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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 16 novembre 2009

Le chez-soi

Je pense toujours, et je regarde la télévision, regard rêveur, une bouchée, j'imagine la neige qui descend doucement dans le ciel sombre, un feu de foyer, ou encore un coin bien à moi, où je me sens absolument bien, un café à la main, la tempête qui rage, etc. À ce moment, tout se décide, des destinées prennent corps... mais ça ne dure qu'un instant. Ce chez-soi artificiel est vu de l'extérieur, comme dans un film, c'est le chez-soi des autres, le confort des autres. Je pense et je me dis toujours Je n'ai jamais eu de chez moi. J'en rêve depuis toujours, et vais probablement toujours ne pouvoir seulement qu'y rêver sans jamais pouvoir l'atteindre. La réalité c'est que je suis seul, et qu'il n'y a jamais qu'une fausse quiétude, le temps d'un battement de cils. C'est ce que je me répète toujours, Où est ce lieu? Existe-t-il? Apparemment non. Je l'ai rêvé, j'ai tout rêvé, comme le reste d'ailleurs. J'ai toujours été rêveur, depuis ma tendre enfance en fait. J'avais des projets grandioses, puis, arrivé à l'âge adulte, le monde que je regardais de l'extérieur plein d'espoir a changé de forme, il est devenu ennuyant, difficile, sérieux, souffrant, sans dimensions, sans envergure. Il ne s'agissait que de faire de l'argent et survivre. Il n'était plus question de projets quelconques à part survivre et trimer dur, pour presque rien, alors qu'une classe privilégiée s'en mettait plein les poches et avait droit à tout, même de m'écraser s'il le fallait. D'étudiant brillant promis à un grand avenir, j'étais dorénavant condamné, faute d'argent, à devenir un misérable orang-outang plat et insignifiant croupissant dans une binerie ou au fond d'une usine de travail à la chaîne sans fenêtres. Il m'arrivait souvent de penser Ce sont des criminels. Ces gens sont des criminels... En effet, de faire ça à leurs semblables, c'est inconcevable, c'est injuste. Mais qu'entend-on au juste par «semblables»? Y a-t-il même jamais eu quelque chose de tel qu'un «semblable»? Et la justice encore? De quel genre de «justice» pouvons-nous parler après le déroulement de l'histoire qui n'est au bout du compte que le déroulement de tous les massacres les plus ignobles faits par les êtres les plus abjects sur tous ceux qui n'ont pu résister, ou n'en avaient pas la force, la volonté, ou tout simplement par trop grande bonté ou naïveté? Ou encore, par l'espoir que l'«amour» serait plus fort que tout, même plus fort que la mort... Mais ce ne sera toujours que déception sur déception en ce qui concerne le triomphe des soi-disant «justes». La loi du retour? Les plus grands criminels sont souvent ceux qui vivent les plus vieux. Cherchez la justice. Cherchez la justice, me répétai-je intérieurement. Il n'y a pas de Ciel. Il n'y a pas de Dieu. Il n'y a pas d'âme, pas de chez-soi, pas de pérennité, pas de réconfort. Il n'y a que le travail, les murs de béton et l'acier froid des barreaux de cette cage qu'on appelle la «vie». La vie dans les strictes limites du pensable, du concevable. En tout et pour tout, notre existence n'est pas plus désirable que celle des pauvres hères prisonniers aux camps de travaux forcés de la Corée du Nord. Mais la comparaison nous fait croire le contraire... C'est seulement à ce prix que nous pouvons arriver à croire que nous sommes heureux et que notre situation est enviable. Nous nous couchons satisfaits plus que jamais de nous-mêmes, et pendant notre sommeil nous laissons les politiciens et les industriels se serrer la main, et tout détruire sans merci.

Sans fin...

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