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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 3 août 2011

Je rêve d'être seul sur la terre..

Depuis deux semaines j'éprouve de grandes douleurs.. Mon dos, mes côtes et mon cou sont broyés.. Il n'y a rien à faire pour calmer le feu qui me brûle le dos et les sensations de barres de métal en travers.. à moins d'être saoul mort.. mais ça, c'est pas une vie.. et le mal est encore pire le lendemain..

Je m'endors aussi constamment, j'ai  l'estomac un peu fragile.. Je suis exaspéré par la chaleur, surtout celle, suffocante, des transports en commun.. Je déteste de plus en plus me déplacer dans ces poubelles ambulantes que sont les wagons de métro en surchauffe et les autobus..

Je ne suis pas capable d'avoir la paix nulle part.. de me sentir bien nulle part.. J'ai juste hâte de crisser mon camp de Montréal pour partir en vacances dans le bois.. Parce que je me souviens aussi de l'impression que j'ai eue en revenant dans cette ville après mes vacances l'an passé, ce fut comme le retour en enfer.. et c'est effectivement ce qu'est rendue cette ville: un véritable enfer de pollution en tout genre.. que ce soit la pollution visuelle, sonore, aérienne, au sol, etc., et la pollution «mentale», c'est-à-dire le stress psychique que les autres individus «malades», eux aussi intoxiqués, nous imposent parfois malgré eux..

À ma pause au travail, j'étais assis sur un banc dehors et j'essayais de soulager un peu la douleur en m'étirant comme je pouvais, lorsque j'entendis des battements d'ailes d'insecte dans l'herbe.. C'était une libellule qui se débattait sur le dos prise dans les bouts de gazon secs.. elle avait une aile endommagée et ne pouvait pas voler..

J'ai tout de suite pensé que si elle restait là il y avait de grandes chances qu'elle se fasse écraser, parce que des gens passent à cet endroit.. j'ai donc pris un petit bout de branche pour qu'elle s'agrippe après afin de la déplacer.. Je mettais la branche doucement sous elle et elle s'agrippait, mais au début elle paniquait un peu en me voyant la déplacer, et recommençait à battre des ailes, et retombait en chemin, souvent sur le dos.. J'y suis allé plus doucement, et ça a marché.. mais l'endroit où je l'avais mise était encore trop exposé..

J'ai vu plus loin dans le parc une colonnade en béton, j'ai donc repris la branche et je l'ai emmené là.. Je savais qu'elle n'avait besoin que d'un peu de temps, d'un peu d'ombre et d'un peu de chance pour qu'elle reconstruise son aile et qu'elle s'en sorte.. c'est d'eau dont elle allait manquer, mais pour cela, vu la situation, je ne pouvais conter que sur la pluie ou la rosée.. ou sur le pipi de chien.. qui sait ce qu'une libellule peut boire! La colonnade la protégeait du soleil et de la circulation piétonne, mais pas des chiens qui viennent y lancer un petit jet d'urine dans leur ronde.. je pouvais d'ailleurs distinguer un bout d'herbe plus clair à la base.. mais que faire de plus?

Je ne pouvais rien faire de plus, car je devais retourner travailler.. Je n'étais quand même pas pour prendre les grands moyens, mais disons que j'ai fait mon possible dans les circonstances.. 

Je pouvais observer sa longue queue lorsqu'elle était sur le dos, au bout il y avait comme un abdomen qui montait et descendait, j'ai compris qu'il y avait de l'air qui passait par là.. je voyais sa respiration.. un belle petite bestiole, élégante.. avec de grands yeux qui bougent en tout sens et qui semblent tout voir..

La petite créature avait semblé s'habituer à moi lorsque je prenais la branche pour la déplacer, elle ne paniquait plus, elle me faisait confiance et s'agrippait pour se laisser transporter..

Finalement, je l'ai laissé là pour retourner travailler, et j'ai pensé que plus je restais dans ce parc à m'affairer après cet insecte invisible de loin, plus les gens qui pourraient me voir seraient curieux une fois que je serais parti de venir voir ce dont je m'occupais, et peut-être lui faire du mal.. comme ce jeune que je voyais courir vers moi, visiblement curieux, mais je lui ai fait des yeux durs pour lui montrer qu'il n'avait pas d'affaire là, et il s'est détourné.. J'ai jeté un œil en direction du parc en partant et je ne l'ai pas vu non plus, il avait disparu, il a avait compris le message.. J'étais très protecteur de ma petite bestiole.. Il a dû me prendre pour un fou..

Avec tout cela, j'avais oublié la douleur pour un instant.. mais à mon retour de pause, la douleur s'amplifia, je n'en pouvais plus, c'était horrible.. Lorsque je terminai et sortis, je pensais m'évanouir de douleur à l'arrêt de bus.. Ça rayonnait jusqu'en avant, partout je sentais de la douleur, je n'étais que douleur.. Le bus prenait longtemps à arriver.. Je priais presque pour qu'il arrive plus vite.. Cette attente était violente.. La chaleur.. Les gens.. Tout était violent.. insupportable.. Je restais là à attendre en bougeant le moins possible, résigné.. l'esprit anéantit.. je n'étais pratiquement qu'un végétal souffrant.. incapable de ne proférer ou de penser un autre mot que «ayoille».. Je me disais qu'une ambulance allait peut-être devoir me ramasser.. à la petite cuillère..

Douleur pure.. Meurtrissure pure.. Néant pur.. Une existence ravagée..

Arrivé chez moi, j'ai embarqué sur la bière forte, la Fin du monde.. une bière qui me rend légume..

J'ai commencé à jouer aux échecs sur Internet, je perdais tout le temps..

Puis, j'ai reçu un courriel de ma soeur:

«Allo Theodor,

Papa est à l'hôpital à cause que son intestin est bloqué par les métastases du cancer. Ils vont l'opérer ce soir et il aura un sac pour les selles. Une bonne amie est avec lui et 2 autres personnes que je connais seront avec lui pour la fin de semaine. Il est hospitalisé au Mont Sinai à Miami. Je devais aller à Miami le 19 août, mais je vais sûrement y aller avant.

Je te redonne des nouvelles bientôt..»

Sur le coup, j'avais envie de pleurer, mais je me retins.. Ce père tout croche, qui m'avait élevé tout croche, était en train de mourir.. Sur la morphine et très faible, ayant déjà les reins finis avec des sacs et quoi d'autres encore, il appelait ma sœur en larmes après qu'on lui eu passé le téléphone sur son lit de misère..

Ma sœur toute seule là-bas, aux États-Unis, épuisée par son travail qui exige souvent des quarts de plus de huit heures, devra s'occuper probablement très prochainement de vider l'appartement de mon père.. Ne pouvant pas emporter grand-chose puisqu'elle doit reprendre l'avion, ma mère lui a conseillé de tout donner aux pauvres.. Mon père en aurait pour un mois ou deux au maximum, mais il pourrait aussi mourir demain.. Les médecins vont décider si ils l'opèrent ou pas.. À cette heure, il doit être pratiquement inconscient par toute la morphine qu'on lui injecte.. Et je sais que dans ces cas-là, il viendra un moment où le cœur lâchera.. C'est une forme d'euthanasie cachée et courante, mais que j'approuve totalement.. et si un jour je viens à souffrir autant et que mon cas soit irrémédiable, j'aimerais partir moi itou sur une balloune de morphine..

Ma mère me déconseillait toujours de trop m'attarder sur son sort, puisqu'il ne s'était jamais trop soucié du mien.. Mais là, bizarrement, son ton a changé.. C'est comme si ça lui rappelait que ça sera son tour à elle aussi un jour, et elle prend plus cela au sérieux.. J'ai même eu l'impression qu'elle résistait pour ne pas pleurer au téléphone.. Pourtant, elle semblait détester mon père.. Elle avait eu, en fait, toujours beaucoup de choses à lui reprocher.. Et moi aussi d'ailleurs..

J'aimerais pouvoir aller le visiter là-bas, mais je n'ai même pas de passeport, ni waiver, et mes vacances sont déjà réservées dans les hôtels.. De toute façon, qu'est-ce que je pourrai aller lui dire sur son lit d'hôpital?.. Il ne voudrait probablement pas que je le voie dans cet état.. Et si je suis déjà détruit dans ma vie de tous les jours par toutes sortes de soucis et d'inquiétudes et de douleurs constantes, qu'est-ce que ce sera quand je serai là-bas? je n'ai aussi personne pour m'héberger.. et n'ayant pas beaucoup d'argent.. Non, tout cela est impossible.. Ma mère pensait même que je ne pouvais pas avoir de passeport parce que j'ai un dossier.. Voyons donc! Pourquoi en plus de m'avoir gâché ma vie en m'empêchant pendant des années de pouvoir retourner aux études mon pays m'empêcherait-il d'aller ailleurs? Vais-je devoir payer toute ma vie pour avoir volé une sandwich alors que j'étais homeless et donné une claque sur la gueule d'un portier, qui me le remit d'ailleurs au centuple lui et ses amis? C'est complètement ridicule.. et c'est là qu'on voit à quel point le monde est injuste et malade..

J'ai pris conscience avec le temps que peu importe que j'aie mon pardon ou pas, et les procédures sont en cours, je serai marqué toute ma vie comme au fer rouge par cette société, puisque si j'accède à des postes qui m'offrent plus de visibilité, il y aura toujours un osti de tata dans la foule pour me salir et me pointer du doigt en disant que j'ai fait ceci ou cela il y a 20 ans.. Pourquoi ces gens font-ils cela alors que ça ne correspond plus du tout à ce que je suis devenu? - Ils le font par simple méchanceté ou jalousie, c'est ma réponse.. pas pour le «bien public» ou je ne sais quoi d'autre.. En réalité, du véritable bien public et de la rédemption d'un individu qui s'est toujours trop laissé piler dessus par les autres et s'est retrouvé ainsi coincé dans la marge, ces gens n'en ont rien à foutre.. La norme dans ce monde, c'est la mesquinerie et la bassesse, et cela, ça m'a pris beaucoup trop de temps à le comprendre.. Et j'arrive d'ailleurs encore à peine à y croire.. La «justice» est une illusion.. Ce qu'il y a, c'est un système pour varger sur du monde à perpétuité lorsque ceux-ci ont osé, ne serait-ce qu'une seule fois, s'écarter du «chemin» tracé par la société.. C'est grave.. On veut bien croire que la pression pour être «conforme» n'est pas trop forte et qu'on est tous uniques et différents.. mais on se fourvoie allègrement: le système ne sert qu'à cela.. à nous mettre au pas pour nous faire travailler pour pas cher..

Peu importe, ma vie se replace tranquillement au fil des ans et des efforts.. Je reste loin des «autres» en général.. Je m'enferme souvent chez moi pour lire dans ma grande bibliothèque.. C'est à ce moment que je suis heureux.. Mais j’appréhende toujours le moment où je devrai ressortir pour aller travailler..

Je pense souvent que je mène une vie retirée.. et c'est effectivement le cas.. Je me dis des fois que je pourrais passer seul dans l'existence, sans attache, sans amour, sans amitié, et que personne ne saurait vraiment que je suis parti.. Que je m'en suis sorti sans trop m'engager dans quoi que ce soit.. Que personne n'aura jamais vraiment réussi à me «connaître».. Et n'est-ce pas tant mieux?

Nous pensons qu'en communiquant nos joies et nos peines aux autres elles sont plus «réelles».. Mais si les autres disparaissent ainsi que la terre à la fin des temps emportant tout souvenir, n'est-ce pas une illusion de plus? Que je ne partage aucune joie ou aucune peine ne changera donc rien au bout du compte.. j'en éprouverai peut-être même, en tout et pour tout, moins de désagréments..

Je regarde seul le monde.. Et le monde me regarde seul.. dans le secret.. C'est à ce moment que j'ai l'impression d'exister..

Je rêve d'être seul sur la terre et de dire que c'est mon monde..

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