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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 11 mars 2016

Je me souviens, que j'ai été oublié

Il ne faut jamais que j'oublie que je déteste cette société. Je dois rétablir la vérité dans la tête des gens, parce que je leur ai souvent dit que si j'avais consommé des drogues dures pendant si longtemps, c'était par pur choix personnel, alors que c'est faux.

J'aurais pu avoir une vie bien meilleure, et il ne faut pas avoir peur d'être exigeant là-dessus. À l'époque, j'étais jeune, début vingtaine, et je croyais que la société était justifiée de me laisser pourrir sur l'aide sociale. Je n'étais pas capable de m'en sortir seul, j'étais désespéré, dépressif, incapable de travailler longtemps, en tous cas pas assez pour payer mon logement et mes études de façon continue avec des emplois merdiques.

J'étais pris dans un cul-de-sac et j'aurais voulu mourir et disparaître sur-le-champ. Mais je me suis dit, tant qu'à mourir, je vais me lancer dans le vide, dans le monde sombre du centre-vil, dans la drogue, la prostitution... En fait, je ne me suis pas dit cela, comme si tout cela était réalisable simplement en le voulant, mais je suis tombé dedans presque immédiatement, sans forcer, sans le vouloir véritablement, je me suis laissé couler, puis les ombres sont apparues d'elles-mêmes, et je suis devenu une ombre.

Oui, j'aurais pu avoir une vie bien meilleure, et je peux dire aujourd'hui que ma vie a été gâchée par ce manque de soutien dont j'avais tant besoin. Ceux qui m'objecteront que si je n'étais pas capable de me soutenir moi-même, je n'en valais pas la peine: vous pouvez aller chier. Je n’en ai rien à foutre de votre darwinisme social à la con de fils à papa.

Je me retrouve aujourd'hui avec une santé chancelante, qui m'empêche souvent d'écrire, d'exprimer toute cette rage et cette injustice que j'ai en dedans.

Si j'ai voulu mourir pendant toutes ces années, c'est à la façon des jeunes Amérindiens qui se suicident dans les réserves: ils se sentent pris au piège, sans avenir. Les vieux ne sentent peut-être plus ça, car ils ont peut-être une pierre à la place du cœur, à force de faire des compromis, mais les jeunes, eux, le sentent très bien. C'est comme un sentiment diffus qui leur rentre par tous les pores de la peau et leur empoisonne l'existence.

Cette société, si on peut l'appeler ainsi, par sa froideur, son indifférence, sa cruauté, son formalisme, son conformisme, sa mesquinerie, sa malveillance et son étroitesse d'esprit, me répugne au plus haut point et me donne envie de vomir.

On le voit à chaque fois qu'on ouvre le téléviseur, ce qu'elle aime, et donc ce qu'on doit lui servir, c'est: du sang, du drame, des conflits, du monde qui tombe de haut, pour calmer son envie. Pour calmer son envie, ça lui prend des sacrifices humains, des victimes expiatoires.

Ne croyez pas que les gens ont du cœur parce qu'ils s'éprennent de «bonnes causes»: ils veulent seulement se sentir supérieurs en se comparant à pire qu'eux. Cela leur fait du bien de voir des gens vraiment misérables, qui souffrent et qui sont à terre. Et s'ils le sont à cause d'eux, cela leur fait encore plus de bien.

Cela leur fait du bien d'aider un miséreux, un malade grave, un handicapé grave, parce que cela leur permet de se racheter pour leur propre mesquinerie innée, mais on ne les verra jamais aider un génie en difficulté.

On a demandé en entrevue à Bobby Fischer pourquoi il y avait tant de bons joueurs d'échecs russes comparativement aux joueurs américains, car Bobby était le premier Américain, à l'époque, à remporter le Championnat du monde, les Russes dominaient complètement le jeu. Bobby a répondu: «Les joueurs d'échecs russes sont financés par l'État pour se développer, c'est pourquoi il y a tant de bons joueurs russes. Nous avons ici aux États-Unis autant de bons joueurs et même de très grands talents, mais puisque personne ne les aide à se développer, ils se découragent et disparaissent tout simplement (they just fade out)».

C'est la preuve la plus flagrante que les différences de mentalité font des différences concrètes chez les individus et sur leurs possibilités de réussite.

D'un côté, on finance les talents, de l'autre, non seulement on ne les finance pas, mais on leur met toutes sortes de bâtons dans les roues par envie et après on s'étonne de voir des vies parties en fumée. Après tout, diront certains salauds, s'il était si brillant, s'il était vraiment un génie, pourquoi ne s'en est-il pas sorti lui-même? Voici la question idiote, mais typique, qui revient tout le temps, comme la tache de merde dans le fond de culotte du petit-bourgeois.

Un génie ou une personne brillante, talentueuse, ne sait pas tout et n'est pas capable de tout. La plupart du temps, c'est une personne qui n'aime qu'une chose, mais vraiment à fond, et elle n'est pas nécessairement capable de bien faire autre chose que ce qu'elle aime. Seules les petites têtes pensent que si quelqu'un excelle dans un domaine, il excelle dans tout, mais c'est absolument faux. Je dirais même que c'est le contraire qui est la vérité: l'amour exclusif d'une chose fait négliger au génie tout le reste.

Des personnes pourtant très brillantes ont de la difficulté à faire ce que les gens ordinaires font tous les jours facilement: se lever tôt, se laver, bien s'habiller, se faire à manger, aller travailler, faire du small talk, se discipliner, dormir quand c'est le temps et bien, et savoir en tout temps quel jour de la semaine on est. Si ça se trouve, l'homme brillant a un handicap aussi grand qu'un vrai handicapé. Il est très fort dans une chose, car c'est tout ce qu'il aime, mais il est très faible sur tout le reste: les choses qui font la vie normale, et qui permettent aussi de réussir dans la vie.

Mais notre croyance c'est que ces gens sont capables de tout... et on les laisse pourrir dans un coin... et on s'étonne après des suicides... avec un cynisme écœurant. S'ils ne sont pas encore rendus à la dernière extrémité, on essaie de les sauver pour pouvoir les martyriser davantage, et nos psys et nos médecins de la masse font leur besogne: on leur donne des pilules pour le coco. On les gèle, on les rend vedges, et après on leur dit qu'ils sont vedges, et on rit d'eux parce qu'ils sont vedges et perdus dans la vie, comme des loques humaines.

Il ne faut jamais que j'oublie...

Oui, je me souviens, que j'ai été oublié...

Par cette belle province du Québec...

Que personne ne s'étonne alors que je n'en ai rien à foutre du Québec, ni d'être Québécois.

Si je le pouvais, je mettrais tous les pays à terre, ces entités mensongères, comme des murs, finalement, qui tuent notre liberté.

*

Lorsque Bobby Fischer, ce véritable héros national, reçut une lettre du fisc lui réclamant des millions en impôt impayé, il crachat dans l'enveloppe et renvoya la lettre au gouvernement américain. On ne sait pas exactement pourquoi, mais il détestait les États-Unis.

En même temps, il pouvait bien les détester, car n'ayant jamais reçu aucune aide d'eux, il ne leur devait RIEN.

Nixon a essayé de le récupérer pour en faire un héros national officiel, mais il n'y réussit pas...

Les compagnies ont essayé de le récupérer avec des millions pour faire de la publicité et endosser leurs produits, mais il les envoya tous promener... Après tout, elles n'étaient pas là quand il mijotait dans la merde...

La seule chose dans laquelle Bobby Fischer excellait, c'était le jeu d'échecs...

Mais pour le reste, c'était le kid de Brooklyn, qui faisait des push-ups dans sa petite chambre louée, et qui vivait la nuit, comme un type bizarre, pour ne se concentrer que sur l'étude des échecs...

Combien de héros comme lui ont disparu par découragement?

3 commentaires:

  1. Il est courant lorsqu ' on est du bon côté des choses qu ' on soit effectivement oublié -
    Pourtant on ne l ' est pas - c ' est que cette " société " qui n ' est pas la nôtre mais la leur , est tellement dure , impitoyable , que m^me ceux qui sont avec nous sont les premiers à en pâtir et n ' ont souvent m^me pas l ' énergie , ou le calme nécessaire pour voir que nous n ' allons pas bien -
    Fort heureusement la roue tourne et nous nous trouvons un jour dans une situation où les choses vont mieux et où nous apercevons de tout ça - qu ' il y a m^me des ami-e-s avec qui la vie est possible -
    Le début de ton texte qui parle de la froideur , de la cruauté et de la mesquinerie de nos sociétés occidentales dit bien , en négatif , qu ' il existe aussi une société de générosité , de partage et d ' empathie - C ' est cette société qui est la nôtre -
    Il ne faut pas perdre courage - l ' avant-dernier texte de Gaétan Bouchard va dans ce sens -
    Amicalement -

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  2. "La cause? c'est le martyre perpétuel et la perpétuelle immolation du Poète. La cause? c'est le droit qu'il aurait de vivre. La cause? c'est le pain qu'on ne lui donne pas. La cause? c'est la mort qu'il est forcé de se donner.

    D'où vient ce qui se passe? Vous ne cessez de vanter l'intelligence, et vous tuez les plus intelligents. Vous les tuez, en leur refusant le pouvoir de vivre selon les conditions de leur nature. On croirait, à vous voir en faire si bon marché, que c'est une chose commune qu'un Poète. Songez donc que lorsqu'une nation en a deux en dix siècles, elle se trouve heureuse et s'enorgueillit. Il y a tel peuple qui n'en a pas un, et n'en aura jamais. D'où vient donc ce qui se passe? Pourquoi tant d'astres éteints dès qu'ils commençaient à poindre? C'est que vous ne savez pas ce que c'est qu'un Poète, et vous n'y pensez pas." Alfred De Vigny, Préface de Chatterton

    La préface de Chatterton est nettement meilleure que la pièce de théâtre... Je compatis avec toi pour être un tant soit peu passé par les mêmes chemins d'ombres. L'argent est le vice suprême de notre monde. Il immole les génies et sanctifie les crapules.

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  3. Merci pour vos commentaires.

    Je crois que l'argent n'est qu'un symptôme d'un problème plus profond: notre façon de penser.

    Si on ne s'attaque pas à ça, les mêmes problèmes vont revenir constamment, peu importe ce qu'on fait.

    Il ne faut jamais oublier que penser est la chose la plus difficile du monde, et que donc, on pense rarement... On se contente de refaire les mêmes erreurs par habitude, ou on agit sur le conseil des autres en croyant qu'ils sont plus sensés que nous... La file des aveugles: l'aveugle met sa main sur l'épaule de l'aveugle devant lui, qui fait de même avec l'aveugle d'en avant, et ainsi de suite, et tous marchent vers le précipice en pensant savoir où ils vont.

    Le nombre d'aveugles nous rassure, et si nous nous trompons, le fait de ne pas être le seul à se tromper nous rassure aussi, mais il reste que nous ne savons quand même pas où nous allons, et ceux qui voient le moins sont souvent ceux qui essaient le plus d'imposer leur direction aux autres...

    Où allons-nous avec notre système politique et économique actuel? Personne ne semble le savoir clairement, puisqu'il n'y a pas encore eu de révolution au Québec, que dis-je, dans le monde entier!

    Nos systèmes politiques et économiques ont 200 ans de retard sur la science actuelle... Autrement dit, à une autre époque, quand nos problèmes seront réglés, si on a encore une chance, nous nous dirons que c'était comme essayer de faire fonctionner la science chez les talibans: le décalage dans les façons de penser est trop grand.

    Il faut se le dire: toute forme de croyance est l'ennemie de la science et du savoir.

    Aujourd'hui notre nouvelle religion, c'est le capital, le libéralisme et la mondialisation.

    Les trois erreurs vont ensemble, et ce sont des CROYANCES: il n'y a aucune science là-dedans.

    Autrement dit, il s'agit, encore une fois, de la bonne vieille domination d'une classe de privilégiés sur tous les autres, mais cette fois-ci, avec le consentement entier des dominés.

    Le 1% ne peut en réalité rien contre le 99%, mais tout le monde se laisse faire par ces minables depuis des générations...

    C'est ça le VRAI MONDE...

    Des passifs, des femmelettes, des peureux, des conformistes...

    Derrière leur apparence de durs travailleurs, ce sont des lâches: non seulement ils s'abandonnent eux-mêmes, mais ils abandonnent toutes les générations à venir, et finalement, l'environnement, les animaux, la santé, la liberté, et toute la vie sur terre.

    TOUT SERA GÂCHÉ ET PERDU À JAMAIS.

    Ce n'est pas la fin du monde par un bon dieu qui nous attend, mais la MORT DU MONDE, et la cause sera entièrement humaine.

    L'important n'est pas de travailler dur, mais de ne pas travailler pour rien.

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