattre, et qu'elle grinçait des dents inconsciemment, impatiente de venir détruire mon assurance, mes certitudes et ma bonne humeur, et saboter mes projets afin, si possible, de me réduire éventuellement à l'état de larve minable, qu'elle pourra tout à son aise et dans la plus grande jouissance, écraser sous ses pieds pour l'éternité. Je savais que je devais faire attention et remonter la garde bien haut, car l'attaque sournoise s'en venait à coup sûr. Je devais mettre mes lunettes de vision nocturne, allumer le radar et surveiller mes arrières en étant prêt à tirer sur l'ennemi au moindre mouvement. Cette grande stratège de l'embuscade m'avait dans sa mire, et peu importe que je sois son fils, j'étais un homme avant tout, et cela suffisait à me rendre coupable de haute trahison. Lorsque je vins dans la cuisine pour me prendre une autre bière, elle m'empoigna par surprise pour m'embrasser et me dire Je t'aime, alors que, derrière cette phrase qui était censée me toucher et à laquelle je répondis par un machinal Je t'aime moi aussi, j'imaginai immédiatement un tank sur lequel était écrit en  lettres de sang «Je t'aime», et prêt à me tirer instamment un obus dans le front, etc.

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