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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 20 novembre 2015

Nous sommes matérialistes

Lors des derniers événements terroristes, les gens ont eu différentes réactions. Certains se sont enflammés (sans jeu de mots), d'autres ont refusé de haïr.

Quelle réaction est la bonne? Je crois que les deux le sont. Il y aura toujours des gens pour avoir l'une et l'autre réaction.

Le mari d'une des victimes qui était la mère de leur enfant a refusé de haïr. Il a écrit un court texte, mais très beau, où il dit que «chaque balle dans le corps de sa femme est une balle dans le cœur de votre Dieu (Allah)».

Il a refusé de haïr, et il veut que son fils soit élevé dans cette même attitude, car si celui-ci haïssait à son tour, il risquerait de finir comme ces terroristes. C'est peut-être vrai, mais c'est en même temps assez triste de voir qu'il n'y a pas de justice et qu'on reste impuissant devant ce genre de chose. En même temps, qu'est-ce que le père peut vraiment y faire? Il n'est pas soldat. Il ne peut pas partir en guerre contre ces gens. Tout ce qu'il peut faire c'est réagir, et s'il réagit mal, ça peut le détruire. Oui, la haine tue, c'est vrai.

Mais je trouve qu'on a trop mis l'accent sur l'opposition haine/sérénité sage ou refus de haïr.

En refusant de haïr, on revient trop facilement dans sa zone de confort, dans ses petites habitudes. La haine nous fait faire un cheminement, elle nous force à comprendre des choses, parfois par plus de douleur. Je ne dis pas que la haine est bonne, mais qu'elle a aussi ses vertus dialectiques, tant qu'elle ne dure pas trop longtemps.

Ce que je dis, c'est qu'il est bon de haïr son ennemi. C'est la première réaction, et c'est une réaction normale et justifiée. L'«acceptation du destin», elle, n'est pas naturelle. C'est un comportement conditionné. Il va se produire une fois la rage du premier moment passé.

Ce dont j'ai peur, c'est qu'en réagissant tout de go de façon pacifique, nous ayons perdu notre combativité. Oui, la haine détruit, c'est un fait. Mais celui qui se laisse harceler par son harceleur, celui-là aussi est détruit, et c'est aussi un fait.

Donc, l'alternative est entre faire quelque chose (à travers la haine ou la rage) et avoir des chances de s'en sortir, et ne rien faire et être détruit. Le simple amour de soi-même, aussi minimal soit-il, nous impose de faire quelque chose, sinon, nous méritons notre sort, parce que nous ne sommes même pas capables de nous aimer nous-mêmes, et nous savons qu'avant de pouvoir aimer les autres, il faut s'aimer soi-même.

Le comportement violent de l'autre envers nous-mêmes nous pousse donc dans un dilemme. Le dilemme, le voici: si j'agis, je risque de détruire ou de me détruire/ si je n'agis pas, je vais être détruit.

Donc, si on simplifie encore, le dilemme est entre: incertitude/certitude.

Or, qu'est-ce que la majorité des gens choisissent?

La certitude, bien sûr.

Le problème, c'est que c'est la certitude d'être détruit...

Si vous croyez qu'on pouvait se fermer les yeux sur les nazis, même un Bertrand Russell a dû nuancer son pacifisme. Il y a une limite à tendre des joues.

On ne peut pas faire la paix avec tout le monde, tout le temps. Il y a des irréductibles qui ne voient pas la différence entre le bien et le mal, et qui peuvent prendre une vie comme ils prennent leurs clés d'auto.

Ne pas réagir face à son agresseur, et lui dire «non, tu n'auras pas ma haine», c'est pour moi un consentement à l'autodestruction.

Et nous en tant qu'Occidentaux, pour qui «toutes choses ont réussi», nous nous sentons coupables d'être en meilleure situation que d'autres. Cette culpabilité fait que nous avons inconsciemment tendance à l'autodestruction. Or, moi je dis que si les choses nous ont réussi, c'est parce que nous avons travaillé fort pour les avoir. Ce n'est pas uniquement une question de «chance». Détrompez-vous. Notre culpabilité est mal placée, et elle est due seulement à l'ignorance du chemin que nous avons dû parcourir pour être là où nous sommes aujourd'hui.

Nous devons avoir le courage de défendre nos acquis et nos valeurs avec toute la force nécessaire, s'il le faut. Nous devons avoir la force de dire que nous avons accompli des progrès fulgurants au niveau scientifique et social grâce à nos efforts acharnés. Nous méritons entièrement ce que nous avons, même si nous en sommes en partie les héritiers. Mais nous travaillons à poursuivre l'oeuvre, et nous en sommes fiers.

Tout cela fait partie d'une cohérence au niveau collectif et individuel.

Si je contre-attaque face à un agresseur, je montre que j'ai une dignité, que ma vie vaut quelque chose et que je ne me laisserai pas faire, alors pourquoi donc lorsque nous nous faisons agresser collectivement nous dirions «vous n'aurez pas notre haine»? Cela n'est pas cohérent.

Aussi, nous savons très bien qu'une attaque collective, si elle n'est pas stoppée, peut devenir une attaque individuelle. Donc, l'attaque collective doit être considérée d'avance comme une attaque individuelle. C'est véritablement chacun de nous qui est visé, en tant qu'ensemble.

Nos démocraties tiennent le coup. Mais certains Occidentaux voudraient la voir tomber, on ne sait pour quelle raison, et eux non plus ne savent pas exactement pourquoi.

Je ne dis pas que nous vivons dans le meilleur des mondes, ni que nous vivons, à coup sûr, dans le moins pire. Mais douter de certains faits et voir des complots partout au nom de l'argent, c'est autre chose.

Je ne crois pas que l'argent soit maître en ce monde.

Déjà Machiavel disait dans son «Discours sur la première décade de Tite-Live» que «le nerf de la guerre, ce n'est pas l'argent», comme tout le monde aime à le penser et le répète sans réfléchir, mais que «c'est les hommes».

C'est les bons hommes qu'il nous faut pour gagner une guerre, l'argent est de seconde valeur. Et il me semble que c'est le bon sens même. On ne peut pas gagner une guerre juste avec de l'argent et des mercenaires.

C'est la raison pour laquelle je crois que l'argent ne peut gagner en toutes circonstances. Dans notre cas, nous avons l'argent, mais nous perdons notre sentiment de légitimité, donc nous perdons nos hommes.

D'un autre côté, nous croyons que l'argent peut tout vaincre par lui-même et nous crions «à bas le capitalisme!».

Dans les deux cas, nous sommes matérialistes, que nous croyions ou ne croyions pas à la valeur de l'argent.

Le fond reste le même.

Le Veau d'or est vraiment rendu notre Dieu à nous, les Occidentaux.

Toute notre pensée et notre langage sont centrés sur l'économisme (Edgar Morin).

Nous n'avons jamais été aussi loin de l'esprit...

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