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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 5 août 2016

Il fait chaud dans le bull-pen

Savez-vous c'est quoi un bull-pen? -C'est l'endroit où on garde temporairement les prévenus en attendant qu'ils passent en cours, ou qu'ils soient assignés à une cellule. En général, c'est un local plutôt petit, surpopulé, sans grandes commodités, sans air climatisé, sans câlissement rien.

À Montréal, quand on te prend en pleine rue pour quelque chose, mettons que tu vends de la dope, tu t'en vas à la prison de Bonsecours, dans le Vieux-Montréal, dans le bâtiment de la cour municipale.

J'avais envie de vous parler du bull-pen, parce qu'en cette journée de chaleur intense, ça me rappelle de méchants souvenirs cuisants. Évidemment, fallait que je me fasse arrêter en pleine canicule. On m'emmène au poste de quartier. La cellule est pour une personne seule. Il y a un «lit», qui n'est en réalité qu'une plaque de métal fixée sur le mur, avec pas de draps, pas d'oreiller, et encore moins de matelas. Tu dors directement sur la plaque de métal. Si tu veux te faire un «oreiller», faut que tu prennes ton soulier, en espérant qu'il pue pas trop. T'as pas le choix si tu veux pas avoir un crisse de mal de tête, mais t'as crissement mal à la tête quand même à la fin. Et t'as mal partout aussi, les os se cassent, t'as l'impression d'être passé dans un broyeur après une nuit. Quand tu te lèves de ta plaque, c'est par étapes, il faut que tu replies ou déplies les morceaux, comme si ton corps était en pièces détachées. Les moindres mouvements deviennent douloureux. Quand tu veux faire tes besoins, t'as une bol en métal à côté du lit, et y a une caméra pointée sur la cellule à l'extérieur des barreaux. On te filme en train de chier, de te torcher, ils voient tout ce que tu fais. Il n'y a aucune intimité possible dans cette cellule. Rien non plus que tu peux détacher d'un objet quelconque, rien que tu peux lancer. Au fait, je crois que dans les cellules de poste, on garde tes souliers juste à l'extérieur de la cellule, parce que je me souviens maintenant, que j'ai essayé une fois de les atteindre, sans succès. J'ai alors dormi avec ma tête la plus droite possible sur la plaque, ou je me suis mis alors en petite boule, d'une façon ou d'une autre, y a aucune façon d'être confortable. J'ai oublié de dire qu'il ne fait jamais noir dans ces cellules, il y a toujours des gros néons d'allumés dans ta face, comme si t'étais sous observation à l’hôpital.

Je me souviens d'une fois, il y avait tout un raffut dans la place. Il est rare qu'on voie les autres détenus, on peut juste les entendre. Sauf au moment de prendre la photo d'identification, on peut voir un peu de monde, et en quittant le poste, dans la salle commune. À part ça, on les entend, et d'aplomb. Ça gueule en sacrament. Comme des diables. Il y a des fous là-dedans, des enragés, des saoulons, des comiques, des grandes gueules qui ne peuvent pas arrêter de se raconter des histoires, et il y a aussi, croyez-le ou non, des tourtereaux. Et bien cette fois-là, il y avait un gars qui était complètement hystérique, il venait d'arriver au poste avec sa blonde, et sa blonde aussi était complètement maboule, le poste était débordé juste avec ces deux-là. Ils devaient être saouls et gelés. Les deux hurlaient, se criaient des mots d'amour, protestaient, résistaient, les autres prisonniers leur criaient de se fermer la gueule, ça tapait partout, dans les murs, les barreaux, c'était un vrai bordel. Les deux se lamentaient tellement, qu'on pensait qu'ils étaient en train de mourir. Finalement, on n'a jamais rien vu, mais au bout d'une heure de raffut total, on a su qu'ils avaient été emmenés chacun dans des cellules d'isolement padées, attachés chacun au sol de leur côté. Ce fut le silence après ça. On entendait les prisonniers soupirer de soulagement. J'ai pu dormir un peu. Pour les repas, c'est pas souvent, pis c'est toujours des ostis de sandwichs au baloney. Je suis revenu à dix ans d'intervalle, et c'était toujours encore les mêmes ostis de sandwichs au baloney.

Après la photo, sur laquelle tout le monde à toujours l'air d'un criminel de Photo-Police (c'est fait exprès, on me l'a dit), c'est pas fini, le plaisir fait juste commencer, on t'emmène à Bonsecours. En ce qui concerne la photo, le fait que t'as toujours l'air d'un criminel dessus est facilement explicable après tout: les conditions dans lesquelles on t'as détenu, ça te décâlisse pas à peu près, pis t'as envie de tuer tout le monde après ça: A + B = que ça fait que t'as donc l'air, oui, d'un «vrai» criminel. C'est quasiment arrangé avec le gars des vues.

Avant d'arriver à Bonsecours, faut que tu fasses ta ride obligatoire dans toute la ville. On te promène dans un camion genre à journaux, mais renforcé, avec des grilles et des locks bien sûr. On te menotte en général avec quelqu'un d'autre, au hasard. L'espace est très petit dans le camion, faut pas souffrir de claustrophobie. Mais peu importe, tu viens à paniquer quand même dans ces maudits camions. Premièrement, il fait noir, t'as pas d'air, pas de place, et tu te dis que si le camion fait un accident et se renverse, tu vas mourir dedans. C'est vraiment angoissant. Ça l'est pas tellement au début, mais quand ça fait une heure ou deux que t'es dedans, tu commences à capoter. Il y a toujours un gars pour essayer de nous dire où on est rendus dans la ville et où on s'en va probablement, il fait ça en regardant au travers de petites craques dans le grillage arrière. Les gars se parlent, y en a qui te demandent qu'est-ce que t'as fait, il faut se prêter au jeu, les gars veulent se sizer. La plupart sont là pour violence conjugale, souvent une prise de bec avec la blonde, ou pour drogue. C'est pour ça que je disais que 80% de la population carcérale est là pour des choses vraiment mineures. Aux États-Unis ils pensent en ce moment commuer les sentences des peines pour drogue: il y a trop de monde pour rien en prison. On devrait faire pareil, au lieu de construire toujours plus de prisons inutiles, «qui sont faites pour qu'on y retourne», comme a déjà dit Michel Foucault. La prison créée carrément une clientèle de criminels, car elle stigmatise, ou encore elle empire ceux qui le sont déjà.

Pensons-y: en quoi enfermer un consommateur peut-il l'aider? C'est tout le contraire que ça fait, ça l'avilit, ça le fout encore plus en boule. Ça lui enlève ses défenses. Ça lui enlève la possibilité de faire un choix volontaire. Bien entendu, la prison peut te faire arrêter de consommer, mais c'est très rare. En général, même les thérapies connaissent des rechutes à 95%. Moi-même je suis allé en thérapie, et quand j'ai vu ceux qui étaient à la fin de la thérapie et qui allaient partir bientôt se demander s'ils allaient pouvoir résister à la tentation une fois rendus en ville, j'ai pas attendu longtemps, on me voyait le lendemain faire du pouce sur l'autoroute pour m'en revenir en ville, justement. J'ai rejoint ma pute dans mon ancienne chambre d'hôtel et on a fumé du crack. Je suis parti, car je ne croyais plus à l'efficacité de la thérapie. D'ailleurs, pas longtemps après, je vois une décapotable passer sur Sainte-Catherine avec deux gars et des filles en fête à bord: il y avait un gars assis sur le dessus du banc arrière, entouré des filles, c'était le directeur de la thérapie avec un ami et des filles de joie: il était en rechute de coke d'aplomb, et semblait en être très content. C'est la preuve que des fois ça sert à rien, vaut mieux se laisser aller. Faut que l'histoire continue son chemin, on peut pas décider à la place de la nature.

Pour revenir au camion, quand on te sort de là, paradoxalement, t'es content d'arriver en prison... Ça fait drôle à dire, mais c'est vrai, je me souviens d'avoir éprouvé ce soulagement, «ah! enfin on est à la prison!». Câlisse... Le plaisir fait juste commencer. On t'emmène dans la salle commune de Bonsecours. Encore les gros néons, aucune intimité pour chier, et en plus on est plusieurs dans l'endroit. Moi j'avais envie, mais j'ai jamais été capable d'aller chier devant trente personnes. Un gars a osé le faire, et on pouvait le voir se torcher et tout. Moi pas capable. Je suis resté couché sur les «bancs» en bois fixés aux murs tout le tour de la salle. D'ailleurs, tout le monde vient à se coucher sur ces planches de bois bien durs, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, et que c'est vraiment long. Si t'arrives un mercredi, t'es stressé, parce que si tu ne passes pas vendredi matin en cour, tu restes là toute la fin de semaine: les salles de procès sont fermées la fin de semaine.

Et là c'est pas un cadeau. Je ne crois pas avoir eu cette malchance. Mais rendu le soir, on te transfère de la salle commune, où on t'a fait manger des grosses sandwichs au baloney toute la journée, au bull-pen de Bonsecours, où tu passeras la nuit. Pour plus de précision sur les repas, en général, on mange toujours la même chose, avec peu de variété, genre la seule c'est pain blanc ou pain brun, ou un choix de liqueur, mais le menu c'est une sandwich au baloney, un biscuit à l'avoine et une liqueur, c'est tout, deux fois par jour, en plus d'un petit déjeuner assez mauvais. Rendu le soir, on t'enferme dans un local rectangulaire étroit qui sent le vieux ciment, avec des cellules à barreaux chaque côté. C'est des cellules qui font penser à celles qu'on voit dans les films westerns. Les conditions sont vraiment misérables.

Dans mon étroite cellule, j'avais le privilège d'être le premier arrivé, j'avais donc le «lit», c'est-à-dire, une sorte de planche de plywood nue fixée au mur. Deux autres gars se sont joints à moi au fil du temps, ce qui n'est pas normal. Ils ont été obligés de dormir sur le plancher sale, collés sur la toilette et les flaques de pisse séchées à terre. On nous laissait nos souliers, ce qui nous permettait de nous faire des «oreillers confortables», tout un luxe dans ce genre d'endroit.

La particularité de cette fois-ci, c'est je m'en souviens, que c'était canicule. En plus d'être en surpopulation, il faisait très chaud. Je me souviens, on allait au lavabo s'asperger d'eau à tour de rôle, en bedaine. On se mouillait la face et le haut du corps. Rien pour aider, il y avait un puits de lumière qui tapait en plein au centre de la pièce tout son soleil possible. Je me souviens de ce maudit puits. On crevait comme des crisses de fous là-dedans. On le disait aux gardes qu'on asphyxiait, mais ils ne pouvaient rien faire. Vous comprenez maintenant pourquoi on veut passer en cour le plus vite possible, et qu'on en finisse.

Dans la salle commune, dans laquelle on nous ramène l'après-midi parfois, il y avait du nouveau monde. Je me souviens d'une gang de jeunes début vingtaine. Des calottes. Y en un qui avait l'air inquiet. Il cherchait à parler à sa famille. Sans crier gare, il me raconte en détail ce qu'il a fait, parce qu'il veut savoir ce qu'il risque, selon moi: lui et ses amis sont rentrés chez un gars de force pour lui casser la gueule. Les policiers les ont arrêtés en pleine rue, et ont bien pris soin de les immobiliser dans de la crotte de chien, crotte que le gars qui me parlait avait d'ailleurs encore sur lui, sans pouvoir s'en débarrasser. Il avait la marde au cul, mais pas dans le bon sens. Il me demande qu'est-ce qu'il risque, encore tout excité de son règlement de compte, j'écarquille les yeux de stupéfaction par la description détaillée de ses actes, comme si chaque détail venait ajouter chacun une année supplémentaire de prison, puis je lui dis que «c'est très grave» ce qu'il a fait, il risque 4-5 ans de prison... Crisse, le gars s'est mis à pleurer... Il est parti en courant pour appeler sa famille. Je ne l'ai pas revu par la suite, mais je suis sûr qu'il s'est pris au minimum 1-2 ans de prison ferme, s'il n'a aucun antécédent, et s'il est mal défendu, peut-être 4-5 ans. Il avait agi vraiment de façon impulsive. La prison ça aide à calmer l'impulsivité, dans mon cas, j'étais très impulsif, ça m'a aidé pour ça. J'ai pas eu besoin de gros temps, pas du tout, mais je ne sais pas quel genre d'effet ça fait sur ces jeunes qui font des conneries importantes... Je ne sais pas si ça les aide au bout du compte... Ils sont facilement recrutables, facilement influençables, facilement intimidables, facilement avilissables... facilement sans espoir... J'ai bien vu que ce gars-là était encore un enfant au-dedans, et qu'il n'assumait pas ce qu'il avait fait... C'était pas quelque chose qu'il voulait vraiment, il ne faisait peut-être que suivre la gang, encouragé probablement à prouver qu'il était un «homme»...

Finalement, j'ai passé en cours le lendemain, tout s'est passé assez vite pour moi, j'ai été chanceux. On m'a réglé mon compte en cour, puis je suis parti pour la prison à sécurité maximum de Rivière-des-Prairies. On s'est encore fait trimbaler pendant des heures en camion renforcé, mais il y avait une différence cette fois-ci: on était avec des filles... Le camion avait deux compartiments, l'autre contenait les filles, des prostituées de bordel probablement, ou des filles de salon de massage, car elles étaient belles et sexy pour la plupart. Moi j'étais avec une gang de paumés de mon bord, et surtout le gars auquel j'étais attaché, il n'avait aucun respect pour mon poignet, il tirait sur les menottes comme un bon pour aller voir les filles au travers du hublot près de l'avant du camion. Je ne sais pas pourquoi les services correctionnels ont installé ce hublot qui permet de voir l'autre compartiment en partie, j'imagine que c'était pour satisfaire les gars, ou pour s'amuser de les voir s'exciter à la vue de femmes qu'ils ne pourront pas toucher. Toujours est-il que mon partenaire en menottes me tirait sur le poignet pour une bonne raison: les gars encourageaient les filles à montrer leurs seins dans la paroi, et y a une fille qui a décidé de le faire... Crisse, t'as pas vu l'excitation dans le camion, les gars étaient hystériques pour voir ça! Ça se massait autour du hublot, mais moi j'ai rien pu voir parce que mon gars me cachait la vue tellement il était excité et qu'il ne pensait qu'à lui-même. Cependant, je suis presque tombé en amour avec une des filles de l'autre bord quand on s'est mis à se regarder et à se parler du regard... Elle avait le visage doux, de la poésie sortait de ses yeux... À l'extérieur du camion, arrivé à destination, je comptais lui parler, lui donner rendez-vous à sa sortie de prison, faire ma vie avec elle, mais je n'ai pas osé ouvrir la bouche dans le line-up, j'avais trop mauvaise haleine, et je n'étais pas sûr qu'un contact s'était vraiment établi. C'est un autre inconvénient de la captivité avant d'arriver en prison: tout le monde pue de la gueule, et pue même en général, parce qu'on ne peut ni se laver, se changer ou se brosser les dents. Imaginez après plusieurs jours de canicule... C'est l'enfer. C'est là qu'on voie vraiment à quel point l'être humain est un être puant sans tous ses artefacts odorifiques.

Je suis donc rentré à Rivière-des-Prairies sans pouvoir parler à cette belle fille, qui avait l'air sérieuse, à part de faire des affaires «illégales», on aurait pu s'en sortir ensemble, mais je ne l'ai pas fait, et j'y pense encore aujourd'hui. J'essaie parfois de me rappeler son visage, et son allure générale, calme, noble. Mais c'est peut-être tant mieux au bout du compte, mon instinct me guidait peut-être en me disant que les unions entre fuckés ne sont peut-être pas une bonne idée après tout. C'est certain que je serais trop tombé en amour, et que je serais devenu fou. Ajoutez à cela la drogue et la jalousie, parce que la fille fait des choses avec des «clients», et v'là un cocktail pour m'envoyer à la morgue. J'en voulais pas, ou j'en voulais plus. J'envisageais autre chose, et je commençais à voir la lumière au bout du monde interlope.

Une fois à Rivière-des-Prairies, il y avait surpopulation. Nous avons donc dormi dans un local directement par terre, les néons dans la face, cordés comme des sardines, tête à pieds, en alternance. De chaque côté de moi, j'avais des pieds de gars dans la face, et eux, ils avaient mes pieds. J'arrivais pas à le croire qu'on était rendu là. Maintenant on priait pour avoir une cellule! Câlisse... Le lendemain, on nous a mis dans un bull-pen avant de partir en cellule, mais on nous disait qu'il manquait toujours de place... et qu'on aurait peut-être pas de cellule tout de suite... Les gars se racontaient leurs mésaventures avec leur blonde, c'était drôle en crisse. Il y a toujours des gars qui ont le tour de raconter des histoires drôles en prison, des gars qui sont crissement drôles, ils font rire tout le monde à en pisser! Évidemment, la plupart des gars étaient là pour «violence conjugale», une expression qui fait peur, et c'est l'intention, mais une simple engueulade corsée avec une conjointe peut te faire aboutir en prison pour «violence conjugale». Mettons que tu pètes un plomb en t'ostinant avec ta blonde et que tu lances la manette dans le téléviseur, tu t'en viens avec nous autres, la gang de RDP. On va se raconter nos histoires, pis on va rire ensemble de notre impulsivité.

Je me souviens, dans ce temps-là il n'y avait pas de réglementation sur le tabac en prison: tout le monde pouvait fumer comme des cheminées. Eh bien, il y avait un gars, un Turc je crois, mais pas seulement lui, qui faisait du chain-smoking. C'était affreux. En plus d'être dans ce petit local, cordés en sardines, on était emboucanés au point qu'on ne se voyait plus... Le gars qui fumait de même, il nous a raconté son histoire: il avait voulu offrir des fleurs à sa blonde, mais le magasin était fermé... Il était bien saoul, il a alors décidé de casser la vitrine et de prendre les fleurs qui se trouvaient là... La police lui a mis la main dessus, ils l'ont menotté et enfermé dans le véhicule, mais le gars, on s'en doute, complètement impulsif et hystérique, s'est mis à défoncer les vitres de la voiture de police à pieds joints... On le trouvait drôle lui, et sympathique, car il avait vraiment fait ça par amour, mais bon, c'était un peu exagéré disons. Disons qu'il a drôlement empiré son cas en s'en prenant aux policiers. De plus, il était camionneur, il a dû sûrement perdre son boulot... Des fois on se demande où vont aboutir les gens avec toutes les conséquences graves d'un geste par lui-même pas si grave... Mais bon... Sa vie a peut-être empiré, en tous cas sûrement sur le coup, mais on sait pas pour la suite. Ces choses nous suivent longtemps, et on s'assure de bien nous stigmatiser pour pas grand-chose.

Quand je suis finalement arrivé à l'entrée des cellules, j'en croyais pas mes yeux... J'étais devant l'anarchie la plus totale: il y avait vraiment beaucoup de monde au pied carré, comme une foule de spectacle, et c'était pour la plupart des jeunes de gangs de rue à l'air comploteur, vraiment allumés et actifs dans leur rôle de criminels... J'ai eu peur, car dix ans auparavant, j'étais allé dans ce même bloc: c'était un endroit parfaitement calme, avec, pour la plupart, des Québécois pure laine, et on était vraiment peu nombreux, il y avait beaucoup de place. Ces jeunes étaient en grande majorité des Noirs et des Latinos: ça allait mal tourner si je restais. Je suis rentré rapidement dans ma cellule avec un autre gars, je ne voulais pas rester dans cette jungle, puis il fallait aussi que je voie l'état des lieux dans ma cellule: c'était horrible: il y avait des draps sales partout, des restants de bouffe, des assiettes sales, des graffitis noirs partout sur les murs faits avec un lighter, des poils, des cheveux, et quoi encore... Absolument tout était sale. Et c'est là que j'ai compris qu'une prison aujourd'hui, ça se dégradait rapidement.

Ça a pris quinze minutes, et on m'appelait pour me faire sortir: j'étais libre... Et tellement content de l'être. Mon voisin de cellule m'enviait, il me trouvait vraiment chanceux, et je le comprenais. Quand j'étais allé là il y a dix ans, c'était une prison neuve et elle était très belle. On pouvait se promener dans les couloirs sans menottes, c'était comme magique. L'environnement extérieur en hiver: on entend parfois des biches passer dans la neige. Ça sentait le sapin, le bon air frais, et il y avait une atmosphère qui permettait de réfléchir, de se ressourcer, de faire des plans de vie pour ne plus avoir à se retrouver là. Je garde autant une belle impression de la première fois, qu'une très mauvaise impression de la deuxième. Mais c'est intéressant au point de vue sociologique, car c'est là qu'on constate que la population carcérale a changé, et qu'elle a entraîné avec elle la prison dans des conditions vraiment misérables, comme si tous ces jeunes, au lieu de vouloir s'en sortir, et de penser aux moyens de s'en sortir, ne pensaient qu'à se venger sur le milieu qui les enferme, en y amenant le désordre, ainsi que dans leur vie, comme s'ils aimaient ça, ou voulaient montrer qu'ils aiment ça, comme pour prouver que l'horreur ne leur fait pas peur, pour se prouver entre eux qu'ils sont des «hommes»...

4 commentaires:

  1. Je n ' ai jamais fait de tôle mais il me semble que c ' est un non-sens absolu -
    Il s ' y trouve certainement des fou-furieux comme on en croise dans la vie , et c ' est certainement pas le meilleur endroit pour les y mettre -
    Il doit surtout y avoir un tas de malheureux et malheureuse qui dérangent surtout l ' ordre immoral des choses et qu ' on met là pour cacher tout ça , pour que cette horrible mécanique bien huilée continue de glisser en toute harmonie -
    Je hais les prisons , c ' est une honte pour l ' humanité -
    Amicalement -

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  2. J'en ai des histoires à raconter à propos des taules. Même si le plus que j'ai fait c'est, je crois, cinq jours. Personnellement, je ne suis pas fait pour ça. «If you can't do the time, don't do the crime», c'est mon cas. Par contre, ça vaut la peine d'avoir connu ça au moins une fois dans sa vie. Dali disait que le fait d'avoir été en prison lui avait permis de savoir ce qu'il voulait ensuite. Dali ne serait pas devenu Dali s'il n'avait pas été en taule (selon lui).

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  3. J'ai connu des gars qui ont fait du gros temps, genre au moins 15 ans, et qui sont devenus par la suite des citoyens ordinaires et productifs. La réhabilitation, c'est possible, mais ça prend de l'aide des fois de gens qui sympathisent et veulent t'aider sincèrement, tout simplement, parce qu'ils croient en toi, et parce qu'ils croient que l'être humain PEUT changer. Quand tout le monde croit que le criminel reste toujours un criminel, le criminel reste effectivement un criminel, parce qu'on le force à jouer ce rôle-là. L'idée de faire indéfiniment payer les gens pour leurs erreurs est une des pires idioties. C'est une idiotie criminelle.

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  4. J ' ai aussi connu des gars qui avaient fait de la taule - Certains aussi cons avant qu ' après - D ' autres aussi kool avant qu ' après - Quelle histoire !
    Ce que tu dis de la réhabilitation et de l ' aide est vrai :
    j ' ai été alcoolique vrai durant quelques temps ( il y a une trentaine d ' années de ça ) et ce sont des amis bien réels qui m ' ont tiré de là - Les gens ne savent pas à quel point nous vivons ensemble , pour les coups durs comme pour les merveilleuses choses aussi -

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