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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 22 janvier 2014

Le speed reading est un manque d'amour

J'ai passé une nuit blanche hier soir sur Internet à écouter plein de documentaires et d'entrevues de philosophes sur YouTube, et j'ai aussi passé beaucoup de temps sur Wikipédia à cliquer sur tous les liens qui m'intéressaient au fil des pages.

Comme je réfléchis souvent à une façon pour moi d'ingurgiter toujours plus d'information, car je suis friand de toujours plus d'information, comme si je n'avais pas de fond, je cherche des façons de lire plus vite par exemple. Je suis très conscient de ma vitesse de lecture, car j'ai beaucoup de livres à lire (ma bibliothèque personnelle dépasse les 1500 livres) et j'ai beaucoup de choses à apprendre, et je veux pouvoir les apprendre avant de ne plus être capable de lire ou de mourir.

Je suis alors tombé sur la méthode du speed reading. J'ai écouté des vidéos qui montrent une classe d'étudiants suivre la méthode donnée par un entraîneur en effectuant toujours plus de progrès. Au début, j'étais enthousiasmé, puis j'ai écouté d'autres vidéos sur la technique. Finalement, je me suis rendu compte que l'efficacité de la méthode décroissait au fur et à mesure de la complexité du texte.. Évidemment, on ne peut pas lire à la même vitesse un article de journal et un livre de philosophie.

Je me suis donc dit que si je voulais lire plus vite que je le fais actuellement, j'allais perdre en compréhension, et la compréhension n'est-ce pas justement l'essentiel d'un texte philosophique? Dans ce cas-là, la vitesse n'a donc aucune importance: l'important est de comprendre, et bien.  Marcuse disait que pour rendre justice à la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, il fallait compter au moins six heures par page (un livre de plus de 500 pages). Il était donc loin de notre mentalité de lecture rapide..

Personnellement, j'ai envie d'ingurgiter les choses rapidement, mais en même temps, ce qui me fait le plus plaisir, c'est l'approfondissement et la compréhension. «Compréhension» vient du latin cum-prehendere qui veut dire «prendre avec soi», autrement dit, s'approprier. Comprendre, c'est s'approprier une chose. Donc, ce que je préfère, c'est m'approprier la chose, et non juste passer par-dessus, la scanner et en avoir une idée générale. De plus, il y a tout le plaisir de la lecture qu'on manque lorsqu'on lit très rapidement, voire frénétiquement. On ne prend pas le temps de savourer la lecture, les mots, les phrases, les structures, le contexte dans lequel s'inscrit la lecture; on n'en fait pas un plaisir, mais plutôt une corvée, comme quelque chose dont on doit se débarrasser au plus vite. Or, foncièrement, cela je trouve que c'est manquer de respect envers le livre, la lecture, la littérature, la culture et les auteurs, comme si tout cela méritait d'être ingurgité en une minute. Tout dépendamment de la qualité et de l'importance du texte qu'on lit, il faut lui accorder le respect qu'il mérite. Si on se fait servir un plat par un grand chef, est-ce qu'on va se dépêcher de le manger au plus vite? Cela n'a aucun sens.

J'en suis donc venu à m'intéresser au slow reading. Cette façon de lire ne vise pas à lire plus lentement, mais plutôt à lire à la «bonne vitesse», celle qui nous permet d'atteindre une compréhension profonde du texte. Elle vise la qualité plutôt que la vitesse.

Par ricochet, je me suis intéressé au slow movement, et j'ai découvert tout un univers de pensée qui était en opposition à notre façon de vivre actuelle, qui est effrénée. Il me semble que nous perdons le meilleur de la vie à cause d'impératifs de productivité qui ne nous profitent pas personnellement et font juste nous enlever notre temps et nous gâcher l'existence. Notre vie est déterminée par l'«extérieur», et nous devons y mettre un stop. On est tannés de se faire pousser dans le cul. On veut prendre le temps de vivre, de savourer sa vie. Au diable le mode de vie américain qui ne fait de nous que des machines au service d'une autre grosse Machine Impersonnelle, comme si nous ne comptions pas en tant qu'individus.

C'est dans ce cadre qu'arrive la «bibliothérapie»: elle est impossible dans la mentalité du speed reading. Cette thérapie par la lecture, une lecture sélective, vient avec une thérapie par l'écriture. Nous allons faire des provisions, dans les lectures que nous faisons, qui nous serviront d'inspiration dans notre écriture. L'un n'est pas utilisé pour l'autre, il n'y a pas de hiérarchie entre la lecture et l'écriture, mais les deux doivent se féconder l'une l'autre dans une sorte de va-et-vient. Bref, lire, c'est comme faire l'amour: il faut le faire bien, avec douceur, à la bonne vitesse, profondément, avec respect et attention, en s'y donnant corps et âme. C'est ainsi seulement que les choses sont bien faites. On appelle ça: l'amour.

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