Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 13 octobre 2015

4

Tous les matins je verse mon café, mon café déborde. Il déborde en moi, je me sens débordé, la fatigue, l'âge, le manque de jus, les événements, tout ce que tu voudras. Tous les matins, du café sur le comptoir. J'essuie, j'éponge, je sèche, je nettoie. Je recommence deux secondes après. Mon café déborde sans fin, je ne sais plus pourquoi. Je ne vois pas clair, j'ai besoin de mon café. Je goûte, il est bon, il déborde partout de partout. J'ai du café sur moi, parterre, sur mes mains, mes feuilles de travail. Il n'y arrête plus d'avoir du café partout. La pression dans mon café est forte. Il monte et monte, il est sous pression. Je veux toujours plus de café, pour être toujours plus réveillé, plus performant, ne rien manquer, être là à deux cents pour cent, être là pour les autres. Pourtant, je veux dormir, je veux ralentir, je veux prendre le temps de vivre, je veux prendre goût à la vie. Mais je ne suis pas capable. J'ai besoin d'argent, et je n'en ai pas. Je n'ai même pas d'emploi. Je ne sais pas combien de temps tout cela va durer encore. Ma vie ne tient qu'à un mince fil. Je devrais me mettre à écrire pour de bon. Et ne vivre que de bonheur sans mélange. Mais partout je cherche de l'argent, et il n'y en a pas. Il n'y a pas moyen de vivre libre. C'est cela qu'on oublie avec le temps. On ne peut vivre libre qu'avec ce qu'on aime faire seulement. Mais comment garantir à tout le monde qu'ils aimeront ce qu'ils feront? Certains ne savent pas ce qu'ils aiment. Moi je ne sais pas toujours ce que j'aimerais faire. L'écriture pourrait être libératrice, pourrait me rendre heureux, je le sais car je le fais déjà ici et ailleurs, mais elle ne me rapporte pas un sou. Ainsi, je suis toujours obligé de faire autre chose qu'écrire pour pouvoir vivre. Ce qui fait au bout du compte que je ne suis jamais libre. Et je le sens. Je le sais. Cela fait des années que je n'ai pas respiré la liberté. Je fais du temps en liberté. Je subis le temps. Je n'ai jamais l'impression de vivre ma vie, mais de toujours courir après une illusion qui ne me sauvera pas. Je suis misérable, et je le sais, mais j'ai l'impression que je n'ai pas le choix. Je n'ai pas assez de respire pour garder mon respire. D'une façon ou d'une autre j'étouffe.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire