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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 19 août 2011

Nous nous sommes discartés mentalement pour rentrer dans les cases de la grosse machine qui bouffe tout..

Je n'ai rien de spécial à dire ce matin.. à part que je me trouve étrange un peu de ces temps-ci..

J’oublie certaines choses assez rapidement, mais du genre que je n’oublie pas d'habitude..

Genre les noms.. j'ai de la difficulté avec les noms.. et les dates aussi..

Ce sont des choses qui dans mon esprit ont toujours été considérées comme contingentes, non-importantes, «matérielles»..

Or, on dirait que ce mépris de la «matière» s'accuse.. malgré moi..

Je n'ai pas envie d'être alzheimer à 40 ans..

En disant que je me trouve étrange ou bizarre, par exemple, l'autre nuit je me suis réveillé et je ne savais pas où j'étais..

J'ai souvent des rêves-cauchemars comme ça de «lieux» où je me trouve.. des lieux souvent pas plaisants..

J'espère ne jamais faire de somnambulisme.. J'ai toujours peur d'agir contre ma volonté.. C'est un peu comme la peur ressentit le lendemain d'une grosse brosse où on ne se souvient plus exactement de ce qu'on a fait la veille, mais qu'on se souvient seulement qu'on était très émotionnel, et très impulsif.. Ça, c'est le cauchemar..

Avec les années, je sens en moi un refoulement assez profond et complexe.. Quelque chose que j'avais oublié, sur moi-même, sur le monde.. Si je me sens parfois comme un automate, comme un simple «exécutant», ce n'est pas pour rien..

Mon rôle dans la société est très passif..

Je me contente de travailler, de lire, et d'écrire.. de faire aussi des activités de plein air.. ce que j'adore..

Je me disais hier soir en marchant sur la rue pleine de puanteur, de monde, de chaleur, d'herbe à poux, que je détestais cette société.. ce ramassis d'intéressés, de prétentieux, de merdeux et de merdeuses..

Je n'ai tout simplement pas envie d'être «bon» avec ces gens.. Non merci de même de leur «bonté»..

La vie en ville me rend plus ou moins malheureux, mais comme tout le monde, je n'ai pas le choix d'être ici pour travailler et continuer ma vie.. C'est pour cela qu'on dit que la vie c'est un «combat», c'est parce que nous sommes tous collés les uns sur les autres dans la merde.. La promiscuité de la ville produit presque instantanément toutes ces distorsions et pathologies du social..

Il n'y a pas un endroit en marchant sur les trottoirs à Montréal où ça ne sent pas les poubelles.. Soyez attentifs à ce qui vous rentre dans la nez et vous allez voir à quel point tout est pollué et sale ici.. parce qu'habituellement, à force de côtoyer toute cette laideur, nous venons à la discarter mentalement: notre esprit n'en tient plus compte et nous ne la voyons même pas.. C'est un réflexe pour se protéger, à la longue..

On dirait que les gens ne tiennent plus compte des autres, de la laideur qu'ils créent et secrètent comme naturellement, comme des gaz intestinaux puants, c'est du «chacun pour soi».. Cette femme a les jambes complètement bleues de varices: or elle se promène en short.. Cette autre est grosse et pendouillante: or elle porte un ensemble en nylon moulant.. Mais pourquoi? Pourquoi imposer cette laideur aux autres? Ce vieux monsieur lâche un gros pet sonore et très puant dans une rangée chez Renaud-Bray, il n'a même pas fait un effort pour se cacher.. et par conséquent, j'ai respiré son pet dégueulasse.. J'avais envie de l'insulter et de le traiter d'esti de gros porc sale.. mais je n'ai rien fait..

À mon tour plutôt, j'avais mangé une sandwich aux œufs et j'étais très gazé, j'étais à la librairie Bonheur d'occasion, sur fond de musique classique ou genre zen avec des ti-oiseaux, et en allant vers la section «histoire» pour me cacher et lâcher mon pet en toute paix, je me suis retrouvé cerné par deux clients, mais mon pète, au lieu de sortir doucement et gentiment, est sorti raide et très sonore comme d'une trompette, venant casser ainsi la musique et l'ambiance.. La section se trouvant ainsi empoisonnée au complet, les clients ont dégagé, et je me suis retrouvé seul là, en me retenant de pouffer de rire tellement c'était embarrassant, tellement ce n'était pas «moi».. Je n'ai pu m'empêcher par la suite d'en relâcher deux ou trois autres, mais plus discrets..

J'en viens à penser que toute cette pollution créée par nous-mêmes est une sorte de vengeance pour le fait que nous sommes malheureux tous ensemble.. Nous créons nos «territoires» en salissant tout.. Et la pluie, loin de tout nettoyer comme nous aimons à le croire, ne fait que ramasser toute cette saleté et cette laideur et la répandre encore davantage partout et sur nos têtes: nous pataugeons dans la merde comme dans un aquarium d'où il est impossible de sortir.. Même l'eau du robinet que nous buvons contient les coliformes de nos voisins que nous détestons.. Il est impossible d’échapper à la souillure où que nous allions..

C'est une souillure profonde, complexe, presque métaphysique à la base..

Elle nous fait cracher sur la vie.. et fait que nous ne nous sentons pas nous-mêmes, que nous ne sommes pas «nous-mêmes», jamais, et en aucune occasion, tout simplement parce que nous nous sommes perdus de vue.. nous nous sommes discartés mentalement pour rentrer dans les cases de la grosse machine qui bouffe tout et qui, par la suite, après nous avoir retiré notre substance, au fond, tout ce que nous avions de «valable», notre temps, nos énergies, nos rêves, nous éjecte comme du crottin..

J'écoutais pendant mes vacances un documentaire de Radio-Canada sur les vies des gens pauvres en Amérique latine ou ailleurs.. Or, pour la première fois, dans le contexte de mes vacances «dans le bois», exposé à toutes les intempéries et bêtes, la bouette, la pluie, les animaux, les moustiques, j'ai perçu toute la condescendance que nous avions face à ces gens qui vivent dans des conditions disons plus «primitives» que nous dans nos condos avec la tv, nos lazyboy, nos cheeseburgers et l'eau courante.. mais qui ne sont pas nécessairement malheureux de ne pas être enchainés à une grosse machine qui les tord en tout sens comme nous y sommes si habitués et vivent plutôt plus près de la nature, et de façon beaucoup plus libre, même si c'est parfois plus tragique, ce dont ils auraient raison de se réjouir amplement.. Personne ne peut éviter la mort, la souffrance et les maladies: mais nous ne l'acceptons pas, et c'est ça notre problème.. Que ça vienne plus tôt ou plus tard, il n'y pas de différence.. Si la souffrance en vivant dans la nature est plus physique en étant relativement plus libres, notre souffrance en ville est plus morale et psychologique en étant enchaînés.. Laquelle est la plus préférable?

Notre erreur est de croire que ces gens font absolument pitié.. mais plus encore de croire, par notre suffisance, que notre confort matériel est le summum du bonheur et que nous devons donc les «aider», les «sauver», «sauver l’humanité» alors que nous ne faisons, à tout coup, que répandre notre laideur et notre puanteur sur ceux qui ne sont pas encore contaminés..

«Bienheureuse insécurité» disait Alan Watts..

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