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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

lundi 28 septembre 2015

Au sujet de la dépression

Il y a beaucoup de tentatives de sensibilisation ces dernières années à la dépression.

Mais je doute qu'une simple annonce à la télévision ait un quelconque impact sur les gens en bonne santé.

Tout simplement parce qu'une personne non dépressive n'a pas la même perception du monde qu'une personne dépressive. Ne vous inquiétez pas, je ne vous parlerai pas de médicaments, je suis d'ailleurs contre cette approche.

Il est vrai qu'il est important que les gens qui ne sont pas atteints par ce mal puissent en avoir une certaine compréhension, ne serait-ce que pour le reconnaître s'ils viennent à en souffrir, mais je ne crois pas que la simple connaissance de l'existence du mal chez les autres suffise à le comprendre.

De plus en plus, je crois que la dépression n'en ait pas vraiment une, et que c'est plutôt une étiquette commode, je m'explique: le «dépressif» interprète certains phénomènes d'une façon que la personne non dépressive ne fait pas.

Elle voit dans ces phénomènes quelque chose de négatif, de malheureux, de pénible, etc. La personne non dépressive ne voit pas du tout cela dans les mêmes phénomènes. Par exemple, la croissance économique: les journalistes économiques, les politiciens et les économistes nous parlent constamment de «croissance», et si on est un optimiste dans la vie, on pense toujours aussi en terme de croissance: the sky is the limit, comme on dit.

Cependant, la science économique nous apprend que la «loi des rendements marginaux décroissants du capital» empêche les choses de croître indéfiniment. En effet, les entreprises, après un certain temps, ne peuvent plus croître, et si elles le font, cela leur coûte davantage que ce que ça leur rapporte. Les compagnies deviennent alors stables, ne peuvent plus augmenter leurs profits, mais sont obligées de continuer à investir. Cela va complètement à l'encontre du mindset des optimistes, mais c'est pourtant la réalité, malgré tous les beaux discours qu'on nous sert. La seule façon, à ce moment-là, d'augmenter les profits, c'est de réduire les salaires et de faire en sorte que chaque employé fasse la job de trois. Vous comprendrez alors pourquoi beaucoup de compagnies préfèrent partir à l'étranger. Quelle est la place de l'optimisme ici?

Autre exemple, la mort: la personne dépressive la voit à chaque instant, elle sent le néant qui l'empoigne, elle sent la mort partout, l'abandon, la désolation, l'illusion des gens en bonne santé, l'illusion de l'amour, l'illusion du succès, elle voit partout la ruine, la perte, l'échec, la souffrance, etc.

La personne en bonne santé ne voit rien de tout cela: elle voit la mort comme un voyage au Ciel avec les anges, sans se poser davantage de questions, sans aller plus loin. Autrement dit, là où la personne dépressive achoppe, la personne en bonne santé passe par-dessus, elle glisse sur la mort, comme en surf. Vous me direz que c'est dynamique, que c'est typique des jeunes, et que c'est ce qu'il faut faire.

Mais pourquoi cela est-il «ce qu'il faut faire»?

Je ne comprends pas cette urgence de surfer sur la mort et de la mettre de côté comme si elle n'existait pas ou de ne pas en parler parce que c'est «trop triste».

Les premiers symptômes de «dépression» ne sont peut-être qu'un début de maturité.

Un début de compréhension globale de la vie, parce qu'il faudrait peut-être le dire aux gens qui rient à chaque deux minutes et dont la vie est comme un lit de rose pour hédonistes: ils vivent dans une illusion entretenue par l'aisance occidentale. Ils vivent dans une bulle de savon.

L'environnement extérieur n'est pas amical. En pleine jungle, vous ne pourrez faire comme Tarzan. Si vous quittez la Terre, même dans le meilleur des vaisseaux, il n'y a aucune chance de survie. Je crois même de plus en plus que la vie extraterrestre ne nous aime pas.

Bref, nous ne sommes pas «désirés» dans cet Univers, et nous n'y sommes pas les bienvenus.

Tout ce que nous faisons ne fait que concourir à un grand Esprit Objectif dont nous ne connaissons pas le sens, probablement parce qu'il n'en a pas plus que les babillages d'un bébé. Nos vies, de chacun d'entre nous sans exception, seront pour la plupart oubliées trois générations après notre mort. Autrement dit: il ne restera plus rien de nous, pas même un souvenir, pas même une photo.

Pensez-y: qui aura intérêt à garder quoi que ce soit de nous après trois générations? Si c'est le cas, tout sera dans une valise au sous-sol de chez une personne quelconque, et un beau jour, la valise prendra le bord de la poubelle quand il faudra faire de la place. Pensez-y: seriez-vous très chaud à l'idée d'entreposer chez vous tous les souvenirs d'un arrière-grand-parent? Et quand vous serez mort, qui se souciera de ceux-ci? À quoi bon? Toutes ces choses ne sont que fardeau.

Et si vous pensez qu'il suffit d'atteindre à la célébrité pour que le monde se souvienne de vous, détrompez-vous: qui se souvient aujourd'hui des vedettes du petit écran des années 50? Des écrivains à la mode de ces années-là? Des politiciens? Pourtant ces choses ne sont pas très loin de nous.

Bien sûr, si l'on fouille, on peut connaître certaines choses très éloignées, comme les proches de Genghis Khan, etc. Mais les détails sont estompés, même, on pourrait dire que certaines choses sont incertaines, certaines informations semblent légendaires et non véridiques, comment départager ce qui est vrai de ce qui est faux lorsque les événements remontent à si loin?

Ainsi, un beau jour, dans quelques milliers d'années, toute l'histoire de l'humanité se retrouvera entreposée quelque part, et plus personne n'en aura rien à foutre.

Éventuellement, elle sera supprimée, parce qu'elle nous sera aussi utile que des dessins de maternelle.

Il se peut même que lorsque nous serons des voyageurs intergalactiques civilisés et que nous apprenions à découvrir d'autres peuples, nous ayons honte de notre histoire faite que de guerres et de sang, et que nous ayons intérêt à l'éliminer ne serait-ce que pour ne pas faire peur à ces autres peuples.

Tout ce que je viens de dire est hautement hypothétique, mais c'est seulement pour faire comprendre aux gens en bonne santé que personne ne se souviendra de vous, quoi que vous fassiez, en bon comme en mal.

Vous êtes condamnés à la nullité éternelle, comme si vous n'aviez jamais existé.

Est-ce que vous comprenez maintenant comment la «dépression» est logique, rationnelle?

C'est une réponse normale des gens en bonne santé.

Malheureusement, les gens qui n'y comprennent rien et qui veulent faire du surf sur votre cerveau s'arrogent le droit de vous dire que vous êtes «malade». Ils s'arrogent le droit de vous juger, de dire qu'eux seuls sont dans la vérité, et de vous dire que vous devriez prendre des pilules.

Ce qui n'est pas normal, par contre, c'est de constater toute la misère du monde et de se comporter comme si cela n'existait pas.

Nous devons revoir, nous, Occidentaux, notre façon de vivre et notre façon d'être, car nous nous dirigeons vers un mur existentiel.

Ce que nous vivons n'est pas la réalité.

L'internet n'est pas la réalité.

Nos idées ne sont que foutaises.

Le bateau coule, mais tout le monde est occupé à scroller les news sur son IPhone.

Ne voyons-nous pas que nous devenons tous des crétins existentiels?

4 commentaires:

  1. Merci pour ce texte qui prend en compte la mort - prend en compte la futilité de la culture occidentale qui la nie et s ' extase en conneries infinies -
    Je ne suis pas croyant mais le néant n ' est peut-être pas tout à fait le néant -
    J ' ai écrit plusieurs textes sur ces sujets :
    http://mondeindien.centerblog.net/25-les-terres-d-ailleurs
    http://mondeindien.centerblog.net/14-l-me-des-choses
    http://mondeindien.centerblog.net/37-la-mort-extraordinaire-de-carlos-santana

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  2. La lucidité fait bien plus peur que les effets secondaires des pilules pour voir la vie en rose. Comme disait Spinoza: ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre.

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    1. La lucidité fait peur des fois , mais c ' est une erreur -
      Les enfants croient que les ombres de la nuit sont d ' horribles monstres , alors ils ont peur de les éclairer de peur de voir de véritables monstres quand il ne s ' agit que de quelques branches tordues , feuillages feuillus , animaux pacifiques -
      Si quelques rares dangers existent bien dans la vie , n ' oublions pas , comme je l ' enseigne à mes petits élèves , que dans la vie il n ' y a RIEN de grave , RIEN !! -
      Juste des choses qui sont précieuses , et d ' autres qui ne valent pas une merde ! -

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  3. Nietzsche a écrit quelque chose sur cette phrase de Spinoza dans son livre «Le Gai Savoir». C'est le paragraphe 333 du livre quatrième, «Que signifie connaître». Il se peut que le titre du paragraphe diffère d'une édition à l'autre.

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