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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 12 juillet 2011

18. Le folklore anarchiste n'est qu'un label de contestation qui prend vie en lui-même avec des riffs de guitare..

Je me sens des fois un peu trop vieux pour un paquet de choses.. entre autres, pour la passion.. Pourtant, je n'ai même pas encore 40 ans, mais je n'ai pas envie de m'embarquer dans rien avec «passion»..

Je ne parle pas ici de passion «amoureuse».. ça, n'importe quel homme en est toujours capable.. même sur son lit de mort..

Je parle plutôt de «conviction», ou encore, d'«enthousiasme» sans frein, sans limites, et d'«admiration».. Mon admiration a des bornes assez étroites.. Je ne suis pas fort sur l'acclamation ni les mouvements d'enthousiasme de la foule, ni les applaudissements à tout rompre, qui me cassent les oreilles.. Je trouve toujours cela suspect et je m'éloigne..

Durant mon adolescence, je me suis rendu compte que je ne fonctionnais pas bien dans une foule, mixé parmi les gens: je me sens aliéné, je ne me sens plus moi-même, et je me sens comme pas «en phase».. Dès que j'ai besoin de crier pour qu'on m'entende quand je parle avec les autres, puisqu'on se retrouve enterrés par les grosses voix des plus imbéciles, on dirait que je perds mon individualité pour devenir un numéro, une pièce de bétail.. Je deviens trop conscient de moi-même dans ces moments-là, de ma solitude réelle, de la vie, de l'inachèvement, de l'ennui, de la mort..

Il y a des choses que j'aimerais dire, mais puisque ces choses relèvent de la pensée et de la réflexion, seul le silence pourrait me permettre de m'exprimer et d'être compris.. On ne peut exprimer des choses subtiles en criant et en répétant tout le temps, c'est impossible.. Résultat: je sors d'un restaurant bondé complètement abruti, ennuyé, fatigué et incapable de penser ni de parler .. D'ailleurs, je trouve toujours une raison pour foutre le camp avant que cela ne se produise..

Pour revenir à l'«enthousiasme», eh bien, j'écoutais l'autre jour le vidéo de Arch Enemy «Yesterday is Dead and Gone», et sur le coup, je dois avouer que je trouvais cela «enlevant».. Ça avait presque failli susciter en moi une certaine passion, ou sentiment, qu'on appelle «indignation» ou «rage» ou whatever.. Mais plus j'écoutais et réécoutais le vidéo, plus j'étais conscient de l'aspect «artistique» de la chose.. ou fake, pour tout dire.. Je disséquais à full pin..

Je réalisais que cette forme d'expression «death metal», qu'on appelle ça du gueulage ou du chant guttural, ne permet pas d'exprimer autre chose que de la haine, c'est évident.. On ne dit pas «je t'aime» en gueulant, on dit plutôt «vous autres mes côlisses, on va vous en sacrer une!..» Et c'est d'ailleurs ce que le vidéo reflète, en parfaite cohérence avec le médium d'expression.. Sauf que, si on demandait à chacun des membres du groupe de justifier leur position, je ne suis pas sûr qu'aucun d'entre eux pourra répondre de façon cohérente et se justifier de façon rationnelle de ce dont ils font la promotion: une opposition vague à l'État.. (C'est un peu comme les groupes qui proclament que «Dieu n'existe pas» en émettant des grognements diaboliques et en exhibant le 666, mais si, de façon cohérente, Dieu n'existe pas, alors le Diable n'existe pas non plus, et ils se retrouvent injustifiés de gueuler et de revêtir leurs habits de mort et de mal.. tout cela n'est que mascarade incohérente..)

Cette opposition vague à l'État prend la forme de l'anarchisme avec le symbole que tous connaissent, un grand A entouré d'un cercle.. apparemment un symbole d'origine maçonnique.. Le symbole est affiché autant de fois que possible et devient en quelque sorte un label de contestation que n'importe qui peut s'épingler pour devenir instantanément un «rebelle» en uniforme.. Ensuite vient l'habillement: tous doivent être habillés en noir de préférence, comme dans une cérémonie funéraire.. Pourquoi «en noir» précisément? Qui sait?

Toutes ces choses sont des symboles ou des habitudes qui perdent toute signification réelle avec le temps, se décrochent de leur référent et deviennent de purs objets artistiques, ainsi que les conduites.. Cela forme une sorte de folklore anarchiste qui prend vie en lui-même avec des riffs de guitare sans renvoyer à aucun référent concret dans la réalité, alors que tous les participants, les «enthousiastes», souvent dans la vingtaine, croient le contraire et se polarisent sur une idée fixe..

C'est un peu comme s'ostiner sur la couleur rouge de l'habit du Père Noël et dire que ce n'était pas sa couleur originalement, mais le problème, c'est que le Père Noël tel qu'on le connait dans son image est une invention de Coca-Cola.. Il n'a donc aucun référent dans la réalité, et surtout pas le Christ ou quoi que ce soit de chrétien, c'est un personnage païen et bien moderne, promoteur du consumérisme..

Si on ôte le symbole anarchiste à ces groupes, les habits en noirs, le look de mort, la haine affectée, l'indignation injustifiée, etc., il ne leur reste plus grand-chose pour gueuler et faire des beaux solos.. En fait, plus leur position est incohérente et vague, plus elle prend une forme artistique au-delà de toute parole et de toute expression claire et précise, et plus elle ne peut prendre que cette forme.. car elle se détruit elle-même autrement.. C'est comme essayer d'expliquer clairement à la personne aimée pourquoi on l'aime avec des raisons.. Ainsi, les promoteurs artistiques de l'indignation ne peuvent que dire de façon absurde «On vous haït ma gang de côlisses!..», mais ne peuvent dire pourquoi..

La conséquence est que ceux qui adoptent ces positions finissent par tomber dans l'émotion pure d'indignation sans cible précise autre que l'ordre établi et l'autorité de façon diffuse.. Ils ne s'interrogent jamais sur le fait qu'une forme de coercition est nécessaire pour maintenir l'ordre et la paix, et que ces choses ne se font pas toutes seules, puisque l'homme n'est pas «bon» par nature.. Les gens qui adoptent comme règle, comme j'en ai parlé dans un précédent billet: «Si ce n'est pas moi qui le fais, ce sera un autre..» sont légion.. Si le tissu moral de la société est complètement détruit, comment espérez-vous que tous cohabitent de façon harmonieuse sans aucune police, ni contrôle, ni État?

La conséquence est que si demain les anarchistes réussissaient leur plan et que toutes ces choses étaient abolies, il faudrait qu'ils les réinstaurent d'urgence avant que tout ne soit dévalisé ou mis à feu et que les gens ne s'entretuent complètement.. C'est de la pure bêtise de croire qu'on pourrait changer de façon radicale quelque chose à l'état actuel du monde, et si un changement rapide était possible, il serait probablement pour le pire..

Quand les artistes du genre se mêlent de faire de la politique, c'est toujours pour enflammer les gens et les rendre agressifs.. Les gens croient qu'ils sont accros au groupe ou à la musique à cause des idées, mais ils ne sont en fait qu'accros à l'agression et aux affects véhiculés par ces derniers qui ne veulent au fond qu'augmenter leur cote de popularité..

Mais au fond, quel autre sujet peuvent-ils avoir d'autre que la «révolte» en gueulant comme ils le font? Et c'est là que se trouvent leurs limites, et leur côté extrêmement fake.. En fait, ils ne croient pas, et ne peuvent pas croire à ce dont ils font la promotion.. Ce ne sont que des imposteurs sans convictions intéressés par le potentiel financier de la foule des jeunes surexcités à coups de boissons énergisantes et en recherche de défoulement..

Et c'est pourquoi, défaisant toute la rhétorique de la publicité, je ne m'enthousiasme que rarement pour quoi que ce soit.. La fibre de l'enthousiasme étant sursollicitée par la médiatisation et la volonté de profit, s'use ainsi plus vite au fil du temps..

Je ne crois qu'au calme et à la tranquillité..

«Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des ailes de colombe..» Nietzsche

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