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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 25 août 2023

Vivre et mourir animal

Il y a des jours où je me sens seul. Vraiment seul. Crissement seul. Ou des jours où je me rappelle que je suis seul, irrémédiablement seul, enfermé en moi-même, comme dans une ostie de coquille. Ça me revient comme dans la gorge, que je n'ai pas un allié au monde. Je réalise alors, à nouveau, pour la ixième fois, que ça ne change pas, que ça ne changera pas, que ça ne pourra pas changer, que ça n'a aucun espoir de changer, parce que je suis enfermé en moi-même, comme dans une ostie de coquille, et que je ne pourrai jamais en sortir, je ne pourrai jamais sortir de mon corps et dire: «Hé! Je suis là! Tu me vois tel que je suis. Un bon gars, qui pense à un million d'affaires. Qui aimerait aider, mais qui a des bâtons dans les roues. Mais qu'est-ce qu'aider veut dire pour vous? On n'a pas la même notion? Ah! et puis, qui s'en fout pas mal aussi de l'autorité à la fin! Il aimerait bien faire ce qu'il veut, mais il vous aime bien quand même, les comiques!» Non, ça n'arrivera pas. Je traverse toutes les valeurs, pour certains, je pourrais atteindre une valeur infinie, pour d'autres, couci-couça, mais pour la plupart, je suis un zéro, je suis moins que rien.

C'est vrai que je me fous de pas mal de gens. Mais ils le méritent bien. Et écoute, ça vient vraiment du cœur. Oui, du plus profond. Je fais ce que je veux de mon corps, je fais ce que je veux de ma tête. J'exerce une dictature absolue sur moi-même, personne n'est en droit de me dire quoi faire de mon corps, de ma tête, ce que je devrais penser, ce que je devrais mettre ou ne pas mettre dans mon corps. Personne n'est en droit de me dire non plus quoi faire de mon temps, quoi ressentir, quoi aimer, quoi haïr. Le social ne vaut plus grand-chose. Mais on dit ça. Mais peut-être qu'il n'a jamais vraiment valu grand-chose non plus. Les gens ordinaires, c'est les gens ordinaires, c'est la petite monnaie de la vie. Je veux dire, il y a des êtres d'exception, qui ne fitte pas dans le social, qui ne fitte pas dans tout ce que le monde pense, sent, ressent, aime, hait. Je ne suis pas du monde.

Je croyais avant que j'étais à part parce que j'avais des croyances à part, mais non: j'étais déjà à part avant d'être à part. J'étais doublement à part des autres. Personne n'a vraiment réussi à me comprendre là-dessus. J'ai fait des choses estimées «criminelles», mais que je ne croyais pas criminelles, comme vendre de la dope, comment vous le verriez, vous? J'ai toujours cru que les gens avaient le droit de mettre ce qu'ils voulaient dans leur corps. Même s'ils voulaient mourir. Que cela leur appartenait absolument. Comme avec qui ils couchent aussi. Ce qu'ils font de tout cela ne nous regarde pas. C'est antisocial, j'en conviens. Vraiment? Mais la société a fortement besoin de s'alimenter de l'antisocial, car c'est son fond, c'est sa source d'inspiration, son antimatière, c'est la vie. La vie sur les bords escarpés. Il ose. Il doute. Il expérimente. Il remet en question. Il garde éveillé, nous garde en alerte. Il n'est pas dangereux, ce n'est pas son but, mais il prend des risques pour être, pour vivre, pour faire les choses différemment, selon ce qu'il croit être juste. Il est prêt à mourir pour sa conviction de faire ce qu'il croit être la bonne chose à faire. Il le sait. Il essaie. La bonne chose à faire est de se sentir libre. Le vrai danger, c'est de se sentir trop libre. Le vrai danger, c'est de se sentir trop animal. 

De vivre et de mourir animal.

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