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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 11 mai 2021

Le Transcendant est tragicomique

Même si nous sommes incapables de ressentir cela à tout moment, il ne faut jamais oublier que le Transcendant, ce qui nous dépasse entièrement et pour toujours, est «terrifiant». Il est terrifiant de prime abord parce que nous ne le connaissons pas, nous ne savons pas ce qu'il est. Cela peut peut-être expliquer l'aspect terrifiant à en mourir de Dieu dans l'Ancien Testament. Même si ces textes n'étaient que des fables inventées par une secte de Juifs de l'Antiquité, ils auraient au moins ça de vrai. Il y a aussi le fait que nous ne pouvons savoir si le Transcendant est véritablement «transcendant», mais il nous apparaît tel, à nous, êtres limités. Et c'est ce qui fait son côté légèrement «comique», car nous ne sommes pas mieux que coincés comme des rats, et pourtant on sent que nous sommes infiniment mieux que des rats! Le Transcendant a aussi un côté comique au sens où après l'avoir «vu», et après avoir été terrifié par lui, nous devons quand même continuer à vivre dans notre finitude désormais «bien sentie» comme si de rien n'était, ce qui est absurde! et pourtant, il y aurait encore moins de sens à se tuer! On se retrouve donc comme «coincé» dans l'existence. On s'occupe avec le boulot en espérant que ça passe, mais en vain: l'existence ne passe pas, et elle nous reste prise dans la gorge.

Il m'apparaît manifeste aussi qu'il y a une Intention, mais je n'arrive pas à la saisir, et c'est ce qui fait que le Transcendant m'apparaît comme étranger. Mais, quelle serait l'intention de cette Intention? Y a-t-il un sens à parler de l'«intention» du Tao, alors qu'il n'est que la Voie? Une voie qu'il faut suivre, mais qui ne prescrit pas, contrairement au Dieu de la Bible.

Il est impossible que nous ayons conscience de notre vie et de notre mort sans être impliqué dans plus vaste. Il me semble qu'il y a là un signe interne. Mais comment comprendre un sens s'il implique la disparition de ma personne? Ne suis-je pas le seul moyen par lequel un sens puisse arriver? Sans mon corps peut-il y avoir encore un sens? Le signe n'est-il qu'un signe du non-sens?

On insiste beaucoup sur l'esprit dans les religions, mais si je n'ai plus de corps, c'est absolument terrifiant. Imaginez que vous êtes un esprit, éternel témoin silencieux de votre ancien monde, ou de vos proches, quel sens votre vie peut-elle avoir? Vous ne pouvez ni sentir, ni goûter, ni rien satisfaire, ni rien faire. La plupart du temps quand nous pensons à la mort, à la disparition complète de nous-mêmes, on ne pense encore toujours qu'à la vie, et jamais à la mort, car on s'imagine mort avec des sensations, notre petite vie quotidienne, comme si on se réincarnait en ange ou je ne sais quoi d'autre, et que la mort n'était qu'une transition quasi routinière dans l'Incompréhensible, comme si on commençait un quart de travail dans une Autre Dimension. Il vous faut automatiquement oublier l'homo faber ici: vous n'êtes plus cela. En fait, personne ne sait ce qu'il est même en vie, et une fois mort, c'est encore pire. Tu es quoi toi, cadavre? Quel est le sens de ta vie maintenant?

Que diriez-vous de vous lever ce matin, sans avoir dormi? Car vous n'avez plus de corps, ni de cerveau à reposer, vous n'avez donc plus besoin de dormir. Que diriez-vous ensuite de vous préparer un bon café, que vous ne pourrez goûter ni sentir, que vous ne pourrez prendre non plus, ni même faire?

Premièrement, si vous n'avez plus de corps, vous n'avez plus de désirs, du moins je l'espère, car plus aucune satisfaction n'est possible de ce côté-là, à part une sorte de voyeurisme sans yeux. Qu'est-ce que vous pouvez bien faire sur la Terre? Et quel sens tout cela a-t-il de poireauter là sans son corps habituel? Vous n'êtes plus dans le circuit de la vie, et cela n'a aucun sens d'être encore là, à moins de croire en un bon Dieu dans le ciel, qui nous donne notre quart de travail, et pourquoi n'y verrait-on pas alors des esprits syndiqués? des anges syndiqués? Il y a quelque chose de drôle là-dedans, dans notre entêtement à vouloir paître paisiblement comme des bovins, même dans la mort, à vouloir y continuer notre mortelle routine. Non, il n'y a pas d'ouvrage dans l'Au-delà, pas de travail, c'est le chômage complet, et c'est le cas de le dire, si vous continuez à penser comme ça, vous allez vous ennuyer à mort.

La science, la technologie et l'aérospatiale ne sont pas tout non plus. Après avoir visité les galaxies environnantes et découvert les structures de notre univers local, trop local, il faut comprendre le sens de tout cela, est-ce possible? Est-ce que vous savez, vous, pourquoi le Soleil brille? Je ne parle pas des réactions atomiques qui se passent dans le Soleil et que tout le monde connaît, mais de la cause ultime. Y a-t-il une cause ultime? Ultimement, y a-t-il même un sens à parler de «cause ultime»?

La cause ultime n'existe pas au sens où saisir l'infini est comme essayer de prendre une rivière avec ses mains ou prédire la forme et tous les mouvements d'un flocon de neige en plein vol, on sent que c'est possible, mais c'est l'Impossible.

Le Transcendant est comme une mauvaise blague qui est fâchante à certains moments, drôle à d'autres.

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