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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

jeudi 15 juillet 2010

Le jouet brisé

Je suis parti marcher dans Outremont, j'ai monté la rue Courcelette, puis tout au bout, j'ai coupé dans le bois pour aller vers le sommet de la montagne. Je pensais me retrouver dans le coin du Lac aux Castors, mais à un moment donné je me suis retrouvé bloqué par une clôture; en la longeant j'ai fini par trouver un trou dans celle-ci, j'ai traversé et me suis retrouvé sur un étroit chemin d'asphalte escarpé. J'ai monté, et monté, puis finalement je suis arrivé à un cimetière : j'étais surpris de voir ça là. En fait, je l'ai su par après quand j'en suis sorti presque une heure plus tard : j'étais dans une partie moins connue du cimetière Côte-des-Neiges ou peut-être que c'est un autre cimetière, je ne sais pas si c'est le même puisqu'il n'est pas du même côté.

Bref, je suis entré dans le cimetière, j'étais seul, il faisait très chaud, je brûlais au soleil et je ne voulais pas trop m'attarder à regarder les tombes, mais je n'ai quand même pas pu m'en empêcher. C'était assez discret et disons, plus intime; je suis allé sur la gauche et j'ai passé devant certaines pierres, j'ai remarqué alors que les lampions de quelques tombes étaient allumés, ça m'a surpris : pourtant, une de ces personnes était morte en 2008. Parmi les décédés, il y avait beaucoup de Grecs et de Chinois : je cherchais avec difficulté les Québécois... Je sentais une certaine rage monter en moi, puis la pensée des lampions encore allumés m'a attendri un peu le coeur.

J'avais manqué sur la gauche, plus bas, une sorte de monument en marbre avec une sculpture : je croyais que c'était un ou des riches qui s'étaient payé le luxe d'un enterrement digne des rois. J'approche de la construction, je suis seul, je suis derrière celle-ci comme caché, j'arrange mon short et je pense à cet instant «ce serait amusant si je pissais sur le monument de ces richards de merde...» Mais je n'ai pas vu de nom à cet endroit, alors je suis descendu et j'ai commencé à remarquer des dalles de marbre dans l'herbe. Je voyais difficilement les inscriptions, mais ça semblait être encore une fois des noms d'étrangers et ça m'intéressait plus ou moins. Au fil des dalles, j'ai commencé à discerner mieux les inscriptions et ça parlait de «notre bébé adoré», etc., j'ai compris en observant plusieurs dalles que j'étais dans une partie réservée aux enfants morts très jeunes. Il y avait même une ou deux dalles où l'enfant en question était mort le jour même de sa naissance. Je regrettais vraiment la pensée passagère que j'avais eu de pisser sur le monument...

Une dalle tout au bout avait attiré mon attention : il y avait des jouets dessus, des petites autos, un canard de bain, des babioles, un petit ballon, un petit ours en peluche. Je les ai tassé un peu de sur la dalle pour voir ce qui y était inscrit : l'enfant était mort à deux ou trois ans en 2008, un jeune garçon; il y avait sa photo encastrée dans la dalle, il s'appelait Mattéo. J'ai senti sur le coup toute la douleur des parents, de la mère surtout : il y avait un jouet un peu plus loin avec un gros bouton dessus, j'ai appuyé sur le bouton, il a joué une petite musique, je crois que c'était du Mozart... Les larmes me sont montées aux yeux, c'était comme si j'étais en train de vivre un drame seul dans ce cimetière d'enfants pour un enfant qui n'était pas le mien. J'ai rappuyé sur le bouton avant de me relever pour quitter, mais ça ne marchait plus. J'ai rappuyé encore et encore, en vain : le jouet avait joué une dernière fois... C'était terminé. Tout était à l'air libre, non protégé des intempéries, mais à quoi bon finalement, quand on y pense : l'enfant était mort, ces jouets n'avaient plus d'importance, en fait, ils étaient là comme pour partir avec lui et l'accompagner dans la mort...

Nous sommes tous dans la même situation, Grecs, Chinois, Québécois, peu importe, les tombes disent toutes la même chose dans toutes les langues, «nous t'aimons, nous te regrettons, repose en paix», etc. Nous sommes tous pareils, nous sommes tous des êtres humains qui aspirent à la liberté et au respect, nous vivons, nous aimons, nous mourrons. Aimons-nous donc les uns les autres par delà nos différences, au lieu de nous détester ou de nous envier stupidement.

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