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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

dimanche 20 novembre 2011

2. Mon ami Nozick et l'art de la pose

J'étais en train de lire «Anarchie, État et utopie» de Robert Nozick hier soir, en buvant une bière. Il parlait de la justice distributive et c'était le passage sur la théorie de l'acquisition chez Locke. J'aime beaucoup la façon d'argumenter de ce penseur, qui est très originale et brillante.

Par exemple : «Si un astronaute privé nettoie un endroit sur Mars, a-t-il mêlé son travail à (de telle sorte qu'il en vienne à posséder) la planète entière, tout cet univers inhabité, ou simplement un lopin de terre particulier? Et quelle action faut-il pour qu'un lopin de terre vienne à être possédé?» ou encore «Il sera parfaitement invraisemblable d'envisager que le fait d'améliorer un objet en donne à quelqu'un la pleine propriété, si la réserve des objets non possédés qui pourraient être améliorés est limitée. Car le fait qu'un objet vienne à être possédé par une personne change la situation de toutes les autres personnes.»

Cependant, l'aiguille sur le disque s'est mise à glisser, ssscriiiiitch! lorsque je suis arrivé au passage suivant : «Nous devrions remarquer que ce n'est pas seulement les personnes qui favorisent la propriété privée qui ont besoin d'une théorie de la façon dont les droits à la propriété sont nés légitimement. Ceux qui croient à la propriété collective, par exemple ceux qui croient qu'un groupe de personnes vivant dans une région possèdent tous ensemble le territoire, ou ses ressources minérales, doivent également fournir une théorie de la façon dont de tels droits de propriété naissent[...]» Doivent fournir une théorie? Y a-t-il un domaine où la théorie est moins utile que dans celui de la propriété? L'intellectualisme de Nozick va trop loin. Mais ceci ne fait que montrer à quel point nous sommes à cheval sur la théorie, et très loin de la pratique ou de la réalité.

En réalité, un groupe d'individus s'approprient un territoire à la taille de ce qu'ils peuvent défendre. Si un comique s'en vient et leur demande : «Excusez-moi, mais pouvez-vous me fournir une théorie sur votre droit de posséder ce territoire?» il va probablement se faire liquider, après avoir provoqué l'hilarité générale, et si ces individus ont à défendre leur territoire, ils vont prendre les armes, et n'arriveront pas au contraire gentiment avec une théorie pour justifier leur possession de ce territoire.

Le but de la théorie, c'est d'arriver à tout comprendre sans le secours des sens ou de la réalité. Je crois que cette approche peut être utile en géométrie et en mathématiques, mais pour le reste... Un général regarde la carte, mais tient compte aussi du terrain.

Je prône le savoir-faire réaliste contre l'attitude intellectualiste de la théorie, qui ne vise qu'à se faire passer pour plus intelligente parce qu'elle n'utilise pas les sens. C'est toujours le bon vieux mépris du corps. L'exemple le plus éloquent qu'il m'ait été donné de voir, c'est celui du monteur de tentes d'expérience contre l'ingénieur. C'était un concours pour savoir qui réussirait à reconstituer les toiles qui entouraient le Colisée à Rome dans l'Antiquité. L'ingénieur échafauda des plans, fit des calculs savants, et lorsqu'il eut terminé la construction de sa toile, le vent l'emporta et détruisit tout le bataclan d'un seul coup. Le monteur d'expérience regarda le tout, amusé.

Pendant ce temps-là le monteur, qui montait des tentes de cirque de puis 20 ans, se mettait à l'ouvrage lui aussi, sans aucun calcul. Il réussit à reconstituer la fameuse toile du Colisée, et le tout tenait en place même avec de grands vents : c'est ça la différence du savoir-faire par rapport à la théorie, qui s'abstrait inutilement, probablement dans l'intention détournée de faire de la pose.

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