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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 7 mai 2021

Les vendeurs d'idées

Un vendeur d'idées c'est quelqu'un qui te dit «fait ci, fait ça, et tu vas atteindre ton objectif». C'est un intermédiaire entre moi-même et un objectif quelconque.

Il me convainc qu'il peut m'aider. Il me convainc non seulement par lui-même, parce qu'il dit qu'il peut m'aider, mais par ses propos, qui sont convaincants, et bien rodés point de vue marketing, ce qui est un prérequis aujourd'hui pour l'approbation «sociale» de base. Nous savons pourtant qu'on se fait avoir avec le marketing, mais nous demandons quand même à être convaincus avec de belles idées, pour la forme, tellement nous sommes habitués à cette forme, à cette façon de nous faire ingurgiter les choses. Le marketing nous sert d'idéologie comme tel, ce qu'il véhicule n'a que peu d'importance par rapport à la forme dans laquelle tout cela est présenté, et c'est pourquoi on est d'autant plus enthousiaste face à la «merveille», qu'on se sent vide. Voilà tout le pouvoir du vide.

Il faut donc que le discours et les propos, ainsi que les agissements de l'intermédiaire, soient cohérents et emportent l'adhésion face à la multitude habituée à la forme «spectaculaire».

Appelons un «apprenant» la personne qui fait affaire avec l'intermédiaire.

L'apprenant arrive dans cette relation avec l'intermédiaire avec des idées et des plans de vie préconçus.

L'apprenant veut non seulement réussir sa vie sur tous les plans, ce qui n'est pas une mince tâche, mais veut aussi «sauver le monde», puisqu'il sent la générosité bouillir en lui. L'apprenant croit au départ qu'il est muni d'un sens critique hyper aiguisé et de tous les outils nécessaires pour détecter ce qui est vrai, ce qui est faux, ce qui est bon et ce qui est mal: c'est l'erreur de départ. Et c'est pourquoi aussi il ne soumet pas à l'examen ce à quoi il est en train de croire, et de toute façon, être critique serait jugé comme du négativisme ou de la réaction. Il croit tout de go que l'intermédiaire est sincère et de bonne volonté: c'est la deuxième erreur. Il croit qu'on n'oserait jamais lui mentir en pleine face, et que si ça arrivait, il le saurait. Pourtant, nous le savons, les pires psychopathes sont ceux qui gardent le mieux leur sang-froid quand ils mentent: ils sont indétectables.

On peut facilement voir qu'une fois dans cette relation, il n'est presque plus possible de ne pas continuer à adhérer. «Ne plus adhérer» est vu comme un «reculer», un «régresser», comme une réaction de peur, et puisque l'apprenant est «courageux» et qu'il cherche sincèrement la vérité, il ne doit pas avoir peur, et il rejette donc mentalement par avance ce qui n'est pas cohérent, ou ce qui ne s'insère pas bien dans le récit général de l'intermédiaire. Il nivelle donc les petites aspérités et n'en tient plus compte, comme si ç'avait été un test pour éprouver sa foi. L'apprenant est «de bonne volonté», et pratiquement, c'est tout ce qui semble compter, puisqu'au fond l'apprenant croit au plus profond de lui-même, sans le savoir, en une sorte de «Dieu» ou de «justice immanente» naïve: il croit que s'il est lui, l'apprenant, de bonne volonté, il y aura une justice, un sens à ce monde, et que rien en principe ne peut aller de travers contre sa «bonne volonté», et qu'il suffit de vouloir le «positif» pour changer le monde, et soi-même. Le monde a un sens, et rien ne devrait s'opposer, en principe, à une personne qui veut aider, et s'aider, une personne honnête et de bon vouloir. 

En effet, pourquoi voudrait-on du mal à une personne qui ne veut que le bien? Pourquoi même les Arabes nous en voudraient parce qu'on déboule chez eux mitraillette en main pour leur imposer le Bien? Avec ce raisonnement, on peut se jeter dans une fosse aux lions sans crainte d'être blessé ou tué, puisque de toute façon, on aime les lions et on ne leur veut que du bien. On veut aussi qu'ils nous aiment et apprécient le bien qu'on veut leur faire, comme dans un film de Disney. Je ne sais quel nom apposer à ce travers, mais disons que c'est un mélange ironique-schizotypique sûrement inclassable et postmoderne de naïveté effrontée, d'auto-aveuglement lucide, de condescendance humble, d'égocentrisme altruiste, de vanité profonde et réfléchie, etc.

L'intermédiaire, de son côté, met en avant ses idées, qui sont attrayantes comme un appât, elles lui servent en fait de «vitrine», mais ses objectifs réels ne sont pas d'aider réellement les gens qui viennent le voir, mais de se servir d'eux comme d'instruments pour parvenir à ses fins: l'argent, le contrôle, le sexe, le pouvoir.

L'intermédiaire est celui qui dit à l'apprenant: «je sais c'est quoi ton problème, et je vais t'aider». Il joue le rôle de «papa qui sait tout», et il a une réelle ascendance sur les apprenants. C'est un leader dans l'âme, un nouveau Steve Jobs version 5.0. Il doit avoir réponse à tout, et il semble avoir toujours réponse à tout, ce qui fait dire, par orgueil, à ceux qui croient en ses balivernes, qu'il est sans aucun doute un «génie», sinon «le plus grand génie de tous les temps», voire un «prophète», voire quelqu'un de «mixé avec des petits bonshommes verts dans le ciel», et donc de «supérieur» aux simples humains, sinon on serait tout simplement des «caves», ce qui est exclu d'avance.

Pourtant, on sent qu'il y a quelque chose de «vicié» avec le ruissellement inhabituel des bons sentiments et des bonnes intentions, voire, quelque chose de complètement pourri, comme un cancer qui nous gruge par en dedans.

Comme si on avait un peu trop cru que l'homme était bon en soi, et même peut-être, qu'on était soi-même bon en soi.

Cette pourriture est au centre de tout ce qu'on croit, qui est pourtant si beau, si sensé, si approuvable en théorie par tous.

Oui, on s'est fait fourrer, et parfois pas juste au sens figuré. Mais comment?

Comment une telle chose est-elle possible?

D'avoir un très bel extérieur, sensé, rationnel, et pourtant, un intérieur pourri, corrompu, vicié à l'extrême, contraire aux fins recherchées, à tout ce pour quoi on était là au départ?

Et pourtant, et pourtant... et on cherche les causes, et on ne comprend pas.

On ne peut pas comprendre qu'on s'est fait avoir et on se trouve soudainement terriblement con.

On se retrouve tout d'un coup, seul, face au non-sens absolu, en tant que «con» et «crédule».

Avec la constatation qu'on a perdu notre temps, en fait, quelques petites décennies de bénévolat...

Moi je vais vous le dire pourquoi vous vous êtes fait avoir aussi facilement:


C'est parce que ça ressemble au monde dans lequel on vit.

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