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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

dimanche 25 mai 2014

Mon seul interlocuteur a été un fou..

Dernièrement, je me suis demandé pourquoi je n'ai jamais vraiment eu d'amis, et encore moins de bons amis, dans la vie, comparativement à bien des personnes dont je constate qu'elles mènent une vie «normale» avec des amis, comme il se doit.

Je ne tiens pas particulièrement à avoir beaucoup d'amis, car ce serait une corvée pour moi que d'entretenir de bonnes relations, de ne pas les négliger, etc., je considère que je n'ai pas beaucoup de temps pour ça, et c'est aussi la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu d'enfants.

J'aime être seul, me concentrer sur mes choses, mes lectures, mes textes, mes passions, mes projets, etc. Mes projets impliquent peu d'autres personnes.

Mais ce n'est pas de ça dont je voulais parler..

Ce dont je voulais parler c'est le fait que je n'ai pas d'interlocuteur depuis toute ma vie ou presque..

Rares sont les personnes avec lesquelles j'ai vraiment pu parler, dialoguer, me faire comprendre..

Toute ma vie j'ai parlé aux gens qui m'entouraient, mais c'est comme si je parlais seul, comme un fou..

C'est ça que j'ai «réalisé» l'autre jour.. qui est ressorti d'un recoin de mon esprit, où j'avais fourré toutes ces souffrances du monologue d'une vie.. Un gars qui trippe «chars et hockey» va trouver des milliers d'interlocuteurs, mais un gars qui trippe «Nietzsche et Heidegger» va parler aux murs.. Ça a été mon cas, et ce l'est encore aujourd'hui..

Mais moi, avec mon bon caractère, je vois bien qu'on fait dévier les discussions, qu'on ne s'intéresse pas à ce que je dis, qu'on ne s'intéresse pas à ce qui m'intéresse, bref, qu'on ne me comprend pas, et j'accepte de parler des choses dont tout le monde ordinaire parle, ou de m'intéresser à ce qui intéresse les autres, ou de me censurer, ou de me taire, ou de passer pour un gars «ordinaire», pas trop brillant, pas trop intellectuel, pas trop «différent», bref, j'accepte de passer pour un gars «dans la moyenne», alors que la «moyenne» m'a toujours profondément ennuyé et écœuré..

Mon seul interlocuteur un tant soit peu «dialoguant», me dis-je l'autre jour, a été un fou..

J'ai eu deux amis dans ma jeunesse: un avec qui j'étais toujours en «parallèle», on était quasiment toujours sur deux planètes différentes, à part pour les sorties, et l'autre, un révolté complet de la société, qui est devenu fou, mais qui l'était déjà, à mon avis, et je crois qu'il est mort aujourd'hui, puisqu'il avait l'habitude de quêter au métro, mais ça fait longtemps que je ne l'ai pas revu. Vers la fin, il semblait être capable d'agir et de parler normalement, il me reconnaissait, mais j'avais un peu peur de lui car il avait le sida, donc je ne l'approchais pas vraiment et j'essayais de m'en débarrasser assez vite, et au fond, tout ça me faisait de la peine, car moi je montais dans la vie, et lui il descendait toujours plus profondément et je ne pouvais rien y faire..

Et il savait que je montais, même si je ne voulais pas que ça paraisse, et lui, il savait qu'il descendait, et il ne pouvait pas s'en cacher, car il était itinérant.. C'est dur de cacher que tu descends quand tu n'as plus de dents et que t'as du papier journal dans tes bottines trouées..

Bref, je suis conscient qu'il est difficile d'échanger avec moi à cause de la particularité de mes intérêts et de mon caractère: je ne me laisse pas convaincre facilement et j'argumente beaucoup, parce que j'aime ça, et les gens, en général, ont peur d'argumenter ou n'aiment pas ça. J'aime argumenter parce que je cherche la vérité, pas parce que je veux être le «vainqueur» d'une joute éristique, c'est ça que les gens ne comprennent habituellement pas.. et ils prennent ça trop à cœur.. Ils prennent leurs opinions trop à cœur.. Pourtant, ce ne sont que des «opinions».. infiniment malléables..

Pour moi, il n'existe pas d'«autorité».. Et s'il y en a une, elle est à pilonner.. à tester.. pour voir sa résistance.. son «taux de vérité»..

On va me dire: parle avec des gens qui ont les mêmes intérêts que toi.. C'est ce que j'ai fait: j'ai été étudier en philosophie avec d'autres étudiants qui s'intéressaient à la philosophie.. Mais pourtant, là encore, je n'ai jamais vraiment pu parler et dialoguer avec personne.. peut-être même encore moins que dans la vie normale.. Pourquoi? Parce que soit ce à quoi je m'intéressais était trop poussé ou particulier ou spécialisé, même pour eux, soit ils s'intéressaient autant que moi à un autre sujet, Marx par exemple, qui ne me disait pas grand-chose à l'époque, et qui ne me dit toujours pas grand-chose aujourd'hui, même si j'ai lu tout le premier tome du Capital pour essayer de m'y intéresser.. mais ce fut vraiment pénible à cause de l'infinité des notes de bas de pages que j'ai toutes lues.. Je n'exclus pas par contre la possibilité qu'un jour je recommence à le lire.

Bref, en me retrouvant avec des gens qui avaient le même intérêt que moi, en gros, puis-je dire aujourd'hui, puisque la philosophie c'est vaste, je me suis retrouvé, paradoxalement, encore plus seul..

Lui trippe sur Aristote, l'autre sur Marx, lui sur la philosophie du langage, l'autre sur Wittgenstein, etc., mais personne ne trippe vraiment sur Heidegger, sauf peut-être pour le critiquer et le descendre, et faire de lui tout simplement un nazi, etc. Je n'ai trouvé que des merdeux sur ce point, des étudiants qui voulaient bien paraître aux yeux de certains professeurs ou de certains élèves, se faire du capital sur le dos de Heidegger, sans vraiment s'y intéresser, sans vraiment aborder ses idées en y mettant du cœur et de façon honnête, sans vraiment le comprendre, en ne formulant que des critiques superficielles, qui cherchent à faire de l'effet, et qui font leur effet, néfaste, mais qui au fil des années, après la dispersion de la boucane, après la dispersion des faux intérêts, après la dispersion des illusions des «calculateurs» intéressés à flatter pour s'attirer des places et des faveurs, ne s'avèrent avoir été que du pissage contre le vent.. Car quand tu t'attaques aux grands de cette façon, par le bas, ils finissent toujours par te retomber dessus, et alors t'as l'air d'une merde encore plus qu'avant..

Pour revenir à mon propos, puisque je n'ai pas d'interlocuteur et que je n'en aurai probablement jamais, à part les fous, je vais consigner mon moi-même dans ce journal, le plus que je peux, et c'est tout ce qu'il restera de moi. Je serai bien sûr dans la tête de quelques personnes, mais pas comme je souhaiterais, et ce qui est «dans ma tête» ne circulera pas vraiment, jamais, sauf si je l'envoie dans le cyberespace, comme une bouteille à la mer, sans grand espoir.

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