Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 7 septembre 2011

La nature du fantasme..

Je passais à l'Échange cette semaine et j'ai vu un beau grand livre de 600 pages environ, c'était L'interprétation des rêves de Freud..

J'avais envie de le prendre, mais en même temps, j'ai toujours été réticent à lire les thèses de ce psychologue que je trouvais critiquable et dépassé.. Aussi, les rêves sont pour moi quelque chose d'habituellement tellement futiles, que c'est comme du vent.. Autant dire qu'ils ne représentent rien à mes yeux, et il est rare que je rêve vraiment ou que je sois étonné par mes rêves..

Cependant, le thème m'intéressait en tant qu'«image» entraînant une «pulsion».. Bien entendu, le rêve est différent.. mais lorsque vous vous surprenez à «fantasmer», par exemple, cela peut se rapprocher beaucoup d'un genre de «rêve» éveillé..

En ce sens, ma question est: «pourquoi rêvons-nous?» ou plutôt, plus précisément: «pourquoi fantasmons-nous?»

En général, nous ne sommes pas conscients de l'inusité de nos fantasmes.. Pourquoi donc? -Parce que ce sont des fantasmes qui rentrent dans la «normalité».. autrement dit: ce sont des fantasmes dits «normaux», parce que beaucoup de gens les ont, tout simplement..

Qu'est-ce que j'entends par l'inusité d'un fantasme pourtant «normal»? Le fait que nous n'en sommes pas la source.. Autrement dit, nous n'avons pas le contrôle direct, semble-t-il, sur les produits de notre imagination fantasmatique.. Il est donc étranger à nous, au psychisme conscient, ou parfois même, à notre «identité» (de façade?)..

Par exemple, si je fantasme habituellement sur les femmes, je ne peux pas tout d'un coup fantasmer sur les hommes si je suis hétérosexuel.. Je peux changer l'allure des femmes, les contextes dans mon fantasme, mais pas le genre.. Toutefois, je peux toujours imaginer avoir une relation avec une personne du sexe masculin dans mon fantasme, mais à ce moment-là, l'excitation disparaîtra totalement et il y aura plutôt dégoût et répulsion.. Voilà: c'est la réaction habituelle qu'une personne hétérosexuelle aura en s'amusant à imaginer ce genre de chose..

Le problème qui se pose maintenant est de savoir si cette réaction peut être dite «normale».. Puisque si je suis homosexuel, le fantasme d'une relation sexuelle avec une personne du même sexe que moi produira plutôt une attraction en moi, une excitation, et pourra être dit alors tout autant «normal» que celui de l'hétérosexuel qui s'imagine avec une femme..

En ce sens, la «normalité» exige peut-être une autre définition..

Le domaine du fantasme est tellement vaste lorsqu'on se met à l'explorer, qu'on pourrait le résumer en disant que c'est tout ce qui produit une excitation sexuelle, ou une attraction forte, irrésistible, presque une compulsion..

En fait, l'envie pour un hétérosexuel de faire l'amour avec une femme est aussi irrésistible que pour un homosexuel de faire l'amour avec un homme..

Aujourd'hui on trouve inconcevable, même s'il y en aura toujours pour s'y essayer encore, d'essayer de convertir un homosexuel en hétérosexuel en lui présentant des femmes libres, par exemple, et en lui faisant la morale..

J'ai connu comme ça un fervent catholique qui se sentait tellement coupable d'avoir sucé des queues dans le parc que c'en devenait morbide.. Et moi qui le croyais depuis toujours hétérosexuel!! Je lui ai dit tout simplement qu'il devait plutôt essayer d'accepter sa sexualité.. Mais il ne semblait pas comprendre que l'homme n'a pas le contrôle sur ce qui se passe dans son psychisme.. et que ses fantasmes alors, ne pouvait relever du «contrôlable», c'est-à-dire de sa «volonté».. Et il continuait à se sentir mal..

Si un hétérosexuel ou un homosexuel se mettait du jour au lendemain à avoir des fantasmes d'une nature tout à fait différente, il se demanderait peut-être s'il n'est pas devenu fou.. En ce sens, la détermination du fantasme, sa «stabilité», participe de l'équilibre psychique et mental.. Le déséquilibre fantasmatique pourrait par conséquent entraîner des troubles graves de la personnalité, de l'agressivité, de la violence, de l'incompréhension, etc..

Ce qui par contre devient plus étrange, ce sont les fantasmes à caractère «fétichistes».. Lorsqu'une personne s’aperçoit habituellement qu'elle a un fantasme particulier sur une partie du corps plus précise ou un objet relié au corps, comme un soulier, une culotte ou une brassière, elle ne trouve pas cela bizarre ou étrange: elle se contente de l'imaginer complaisamment et d'en retirer une certaine excitation..

Mais pourquoi la Nature permet-elle d'être excité par autre chose que les spasmes de l'accouplement? Le fantasme du scatophile, par exemple, ne mène pas nécessairement, en bout de ligne, à l'accouplement, à la procréation.. Où se trouve donc l'«utilité», s'il y en a une?

Nous voyons donc ici que la «raison» du fantasme est tout autre que la raison supposée de la Nature qui serait, en principe, la procréation..

Dans l'économie de la Nature, la constante est que les êtres humains sont attirés les uns vers les autres, et que le résultat est parfois la procréation, et parfois, le simple plaisir, aussi pervers puisse-t-il être.. et je pense ici à ceux et celles qui retirent un plaisir de la souffrance des autres (sadiques), ou même, de leur propre souffrance (masochistes)..

Le ou la masochiste est toujours bien couplé(e) avec un ou une sadique.. Par conséquent, le fantasme du voyeur s'accorde bien avec le fantasme de l'exhibitionniste.. Aussi celui ou celle qui adore lécher les pieds et les sentir, sera bien avec une personne qui aime particulièrement se faire caresser cette partie du corps et s'emploie à en toujours bien entretenir la beauté..

Mais la personne qui a ce fantasme particulier sera plus encline à se demander pourquoi possède-t-elle cette «pulsion», puisqu'elle sort de l’«ordinaire», de la normalité et qu'elle n'est pas acceptable socialement de façon générale.. Le modèle le plus acceptable socialement, et peut-être le plus «valorisé», le plus «estimé», c'est celui du couple hétérosexuel qui fait des enfants.. Tout ce qui se situe en dehors de ce modèle rigide touche, au niveau social, à l'«hérésie»..

S'il y a une sexualité dite «normale», c'est bien celle-là..

Cependant, si je pense aux rapports entre l'éraste et l'éromène chez les Grecs, je me demande bien ce qu'il faut en penser.. Socrate lui-même aimait les jeunes garçons.. il convoitait le beau Alcibiade, comme plusieurs d'ailleurs.. Comment se faisait-il que les Grecs acceptaient ce genre de rapports érotiques, alors qu'ils participent pour nous du «tabou» et sont inacceptables, et même, criminalisés..

Personnellement, je désapprouve ce genre de rapports, et je comprends très bien la rage de ceux qui s'en sont retrouvés victimes.. Ce que je me demande par contre, c'est comment le rapport en question peut-il passer pour «acceptable», entres autres, chez les Grecs, ou dans cette ancienne(?) tribu dont parlait un anthropologue et dont je ne décrirai pas le rituel..

La question n'est pas facile à résoudre, et elle participe peut-être même pour nous de l'énigme.. sauf si nous nous penchons sur la conception que nous avons de l'«enfant»..

Il faudrait se demander si les Grecs ne traitaient pas déjà l'enfant en «adulte», plutôt que comme un simple «enfant» qui n'en finit plus d'être enfant, comme aujourd'hui..

On sait par les pays moins favorisés que les enfants travaillent très tôt, et qu'ils se mettent très tôt aussi en penser en adultes.. Par conséquent, les enfants des pays moins favorisés sont souvent, par la situation économique, beaucoup plus matures que les enfants des pays favorisés qui ne connaissent comparativement le marché du travail qu'à un âge relativement avancé.. Nous estimons, la plupart du temps, que ces enfants forcés de travailler plus tôt, n'ont pas d'«enfance», et qu'on leur a pour ainsi dire «volé leur enfance», et nous avons pitié d'eux, avec raison.. Il ne faudrait pas oublier par contre que cette situation de travail précoce était, la plupart du temps, la condition habituelle dans les époques antérieures..

Ainsi, l'âge «adulte» ou de «majorité», a changé selon les époques et les pays.. Parfois ce fut 12 ans (Inde), 13 ans (Espagne), 14 ans (Chine), 16 ans (Canada), et aux États-Unis, le pays le plus avancé technologiquement, je crois que c'est aujourd'hui 18 ans..

Dans ces conditions, il est possible de comprendre la possibilité de l'«acceptabilité» des fantasmes des hommes ou femmes pour des personnes plus «jeunes», comme dans la Grèce antique..

Maintenant, ce qui reste à se demander, concerne ce qu'on pourrait appeler les «désordres pulsionnels graves», par exemple, les fantasmes à caractère sadique conduisant au meurtre, ou les abus sur des enfants, conduisant aussi souvent au meurtre..

Comment ces désordres pulsionnels psychopathologiques sont-ils possibles?

Sont-ils induits (ici je pense à Hitler qui voulait modeler les pulsions), causés par la volonté même de la personne, ou innés, c'est-à-dire «génétiques»?

Nous sommes tous unanimes pour condamner la volonté «mauvaise» d'une personne lorsque ce genre d'événement se produit, mais les agresseurs, qu'ils soient hommes ou femmes, confessent souvent qu'ils avaient des «fantasmes», c'est-à-dire qu'ils s'imaginaient des «scènes», une série d'images conduisant au résultat funeste.. Ces «scènes» s'imposaient à eux, tout comme les scènes érotiques avec une femme pourraient s'imposer à un hétérosexuel dans un moment «chaud», et nous appellerions cela habituellement, tout simplement, un «fantasme» sans aucune malignité..

La question à se poser qui est plus importante et plus urgente, puisque nous avons posé par principe que le fantasme n'est pas soumis au contrôle de la volonté du sujet, est: «est-ce que les «désordres pulsionnels graves» peuvent alors être «induits»?»

Il faut prendre conscience de l'enjeu de cette question qui est risquée et peut entraîner des glissements.. Par exemple: si je lis Les 120 journées de Sodome de Sade et que je commence à avoir des fantasmes qui correspondent à ce qui est décrit dans le livre, est-ce que je dois considérer que je commence à avoir des «troubles mentaux» et le signaler aux autorités compétentes?

La réponse, bien entendue, relève de votre jugement, et de la délimitation établie entre la fiction ou l'«art» et la réalité.. On sait que l'art peut aller loin des fois.. Il n'y a qu'à penser au film Irréversible avec sa scène de viol d'une violence inouïe jouée par Monica Bellucci.. À moins que ces fantasmes s'imposent à vous avec une force irrésistible et vous poussent à vraiment commettre des gestes répréhensibles..

Ce que je veux dire, c'est qu'il faut tenir compte de la notion d’«équilibre mental».. L'équilibre mental est un peu comme l'équilibre nutritif: il n'est pas tout composé de bonnes choses.. De même, l'équilibre économique est composé de forces qui «exploitent», qui sont souvent vues comme blâmables ou difficiles à justifier, et d'autres qui sont «exploitées», les bons travailleurs.. Freud parlerait peut-être d'équilibre entre Éros et Thanatos: un équilibre entre la «pulsion de vie» et la «pulsion de mort»..

Si nous nous mettons à abolir ou censurer des œuvres comme celles du Marquis de Sade, il n'y aura plus de limites à ce que nous procédions avec le reste, c'est-à-dire: le cinéma, la télévision (s'il fallait écouter le philosophe Bernard Stiegler), la musique, l'art en général et la littérature.. Nous glisserions alors dans une sorte de totalitarisme culturel.. Mais l’œuvre du Marquis de Sade n'est pas pour autant justifiée, et encore moins louable.. Loin de là..

Ce que j'aimerais dire, c'est que nous n'avons pas nécessairement le contrôle sur ce qui nous passe par la tête, mais que c'est clairement l'excès qui mène à la «pathologie».. Et cela peut être autant un excès «bon» que «mauvais».. Par exemple, si j'aime une personne à la folie, mais que celle-ci ne m'aime pas en retour, cela pourrait devenir une obsession malsaine qui détruit mon existence.. Cependant, si les désordres pulsionnels graves sont causés par les «gènes», c'est-à-dire qu'ils sont inscrits dans la personne à la naissance même, tout ce que j'ai dit précédemment n'est plus valable.. Il resterait encore à se demander pourquoi la Nature produit-elle de tels monstres.. Ne serait-ce pas une «injustice» fondamentale?

Bref, la norme sociale nous pousse à épouser l'idée d'une uniformité psychique et à l'afficher ouvertement d'autant plus qu'elle est inconsciemment hypocrite, mais ce que celle-ci cache, ce sont les zones d'ombres créées par elle-même: notre mental collectif est en réalité loin d'être «normal», comme nous aimerions l'imaginer lorsque nous remplissons les petites cases de Facebook et nous pliions aux grilles imposées à notre mental et à notre «identité», en réalité, entièrement «de série» dès le départ..

Nous sursautons à la mention de «totalitarisme culturel», mais le «totalitarisme psychique», recherché par l’industrie pharmaceutique et les médias sociaux, nous laisse indifférents, puisque nous ne l'apercevons pas en raison de notre suffisance technologique, culturelle, etc.. Notre croyance fondamentale est que nous sommes les «meilleurs», et nous voulons que tout le monde pense comme nous.. Les médias nous confirment dans notre idée et notre attitude condescendante à tout instant envers ceux qui ont «moins» matériellement et qui ne vivent pas dans le «confort»..

Le but de tout cela ne peut être qu'une lutte pour le pouvoir en briguant l'imagination, ou le pouvoir imaginatif, ou le fantasme, en vue de la «pensée unique».. Il reste que l'entreprise est difficile, mais toujours vouée à l'échec dans ses conséquences indirectement fatales.. Ce serait comme de vouloir tuer tous les germes: nous finirions par nous tuer nous-mêmes à force de vouloir sauver tout le monde.. Ce qui est assez tragi-comique au fond.. Comme ces généticiens qui ont cloné la vache «parfaite», mais qui est aussi, par conséquent, indistinctement vulnérable à une forme de bactérie pouvant entraîner l'extinction complète de la race..

La volonté d'«unité», de «pureté» même et de «perfection», derrière sa beauté et son «plein de sens» apparent, n'est en réalité qu'une «volonté de pouvoir», autrement dit, une «volonté de puissance» déplacée (Wille zur Macht) dans un univers administratif implacable, et ici, on pourrait commencer à parler de Nietzsche et du livre de Marcuse, L'homme unidimensionnel, qui date un peu d'après Honneth et Habermas, mais je réserverai ce sujet pour une autre fois..

Aucun commentaire:

Publier un commentaire